Alors que les rumeurs d’une prochaine démission du pape François se multiplient, toutes démenties par le Saint-Siège, le souverain pontife s’est rendu à la basilique Sainte-Marie de Collemaggio où repose depuis le XIIIe siècle un de ses prédécesseurs. L’occasion pour la Revue Dynastie de s’attarder sur la personnalité de Célestin V, pape canonisé et patron des relieurs.

Démissionnera t-il ou non ? C’est la question que se pose la presse internationale depuis que le pape François montre une santé chancelante. C’est en fauteuil roulant que le successeur de Saint-Pierre s’est rendu à la basilique de Collemaggio où repose depuis 1296 un de ses prédécesseurs, le pape Célestin V, premier pontife à avoir renoncé à sa charge de son vivant. Oublié ou méconnu, de son vrai nom Pietro Angeleri, cet avant-dernier fils d’une fratrie de 12 enfants est né vers 1209 (ou 1210) dans le sud de l’Italie, alors possession des Normands de Sicile. À la mort de son père, Angelo Angelerio, il décide de se consacrer à l’agriculture, mais c’est sans compter sa mère, Maria Léone, qui entrevoit un autre futur pour son fils qui montre de forts signes d’empathie envers les autres. Sur les conseils de celle-ci, il intègre à 17 ans l’archidiocèse bénédictin de Bénévent et démontre très rapidement son aptitude à l’ascétisme et la solitude. Avant d’être ordonné prêtre, c’est dans le respect des règles de Saint Benoit qu’il va vivre un temps, comme ermite dans une grotte de la Montagne del Morrone, située dans les Abruzzes. Cinq ans plus tard, il déménage dans une autre grotte avec deux autres compagnons et va prendre exemple sur Saint-Jean Baptiste avec une sévérité qui étonne tout un chacun.

Élu pape sans avoir fait acte de candidature

Il va fonder une congrégation d’ermites et sa réputation de sainteté va bientôt dépasser les frontières. Trop pour Pietro Angeleri qui décide de déménager vers un endroit plus calme et propice au recueillement. Bien qu’il ait été aussi influencé par les franciscains,  Pietro Angeleri se rend à pied à Lyon (1273) afin de faire confirmer l’admission de sa congrégation au sein des Bénédictins par le pape Grégoire X. Il va avoir la charge de diverses abbayes et noue même une relation avec Charles II d’Anjou, neveu de Saint-Louis. C’est alors que survient la mort du pape Nicolas IV en 1292. Le conclave va s’éterniser deux ans. Averti de la situation, Pietro Angeleri finit par leur envoyer un courrier, les avertissant d’une punition divine si les cardinaux réunis ne trouvent pas une solution. La lettre fait mouche. Latino Malabranca Orsini, doyen du conclave, en fin de vie, lance alors : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, j’élis frère Pietro di Morrone ! ». Les cardinaux s’empressent de ratifier l’élection du nouveau pape le 5 juillet 1294. Dans la réalité des faits, la lettre ne fut pas spontanée, mais à l’initiative de Charles II d’Anjou, très irrité par le manque de sérieux des cardinaux. Il était important pour le Capétien d’avoir un pape acquis à sa cause. Il s’était fait couronner roi de Naples par Nicolas IV afin d’enrayer l’influence aragonaise dans la botte italienne.

Saint Célestin V par Giulio Cesare Bedeschini @wikicommons

Un court pontificat sous influence angevine

Face à la délégation qui vient de l’avertir de son élection à Sant’Onofrio, Pietro Angeleri manifeste un certain mécontentement. Diverses sources de l’époque évoquent même son envie de fuir ses responsabilités avant de finalement les accepter. Preuve de l’influence angevine, la demande du nouveau pontife de se faire couronner dans la ville de l’Aquila, en territoire napolitain. D’ailleurs, celui qui est désormais Célestin V, va imiter le Christ en entrant dans la ville, assis sur un âne, avec de chaque côté de la bride, le roi Charles II et son fils Charles-Martel d’Anjou. Il faudra deux cérémonies de couronnement. En effet, lorsqu’il arrive à l’Aquila, seuls trois cardinaux sont présents. Il faudra renouveler son intronisation, le temps que tous soient rassemblés au même lieu. Célestin V n’est pas familier avec les usages du pouvoir, ni la théologie encore moins le latin. Son premier consistoire ne laisse pas de doutes sur l’omniprésence angevine, composé exclusivement de cardinaux Français et napolitains. Très rapidement, le pape s’aperçoit qu’il a fait une erreur. Tout va-vite s’enchaîner. Il consulte le cardinal Benedetto Caetani qui lui confirme qu’il peut licitement renoncer à son pontificat. Le 13 décembre 1294, invoquant l’humilité, son âge, son état de santé et son incapacité intellectuelle, il annonce qu’il se retire du trône de Saint-Pierre et désire se retirer comme ermite. Un court pontificat, cinq mois et huit jours, suivi d’une controverse théologique.

Que reste t-il de l’héritage de Célestin V ?

Lui succédant sous le nom de Boniface VIII, Caetani décide de faire enfermer Célestin V, craignant que son accession comme pontife ne soit remise en cause (ce que fera le roi de France Philippe le Bel, réussissant à même faire canoniser le pape démissionnaire en 1313 sans toutefois pouvoir le faire reconnaître comme martyr). Pietro Angeleri va s’échapper, mais rattrapé, il est enfermé à Anagni où il meurt de cause naturelle en mai 1296. Interrogé par Vatican News, l’historien Paul Bertrand parle de Célestin V comme ce « dernier feu, le dernier grand feu brûlant de cette spiritualité en construction tout au long du XIIIᵉ siècle ». « C’est peut-être une des raisons fondamentales qui expliquent l’intérêt que lui portent les fidèles et le souverain pontife encore à l’heure actuelle, c’est parce qu’il est vraiment l’héritier de ce XIIIᵉ siècle brûlant » explique-t-il, laissant aussi sous-entendre qu’il a été poussé à la démission par son successeur et qu’il a été manipulé, sachant sa volonté de partir, déjà acquise.

Il est difficile de parler d’héritage laissé par Célestin V autrement que par sa démission. Techniquement, il ne fut pas vraiment le premier pape démissionnaire puisque Pontien renonça à son siège épiscopal en 235. Après ce dernier, on compte encore six papes déposés, déportés ou excommuniés contraints de renoncer également au pouvoir temporel. A contrario, Célestin V fut le premier à le faire inscrire dans une constitution apostolique, « quelqu’un qui est à la fois reconnu comme un grand saint déjà de son vivant, un grand fondateur, un grand personnage italien » rappelle Paul Bertrand. C’est dans ce contexte que le pape François a présidé le pardon célestinien à la basilique Sainte-Marie de Collemaggio, là où il y a la première Porte Sainte, et a rendu hommage à « la force des humbles ».

Frederic de Natal