Il n’est jamais revenu vivant de sa promenade le long du lac de Starnberg. Des centaines de bavarois, nostalgiques d’une période faste, se sont retrouvés ce week-end afin de rendre hommage au roi Louis II décédé mystérieusement il y a 136 ans.

Deux ans de covid-19 ont empêché les nostalgiques de la monarchie bavaroise et passionnés d’histoire de se réunir sur les bords du lac de Starnberg, lieu d’une terrible tragédie shakespearienne qui recèle encore bien des contours mystérieux. Ce week-end, par centaines, ils se sont enfin retrouvés afin de rendre un hommage au roi Louis II (Ludwig), ce monarque fantasque à qui la Bavière doit ses plus beaux châteaux romantiques. Habillés en costumes d’époques ou traditionnels, ils ont écouté en silence les discours de Siegfried Mathes, Président de l’association organisatrice « Louis II – Vos fidèles » et de Stefan Jetz, président de l’Association nationale des royalistes de Bavière, avant de se recueillir devant les gerbes de fleurs déposées devant et dans la chapelle votive décorée des couleurs de ce Land allemand. Un petit édifice qui rappelle aux bavarois, aux touristes de passage, que c’est ici que l’on a retrouvé le corps sans vie du cousin de « Sissi », le seul « vrai roi de ce siècle » comme s’est plu à l’écrire l’écrivain Paul Verlaine dans un poème dédié au souverain.

Le roi Louis II à sa montée sur le trône et à la fin de sa vie @Wikicommons

Interné au château de Berg 

Le 12 juin 1886, le roi Louis II arrive au château de Berg. Le beau jeune homme qu’il était lors de sa montée au trône de Bavière 22 ans plus tôt, à la chevelure brune et bouclée, aux yeux bleus, s’est mué en un homme grassouillet, au visage terne et à l’esprit taciturne. Dans le plus grand secret, ses ministres et son oncle, le prince Léopold (Luitpold), ont décidé de le destituer. « Le roi est fou » susurre t-on à Munich, la capitale. Tout au plus est-il mal compris. « Le monde changerait son jugement s’il ne s’attardait pas uniquement sur ses constructions mais s’il pouvait connaître sa correspondance et sa politique » confessera volontiers le chancelier Bismarck. En dépit d’une certaine résistance, abandonné, et résigné, Louis II s’est finalement laissé conduire vers un voyage sans retour. A ses côtés, le docteur von Gudden, archétype de l’homme instruit et consciencieux mais patricien pédant, imbu de ses connaissances et sans diplomatie aucune. Il a signé le décret d’internement d’un roi qui a sombré dans la dépression et qui inquiète ses proches. « (…)  Si l’on me déclare fou, je n’y survivrais pas » confie-il à un proche qui craint que le roi ne commette l’irréparable. Louis se plaint de n’avoir pas été examiné. Von Gudden  lui répondra froidement : « Un examen n’est pas nécessaire, les documents dont nous disposons sont accablants ».

Une tragédie entrée dans l’Histoire

Sa nouvelle résidence n’a plus rien du lieu enchanté qu’il avait partagé avec Richard Wagner, ce musicien de talent dont il s’était entiché. Les portes du château sont désormais munies de voyants, des barreaux ont été ajoutés aux fenêtres de cette demeure néogothique, les guichets sont inexistants. L’atmosphère est froide, les gardes sont partout mais cela ne semble pas impressionner le souverain qui entend bien jouer un tour à ses gardiens. Il se montre si enjoué, si communicatif, si docile que von Gudden commence à  à se poser lui-même des questions sur son patient. S’est-il trompé en fin de compte ? Le lendemain, Louis II décide de se promener avec pour seule escorte, von Gudden. Le temps est maussade, brumeux et finement pluvieux. Ils sortent avec leurs parapluies. Une sortie qui ne doit durer qu’une heure et qui va faire entrer le roi Louis II à jamais dans l’éternité de l’Histoire. Inquiets de ne pas les voir revenir à la tombée de la nuit, les domestiques, les gendarmes et les villageois organisent une battue. Il leur faudra quelques heures avant de retrouver le corps sans vie du souverain, emmitouflé dans son long manteau, son chapeau orné d’une agrafe de diamant flottant à la surface pris au piège des herbes hautes, et celui de son médecin. Les deux corps portant des traces de lutte. Lorsqu’elle apprend que son cousin s’est officiellement noyé Elizabeth d’Autriche, « l’impératrice de la solitude »,  fond en larmes, étreinte par une soudaine crise mystique. « Louis n’était pas fou. C’était seulement un original perdu dans son rêve. Je veux demander pardon à Dieu pour mes idées de révolte (…)  » crie-t-elle à sa mère, la duchesse Ludovika en Bavière.

Manifestation en hommage au roi Louis II @ Franz Xaver Fuchs/SZ/Dynastie

 

Un fantôme attachant 

Depuis plus d’un siècle, le mystère demeure encore non élucidé sur les vraies raisons du décès du roi de Bavière. Assassinat sur fond de complot, suicide, arrêt cardiaque alors qu’il s’apprête à traverser le lac, toutes les hypothèses ont été étudiées sans que les historiens ne soient tombés une seule fois d’accord sur le sujet. A cette époque, pour bien des bavarois, Louis II a été la victime d’une machination orchestrée par le régent, jugé trop proche de la Prusse et des idées d’unification de Bismarck. Lorsque le prince Léopold est réveillé, abasourdi par la nouvelle du décès du roi, il aura cette phrase révélatrice de l’ambiance du moment : « Ils vont dire que je suis l’assassin ».  En  Bavière, on raconte toujours que le jour de sa fête, le roi apparait dans la nuit, arpentant le lac, vieilli par le poids des années qui passent. Abordant toujours le premier passant qu’il croise, il lui pose cette sempiternelle question : « La Bavière est-elle toujours aux mains des prussiens ? ». « Oui » lui répond t-on. Louis II s’éloigne alors tristement pour regagner son caveau en attendant l’année suivante. Une légende qui en dit long sur l’attachement des bavarois pour la figure de ce monarque francophile, romantique,  aux amours contrariés et qui avait songé à abdiquer plus d’une fois pour vivre une simple vie de bourgeois.

Frederic de Natal