Le 20 septembre 2022, lors de la 77e session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), le roi Abdallah II de Jordanie a pris la parole, a alerté sur la situation des Chrétiens d’Orient présents en Terre Sainte et sur la remise en cause du statu quo de Jérusalem dont il affirme être le protecteur séculaire.

Invité à s’exprimer lors de la 77e session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), le roi Abdallah II a tiré la sonnette d’alarme. « De nombreuses crises frappent notre monde ; des crises de plus en plus imbriquées – conflits régionaux ayant un impact international. Changement climatique dévastateur, perturbations pandémiques, multiplication des violences générées par les extrêmes, une inflation galopante, récession imminente et – pour trop de gens dans le monde – la réalité croissante de la faim (…) » a déclaré le souverain Hachémite. Face aux autres chefs d’État, il a plaidé pour l’émergence d’un « monde différent – un monde aux horizons élargis, un monde plus équitable, une croissance économique durable, de nouvelles opportunités passionnantes, des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, et la paix inclusive pour la prospérité, dans laquelle tous les peuples peuvent prospérer ».

« La Ville Sainte ne doit pas être un lieu de haine et de division »

Le roi Abdallah II a les yeux constamment tournés vers son voisin Israël, théâtre d’une guerre qui dure depuis 74 ans entre juifs et palestiniens et que les deux peuples ne cessent de nourrir sous divers prétextes. « Un principe fondateur de l’ONU est le droit à l’autodétermination pour tous les peuples. Le peuple palestinien, avec son identité nationale résiliente, ne peut se voir refuser ce droit. Et la voie à suivre est la solution à deux États, conformément aux résolutions de l’ONU – un État palestinien souverain, viable et indépendant, sur les lignes du 4 juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, vivant côte à côte avec Israël, dans la paix, la sécurité et la prospérité » a rappelé le monarque de Jordanie. « Aujourd’hui, l’avenir de Jérusalem doit être notre première préoccupation. La ville est sacrée pour des milliards de musulmans, chrétiens et juifs du monde entier. Saper le statu quo juridique et historique de Jérusalem déclenche des tensions mondiales et approfondit les divisions religieuses. La Ville Sainte ne doit pas être un lieu de haine et de division » a alerté le fils du roi Hussein Ier (1935-1999).

Une dynastie, gardienne de la Mecque

C’est en 1924 que le conseil suprême musulman décide de faire de la maison royale des Hachémites le gardien des lieux saints, situés dans ce qui était encore la Palestine sous mandat britannique. Pour le grand mufti, Mohammed Amin al-Husseini, la question ne se pose pas. La maison royale qui règne encore sur le Hedjaz est dirigée par le chérif Hussein ibn Ali. Considéré comme le fondateur du panarabisme, ce dernier a organisé la « Grande révolte arabe » durant la première guerre mondiale, aux côtés du Britannique Lawrence d’Arabie. Un soulèvement qui a permis aux anciennes tribus du Proche et du Moyen-Orient d’émerger et de prendre leur indépendance vis-à-vis de l’ottomane Constantinople. Les Hachémites sont aussi les gardiens de la Mecque depuis 700 ans, ce lieu saint pour les musulmans. Ils incarnent la 37e génération descendante en ligne directe du prophète Mahomet. Le califat de la Mecque,, qu’ils vont diriger, n’aura pourtant que 6 mois d’existence, entre mars et octobre 1924.

Abdallah Ier @Dynastie/Wikicommons/CecilBeaton

Abdallah Ier, roi de Palestine 

Les rivalités récurrentes entre les Hachémites et les Ibn Séoud tournent à l’avantage de ces derniers qui finissent par chasser la maison royale de la future Arabie Saoudite. Syrie, Irak, Transjordanie, les Hachémites vont marquer de leurs empreintes l’histoire de l’ancienne Mésopotamie et marcher sur les pas d’Alexandre le grand et de ses diadoques. Peu avant la création d’Israël en 1948, c’est l’escalade. Les Palestiniens, à qui on n’a guère demandé leur avis, se soulèvent et la Terre sainte se voile une nouvelle fois du sang des martyrs. Le royaume de Jordanie (créé de toute pièce par les Britanniques) intervient et le roi Abdallah Ier (né en 1882) se précipite à Jérusalem pour tenter une médiation. Il va devenir un héros aux yeux des Palestiniens et des chrétiens, pris entre deux feux d’une guerre qui se prolonge encore aujourd’hui. Alors que le Saint-Sépulcre est en proie aux flammes, le roi arrive sur les lieux et l’histoire affirme qu’il participe activement à éteindre l’incendie qui se propage à l’intérieur de ce lieu sacré (1949). La maison royale des Hachémites vient de gagner ses galons de protecteurs des lieux saints, y compris une couronne. En effet, le 15 novembre 1948, les palestiniens lui offrent sur le parvis de l’esplanade des mosquées le titre de « roi de Palestine ». Une cérémonie aura lieu dans une cathédrale copte qui ne sera pas sans rappeler celle de 1099 où les croisés offrent alors une tiare à Godefroid de Bouillon après la prise de Jérusalem (il prendra finalement  le titre d’Avoué du Saint-Sépulcre). Homme de paix, le roi irrite  autant les sionistes qui ne reconnaissent pas ce souverain au turban mahométan que ses voisins arabes qui qualifient alors le monarque  de « traître », affirmant que celui-ci prépare une paix séparée avec les Hébreux.

