« On m’a expliqué que j’étais le premier fonctionnaire de l’État de Serbie à visiter sa tombe. Nous avons convenu de renouveler son monument, qui a été conçu et érigé par sa sœur ». Venu célébrer très discrètement l’amitié franco-serbe, après avoir déposé une gerbe de fleurs devant la statue représentant les rois Pierre Ier et Alexandre Ier Karageorgévitch à Paris, le ministre des Affaires étrangères de Serbie, Nikola Selaković a décidé d’honorer également la mémoire de reine Nathalie Obrénovitch qui repose à quelques kilomètres de la capitale française. Pour cette occasion, la revue Dynastie s’est penchée sur le destin de cette souveraine, dernière représentante d’une maison royale au destin tragique.
C’est un hommage qui a attiré l’attention des médias serbes. Venu initialement célébrer l’amitié franco-serbe et resigner quelques accords phares avec Paris, Nikola Selaković, ministre des Affaires étrangères de Serbie, a décidé de faire un petit détour par le cimetière de Lardy, une ville située dans le département de l’Essonne, avant de regagner son pays. C’est ici, depuis huit décennies, que repose la reine Nathalie Obrénovitch. Difficile d’ignorer sa tombe puisque celle-ci, sobre en soi, porte les regalia de cette femme oubliée par notre histoire contemporaine.
La promesse d’une couronne éphémère
Selon la légende, enfant, Nathalie de Serbie aurait croisé une diseuse de bonne aventure qui lui aurait prédit qu’elle porterait une couronne avant de la perdre. Rien ne prédestine pourtant la fille du colonel Piotr Keško et de la princesse Pulchérie Sturdza (dont la maison a donné plusieurs princes régnants à la Moldavie) à monter sur un trône. Elle est née le 10 avril 1851, dans le Grand-duché de Toscane, au sein d’une fratrie qui va compter 4 enfants. Elle perd très tôt ses parents (son père alors qu’elle n’a que 6 ans, sa mère à l’âge de 15 ans) et sera confiée à un institut catholique parisien qui s’occupe d’éduquer les orphelins de bonne famille. C’est à Vienne, visitant Marija Katardži, la grand-mère maternelle du prince Milan Obrénovitch, qu’elle entend parler pour la première fois de son cousin. De trois ans son cadet, le prince héritier de Serbie semble avoir été assez précoce avec la gente féminine. « (…) Un jour, Mme Katardži i m’a donné une photo de son petit-fils, le prince Milan. Je ne saurais dire si c’est à cause de sa beauté où à cause du malaise que j’ai ressenti d’avoir la photo d’un jeune homme, j’ai juste rougi jusqu’aux oreilles et je me suis senti très gênée. Depuis lors, cette photo est restée dans ma chambre, alors quand ils ont évoqué mon mariage avec ce jeune homme, la chose m’a semblé moins étrange qu’elle ne l’aurait été si je n’avais jamais entendu parler de lui » écrira plus tard Nathalie de Serbie.
Car de mariage, il est bien question. Si les historiens sont divisés sur les réelles motivations de cette union célébrée en octobre 1875, le mariage sera aussi somptueux que désastreux en dépit de la naissance du prince Alexandre (né en 1876) et du prince Serguei (né en 1878, ne survivra pas). La journée du mariage, débutée sous un radieux soleil, tourne vite à l’orage pluvieux, mettant les nerfs des chevaux à rude épreuve, manquant de renverser les deux époux. Le prince Milan est auréolé des victoires de son pays sur l’empire Ottoman contraint de reconnaître l’indépendance de la Serbie qu’elle gouvernait depuis plusieurs siècles. Nathalie fait la joie de ses sujets qui apprécient sa grâce et sa modestie. Lors d’une courte visite en Serbie, l’héritier austro-hongrois, l’archiduc Rodolphe de Habsbourg-Lorraine, écrit à son père que la reine (titre reçu en 1882) se montrait « intéressée par l’armée et était heureuse d’en parler. On voit bien qu’elle aime la Serbie plus que le roi et qu’elle travaille plus dur pour le peuple ». Mais si le couple apparaît comme uni aux yeux de tous, une fois le rideau tiré, la réalité est tout autre. Les disputes augmentent sans cesse, Nathalie reprochant à son époux de multiplier les maîtresses.
Une reine aimée de son peuple, délaissée par son époux
Sa popularité est telle qu’elle arrive à apaiser le courroux des serbes lorsque le pays est forcé de signer un humiliant armistice avec la Bulgarie qui a pénétré en Serbie, en 1885. Milan songe à abdiquer en faveur d’une régence mais Nathalie le convainc de renoncer. Le temps passe et Nathalie commence à se lasser des infidélités de son mari. Ce dernier s’affiche publiquement avec ses favorites, reproche à son épouse, sa constante russophilie et leur fils, Alexandre, devient peu à peu le sujet central des disputes du couple. Au cours d’une scène dont il le secret, Milan ne va pas hésiter à faire part de ses regrets d’avoir accepté que son héritier ait pour parrain le Tsar Alexandre II. Jusque dans le nom qu’il juge trop russe, lui qui aurait préféré lui donner le prénom de Miloš à l’instar du fondateur de la dynastie.
