Revenu en Jordanie après un court séjour médical en Allemagne , le roi Abdallah II s’est empressé de reprendre ses activités. Lors d’un iftar, il a réuni autour de lui les principaux représentants des différentes religions de son royaume et réaffirmé son engagement en faveur de la paix en Israël. Le souverain Hachémite a également rappelé qu’il était le gardien légitime des lieux saints de Jérusalem, une nouvelle fois le théâtre de violents affrontements communautaires ces derniers jours.
Ce 22 avril 2022, de violents heurts ont une nouvelle fois éclaté entre palestiniens et policiers israéliens sur l’esplanade des Mosquées, située à Jérusalem. Depuis quelques jours, la ville triplement sainte, haut-lieu de l’islam et de la chrétienté mais aussi site sacré et historique du judaïsme, est l’objet de vives tensions qui inquiètent ses voisins. Souverain de Jordanie, le roi Abdallah II a multiplié les rencontres et appels téléphoniques avec ses partenaires occidentaux et arabes afin de tenter d’apaiser les divergences qui persistent entre deux peuples que tout rassemble et oppose en même temps. Pour le roi Abdallah II, la seule solution passe indubitablement par la création d’un état palestinien indépendant d’Israël bien que celle-ci ne fasse pas l’unanimité ni chez les uns ni chez les autres. Une proposition d’ailleurs rejetée à plus de 59% par les Palestiniens selon un sondage daté de 2021 sur cette question.
Infatigable pèlerin de la paix
Infatigable pèlerin de la paix, le monarque jordanien a réuni tous les principaux leaders des religions présentes à Jérusalem lors d’un iftar, repas pris en fin de journée pendant le Ramadan. Aux cotés de son fils aîné, le prince Hussein, le roi Abdallah II a profité de ce moment de convivialité pour remercier les habitants de Jérusalem qui se battent au quotidien afin de préserver l’identité de la ville dont il estime être le gardien temporel. « La protection des lieux saints islamiques et chrétiens à Jérusalem est un devoir historique et une responsabilité que nous sommes fiers de porter. Nous persévérerons dans le maintien de cette responsabilité, en coordination avec nos frères de l’Autorité nationale palestinienne. Et nous continuerons autant à soutenir les habitants de Jérusalem que contrer toute tentative de changer l’identité de la ville sainte ou de tenter à qui conque de changer son statu quo historique et légal » avait d’ailleurs rappelé le souverain Hachémite lors du 29ème sommet de la Ligue arabe (2018). Une position très peu goûtée par le gouvernement israélien qui n’avait pas manqué de le lui faire savoir mais reconnue par le président palestinien président Mahmoud Abbas après la signature d’un accord en ce sens en 2013.
Gardien des lieux saints
Ce n’est pas la première fois que les Hachémites revendiquent ce titre. En 1924, la question ne se pose pas pour le grand mufti, Mohammed Amin al-Husseini, qui convainc le Conseil suprême musulman de reconnaître la suprématie de cette maison royale sur ces terres sanctifiées. A cette époque, ces descendants en ligne directe du prophète Mahomet règnent aussi sur le Hedjaz (qui abrite la Mecque) avant d’en être délogés plus tard par les Saoud. Une rivalité qui perdure encore de nos jours où les deux dynasties se livrent à une guerre mutuelle de déstabilisation et d’influence. Syrie, Irak, Transjordanie, les Hachémites vont marquer de leurs empreintes l’histoire de l’ancienne Mésopotamie, obsédés par leur désir de stabiliser politiquement un Proche-Orient qui ne cesse de verser le sang de ses enfants depuis la création d’Israël en 1948.