Pie XII et Abdallah I @Dynastie/wikicommons

Le pape Pie XII et le roi de Jordanie au chevet des Latins

Expulsés, des millions de Palestiniens se déversent en Jordanie, noyée sous un flot de réfugiés et un roi qui sera bientôt victime de la haine entretenue par les deux peuples. Une situation qui va indigner le pape Pie XII. Ce dernier, furieux, pointera du doigt ses agneaux qui ne réagissent pas :« Il est incroyable de voir que le monde chrétien reste impassible alors que les lieux saints sont ravagés et la tombe du Christ menacée d’être détruite par les violences » déclare-t-il. Sortie d’une guerre mondiale, l’Europe épuisée ne pouvait répondre aux demandes d’interventions du pape dont le discours aurait pu plaire à Bernard de Fontaine, cet abbé de Clairvaux, qui prêcha la première sainte croisade. Une expédition qui devait aboutir à la création du royaume de Jérusalem et d’une multitude d’autres États latins dont la durée de vie n’excédera pas  trois siècles. En s’assurant militairement le contrôle de la vieille ville en mai 1948, Abdallah Ier câble immédiatement au pape afin de lui assurer que les lieux saints chrétiens sont désormais sains et saufs. Il a même évité  de justesse un bain de sang entre les partisans du patriarcat orthodoxe et celui des Latins qui se disputaient la garde du Saint-Sépulcre. Le 20 juillet 1951, alors qu’il vient prier à la mosquée Al Aqsa, il est assassiné par un Palestinien d’un coup de revolver, dont la main aurait été guidée par le mufti de Jérusalem, violemment nationaliste,  et qui ne supportait plus que le souverain protège à ce point les chrétiens.

Abdallah II, protecteur des Lieux saints, reconnu par le pape François

Guerres des 6 jours, du Kippour, intifada multiples, rivalités internes aussi bien au sein des partis politiques juifs comme musulmans, le royaume de Jordanie n’a jamais cessé de se considérer comme le protecteur d’Al Qods, des religions chrétiennes et musulmanes. En mars 2013, l’Autorité palestinienne (dont la légitimité a été reconnue en 1993 lors des accords d’Oslo) et le roi Abdallah II signent un accord historique, se plaçant dans les pas de son père. Celui-ci prévoit et reconnaît à la Jordanie, le rôle de protecteur de tous les lieux saints. Trois ans plus tard, la maison royale de Jordanie participera d’ailleurs financièrement, à hauteur de plusieurs millions de dollars, à la rénovation du tombeau du Christ. Le roi Abdallah multiplie les discours en faveur des chrétiens dont il est devenu en quelques années, l’épée protectrice face à la montée de l’islam terroriste. Membre de la coalition qui s’est battue aux côtés de l’Europe dans sa guerre contre Daesh (il déclare en novembre 2016 : « Je pense que l’élimination de Daesh doit être en tête de nos priorités. Je le dis de manière récurrente. C’est le combat le plus important de la planète actuellement. Nous la regardons comme une guerre interne au monde musulman, mais nous ne pourrons la gagner qu’avec l’aide des Chrétiens, des Juifs et d’autres religions et peuples »), Abdallah II rencontre le pape François en décembre 2017. Entre les deux hommes, une profonde amitié basée sur le même respect qui fut celui de Baudoin IV, le roi-lépreux, et Saladin, le héros des musulmans qui épargna les chrétiens lors de la prise de Jérusalem en 1187. C’est d’ailleurs au cours de cet entretien de 20 minutes que le pape a officiellement reconnu au roi son rôle de protecteur des lieux saints. Une rencontre qui avait fait écho à celle organisée deux mois auparavant avec Théophilos III, patriarche grec-orthodoxe, qui avait alors tristement dénoncé « ces tentatives “systématiques” d’Israël “d’affaiblir la présence chrétienne” dans la Ville sainte ». Loin du « Mur des lamentations » , le roi avait alors « assuré que les lieux saints chrétiens recevaient de sa part le même niveau d’attention et de soins que les lieux saints islamiques ».

Une déclaration saluée par les médias

C’est sur ce même ton qu’il a rappelé son rôle aux États membres de l’ONU. « En tant que gardiens des lieux saints musulmans et chrétiens de Jérusalem, nous nous engageons à protéger leur statu quo historique et juridique ainsi qu’à leur sécurité et à leur avenir. Et en tant que dirigeant musulman, permettez-moi de dire clairement que nous nous engageons à défendre les droits, le précieux héritage et l’identité historique du peuple chrétien de notre région. Nulle part, cela n’est plus important qu’à Jérusalem » a affirmé le roi Abdallah II . « Aujourd’hui, le christianisme dans la ville sainte est sous le feu. Les droits des églises de Jérusalem sont menacés. Cela ne peut pas continuer. Le christianisme est vital pour le passé et le présent de notre région et de la Terre Sainte. Elle doit rester partie intégrante de notre avenir » a déclaré le souverain, symbole de la réconciliation et de la paix entre les religions. Une déclaration saluée par tous les médias jordaniens.

Frederic de Natal