Le drame final éclate en 1887, lorsqu’au cours d’un gala, elle gifle l’épouse de l’ambassadeur de Grèce avec laquelle Milan entretient une relation suivie (une autre version affirme qu’elle a refusé de lui serrer la main, générant un conflit diplomatique). C’en est trop pour Nathalie qui claque la porte et s’enfuit avec fils aîné. Elle demande le divorce et le scandale est retentissant. L’autorité de Milan est sérieusement ébranlée et ses affaires privées, qui sont étalées sur la place publique d’une société très patriarcale, vont également avoir des répercussions internationales. L’Allemagne s’agace de ce conflit matrimonial, l’Autriche-Hongrie s’inquiète de l’affaiblissement du pouvoir serbe qu’ell soutient. Le divorce est finalement prononcé en octobre de la même année le métropolite serbe Théodose mais l’histoire est loin de s’arrêter là. Le roi Milan doit mener un double front. Politique, il est obligé d’accorder une constitution (une des plus libérale de l’époque alors que s’affrontent au Parlement, conservateurs pro-autrichiens et radicaux pro-russes) et familiale, il fait annuler la décision du métropolite. Acculé (notamment en raison d’un soupçon de corruption, une tentative ratée d’assassinat), il décide d’abdiquer en faveur de son fils, le 6 mars 1889.
Un assassinat effroyable
C’est le retour en grâce de la reine Nathalie qui va assumer la régence. Elle monte un cabinet qui ne fait pas mystère de son alliance avec Moscou. Les tensions politiques persistent. Jadis aimée, elle devient peu à peu détestée des serbes. Les luttes de pouvoir s’intensifient, la colère gronde exploitée par les partisans du prince Pierre Karageorgvitch. Ce dernier entend prendre une revanche sur l’histoire et au nom de sa famille. Il est petit-fils de Kara Georges, héros national, assassiné en juillet 1817 sur ordre de son ami Miloš Obrénovitch. Milan entend revenir dans le jeu politique. L’animosité du couple est telle que le gouvernement décide de négocier un arrangement avec l’un et l’autre. Milan et Nathalie sont invités à quitter le pays en 1891 (officiellement divorcés). Le roi devra attendre la majorité de son fils pour rentrer (finalement il renonce à ses droits et à sa nationalité un an plus tard). Finalement, la surprise viendra de l’héritier au trône. C’est depuis Biarritz que Nathalie apprend que le prince Alexandre a organisé son propre putsch et renvoyé tous les régents qui n’avaient de cesse de se quereller entre eux. Milan est rappelé par son fils qui le restaure dans ses droits et le nomme commandant en chef des armées serbes. A son tour il va entrer en conflit avec ses parents.
Tombé amoureux d’une suivante de sa mère, Draga Mashin, il souhaite l’épouser. Une telle mésalliance offusque Milan et Nathalie. Agacé, le roi décide de les renvoyer afin de se marier en toute tranquillité. D’autant que la future bru à 12 ans de plus que le souverain. Même l’opinion serbe est opposée à ce mariage qui a pourtant lieu le 5 août 1900. Très rapidement, Alexandre va accumuler les erreurs et ses sujets pointent du doigt l’influence de Draga Mashin. Sans enfants (stérile, elle a feint une grossesse), on dit même que le roi veut nommer son beau-frère, héritier au trône. Expulsé de Serbie, Milan est décédé en 1901, à 47 ans. Nathalie est partie en France. Elle va survivre encore 40 ans à son mari, assez pour apprendre l’assassinat effroyable dont a été victime son fils et son épouse. La situation s’est compliquée sur le plan politique. Alexandre a multiplié les coups d’état pour s’imposer, passe d’une alliance à une autre ou réprime violemment les manifestations. Tous les ingrédients sont réunis pour un coup d’état qui sera organisé en mai 1903 par les partisans du prince Pierre Karageorgvitch. Un meurtre ( poignardés, abattus, ils sont jetés par la balustrade sur un tas fumier et le roi [qui a réussi à s’agripper] aura les doigts tranchés) qui allait rabattre les cartes géopolitiques de l’Europe et bientôt précipiter l’Europe dans un conflit mondial.
Hommage de la République serbe à sa dernière reine
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Nathalie de Serbie se réfugie dans la religion et au contact d’amis espagnols se convertit à la religion catholique. On entendra plus parler d’elle, retirée définitivement en France. Ses mémoires ont été conservées au Vatican et n’ont jamais été publiées. « C’était une femme courageuse, qui a soutenu le roi de Milan dans les moments cruciaux des guerres serbo-turques. La plus grande bienfaitrice de l’Université de Belgrade, à qui elle a fait don de deux mines d’or. L’une des plus belles reines de son temps » a déclaré sur son compte Instragram, le ministre des Affaires étrangères de Serbie. La maison royale des Obrénovitch existe toujours mais n’a plus aucune influence en Serbie.
Frederic de Natal