Expulsés ou victimes des affrontements avec les hébreux, des millions de palestiniens se déversent alors en Jordanie qui se retrouvent noyés sous un flot de réfugiés, avec un roi bientôt la victime de la haine fratricide. Une situation qui indignera le pape Pie XII. « Il est incroyable de voir que le monde chrétien reste impassible alors que les lieux saints sont ravagés et la tombe du Christ menacée d’être détruite par les violences » avait déclaré le Pontife. Sortie d’une guerre mondiale, l’Europe épuisée ne pouvait répondre aux demandes d’interventions du pape dont le discours aurait pu plaire à Bernard de Fontaine, cet abbé de Clairvaux, qui prêcha la première sainte croisade et qui devait aboutir à la création du royaume de Jérusalem et d’une multitude d’autres états latins dont la durée de vie ne devait pas excéder 3 siècles. En s’assurant militairement le contrôle de la vieille ville en mai 1948, Abdallah Ier, arrière-grand-père de l’actuel souverain, avait immédiatement câblé au pape afin de lui assurer que les lieux saints chrétiens étaient désormais sains et saufs, évitant même de justesse un bain de sang entre les partisans du patriarcat orthodoxe et celui des latins qui se disputaient la garde du Saint-sépulcre. En novembre suivant, Abdallah Ier avait reçu le titre de « roi de Palestine » dans la cathédrale Copte de Jérusalem, au cours d’une cérémonie qui n’était pas sans rappeler celle de 1099 où les croisés avaient offert une tiare à Godefroid de Bouillon. En vain car le chef des croisés avait préféré le titre d’Avoué du Saint-sépulcre. Parallèle historique tentant.
Au service du dialogue interreligieux et de la paix
Guerres des 6 jours, du Kippour, intifada multiples, rivalités internes aussi bien au sein des partis politiques juifs comme musulmans, le royaume de Jordanie n’a jamais cessé de se considérer comme le protecteur d’Al Qods, des religions chrétiennes et musulmanes. Abdallah II a même participé financièrement à la restauration du tombeau du Saint-Sépulcre censé abrité les restes de Jésus Christ. Une protection des chrétiens qui lui tient à cœur et qui a été fatale à Abdallah Ier en 1951, assassiné par un nationaliste anti-britannique. Le monarque a rencontré le pape François en décembre 2017. Entre les deux hommes, une profonde amitié basée sur le même respect qui fut celui de Baudoin IV, le roi-lépreux, et Saladin, le héros des musulmans qui épargna les chrétiens lors de la prise de Jérusalem en 1187. C’est d’ailleurs au cours de cet entretien de 20 minutes que le Saint-Père avait lui-même officiellement reconnu au roi son rôle de protecteur des lieux saints (au grand dam d’Israël qui a depuis aplani ses relations avec le monarque). Une rencontre qui avait fait écho à celle organisée deux mois auparavant avec Théophile III, patriarche grec-orthodoxe, qui avait alors tristement dénoncé « ces tentatives systématiques d’Israël d’affaiblir la présence chrétienne dans la Ville sainte » et celle avec Pierbattista Pizzaballa, actuel Patriarche latin. Un titre même reconnu par les États-Unis.
Un engagement qui a permis au souverain du « royaume des sables » de recevoir la « Lampe de saint François », un prix considéré comme le Nobel catholique de la paix comme nous l’indique dans une de ses éditions le quotidien Le Figaro en 2019. Ainsi que le prix Zayed 2022 qui récompense ceux qui ont agi afin de « promouvoir les valeurs de la fraternité humaine dans les communautés à travers le monde et répondre aux aspirations du Document sur la Fraternité Humaine, signé par le grand imam d’Al-Azhar, Ahmad Al Tayeb, et le pape François » comme l’expliquait récemment Paris Match. Une symbolique qui n’a pas échappé à la France, gardienne de la couronne d’épine du Christ, qui conserve un droit de regard moral sur cette ancienne terre latine et qui a fait du souverain, un partenaire privilégié dans la défense des chrétiens et de la préservation du statu–quo de l’esplanade des Mosquées de Jérusalem. Datant de 1967, la partie orientale est occupée par Israël qui dénie tout droit aux palestiniens de la revendiquer. Un lieu administré par la Jordanie mais dont l’accès est férocement contrôlé par l’État hébreu.
Lors de l’iftar, les leaders religieux ont informé Abdallah II « des derniers développements à Jérusalem, y compris les violations qui ont eu lieu pendant le Ramadan à la mosquée Al Aqsa comme les restrictions imposées qui ont affecté les fêtes de Pâques pour les chrétiens, exprimé leur soutien à la position inébranlable du roi en faveur du peuple palestinien et des droits à se recueillir des fidèles musulmans et chrétiens à Jérusalem » a écrit sobrement le palais royal sur son site officiel.
Frederic de Natal