Avec la dislocation de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), les pays baltes vont profiter de l’anarchie ambiante à Moscou pour reprendre leur liberté. Le 20 août 1991, dans la confusion générale, les délégués du Soviet suprême d’Estonie proclament l’indépendance. C’est le début d’un long processus de retour à la démocratie qui aboutira un an plus tard aux premières élections législatives multipartites du pays. Parmi les nouveaux élus se trouve le Sõltumatud Kuningriiklased qui préconise l’adoption de l’institution royale comme mode de gouvernement. C’est dans ces circonstances que la reine Elizabeth II va recevoir en juillet 1994 une étrange proposition provenant du parti royaliste indépendant d’Estonie.

Edward et Sophie de Wessex

Edward Ier, roi d’Estonie

L’histoire est méconnue mais bien réelle. La souveraine britannique est affairée à préparer son voyage en France lorsqu’elle décide de s’attarder sur sa correspondance du jour, apportée par un des nombreux employés de Buckingham Palace. Une lettre, frappée des armes du parlement estonien, attire son attention. Dans ce courrier, les huit députés du Sõltumatud Kuningriiklased expliquent à Elizabeth II qu’il est nécessaire de restaurer la monarchie en Estonie et qu’une fois celle-ci établie, la couronne pourrait revenir au prince Edward, son dernier fils. Renseignements pris, la demande s’avère des plus sérieuses mais ne correspond à aucune réalité historique. Souvent occupée, Suède, Russie, l’Estonie n’a connu que des monarques par défaut. Même durant la Première guerre mondiale, pourtant très prompts à placer un de leurs nombreux princes ci et là, les allemands songeront plutôt à y établir une république.  L’idée de choisir le prince Edward, qualifié de « jeune prince britannique très admiré des Estoniens », va germer lors de visites bilatérales organisées entre les deux nations.

« Votre expérience en tant qu’acteur et producteur de télévision serait idéale pour créer la majesté dont un nouveau roi aurait besoin pour combiner la culture ancienne avec la réalité politique moderne » écrivent également les monarchistes au futur comte de Wessex, loin dans ligne de succession à la couronne britannique, et qui se disent « honorés si celui-ci accepte cette couronne qui lui est offerte ».  Fidèle à sa réputation, la reine fait donc préparer une réponse officielle et remercie les députés pour cette « charmante proposition » mais préfère décliner au nom de son fils. D’ailleurs plus occupé à cette époque à débuter sa relation avec Sophie Rhys-Jones. La reine Elizabeth II, clairvoyante aura éviter une certaine humiliation à Edward.

Les membres du Sõltumatud Kuningriiklased lors d’un culte païen

Le Sõltumatud Kuningriiklased, un mouvement influent 

Dans la réalité, quel fut l’impact politique de ce parti royaliste dans les années quatre-vingt- dix ? Ses propositions de lois furent assez ridicules de manière générale. Ainsi, les députés royalistes tentèrent de de mettre fin à l’heure de prière obligatoire en la remplaçant par un rite néopaïen, consistant à taper sur un tambourin, proposèrent de mettre en place une parade annuelle en hommage au roi Gustav Adolf II de Suède (ils avaient fait une proposition de couronne au prince Carl-Philipp Bernadotte, fils du souverain suédois) ou d’organiser des « grèves de repas » sans que l’on en comprenne réellement le but.  Pour beaucoup d’experts en royautés, ce mouvement n’était pas vraiment sérieux d’autant qu’il comptait parmi ses membres fondateurs, des humoristes célèbres comme Kirill Teiter qui s’est lui-même proclamé « roi » plus tard. Pourtant en 2015, une enquête de police a démontré, lettres à l’appui, que le mouvement royaliste a bien exercé une forte influence sur divers ministres, exprimant ses inquiétudes sur l’éventuelle adhésion de l’Estonie à l’OTAN.

« Il semble qu’ils aient bénéficié d’une image positive parmi l’opinion à une époque où on pouvait se faire élire avec beaucoup moins de restrictions qu’aujourd’hui. Il ressort de ces notes que les monarchistes sont restés une force puissante, œuvrant même en coulisses et jouant les faiseurs de rois » écrit alors un journaliste dans un article consacré à l’ancien mouvement royaliste. En 1995, le parti a été laminé aux élections législatives, passant de 7% à 0,18 % des voix, perdant de facto tous ses représentants. Si certains ont continué à faire de la politique sous d’autres bannières, l’idée monarchique n’a jamais refait surface en Estonie depuis.

Frederic de Natal