« Trăiască Regele » (vive le roi). Depuis la chute du communisme en Roumanie, il n’est pas rare d’entendre de tels slogans lors de manifestations hostiles aux différents gouvernements qui se succèdent, étouffés par les scandales ou fragilisés par d’importantes crises politiques. Epuisés par tant d’instabilité renforcée par la crise sanitaire de Covid-19, certaines voix réclament que cesse de cette gabegie et que l’on restaure la monarchie. Bien que le débat agite la Roumanie depuis des décennies, ces dernières semaines plusieurs partis politiques et députés ont réclamé un changement de constitution afin de préparer le retour du roi. Ou plutôt de la reine. Car depuis le Palais Elizabeth où elle jouit de pouvoirs considérables, la princesse Margareta, curatrice du trône, 72 ans, observe les événements qui se déroulent dans son pays et se prépare à toutes les possibilités.
Président d’une petite formation politique, Cristian Diaconescu a jeté un pavé dans la mare en annonçant qu’il allait présenter un amendement de la constitution afin de permettre la restauration de la monarchie en Roumanie. « Une monarchie constitutionnelle aurait mieux géré notre crise politique que l’actuel dirigeant. Le retour d’une monarchie constitutionnelle peut garantir un parlement fort et de fait, celui-ci sera en mesure de soutenir un gouvernement doté de pouvoirs importants » a déclaré cet ancien ministre des Affaires étrangères lors d’un entretien accordé à Newsweek. Il n’a pas fallu longtemps pour que d’autres personnalités de la vie politique s’engouffrent dans ce qui est devenu un véritable débat national. « Une nouvelle réforme constitutionnelle ne peut commencer que par le principe du rétablissement de la monarchie. (…) » a affirmé de son côté le député du Parti national Libéral Andrei-Daniel Gheorghe, s’affichant avec la princesse Margareta sous le portrait du roi Michel Ier, dernier monarque de ce pays des Balkans créé grâce à Napoléon III.
Véritable icône nationale, Michel Ier est décédé le 5 décembre 2017 et a eu droit à des funérailles nationales auxquelles ont participé, représentants des maisons royales étrangères, diplomates et membres du gouvernement. Pour des générations entières, le monarque reste ce héros qui a chassé le maréchal Antonescu du pouvoir en organisant un coup d’état en 1944, âgé seulement de 23 ans. Trop tard cependant pour que la Roumanie échappe au rouleau compresseur soviétique qui finit par l’exiler trois ans plus tard au cours d’un putsch. Certains diront que le premier ministre communiste n’avait pas hésité à mettre un pistolet sur la tempe de la reine Hélène de Grèce, sa mère, afin de le contraindre au départ. Il avait tenté de résister mais les agents de Staline avaient fait emprisonner des centaines d’étudiants royalistes et pointer les canons des chars vers le palais royal. Sacrifié sur l’autel de la guerre froide, après avoir été deux fois souverains (1927-1930/1940-1947), Michel Ier est devenu l’espoir d’une Roumanie libre. Lors de son retour à Pâques 1992, après deux tentatives avortées lors de la chute du régime du conducator Nicolae Ceaucescu, c’est un demi-million de roumains qui s’étaient rassemblés à Bucarest afin d’acclamer le roi Michel et la reine Anne de Roumanie.
L’idée monarchique, « une relique du passé » ?
« C’est en analysant les discussions actuelles sur la forme constitutionnelle que doit prendre prochainement et à l’avenir la Roumanie que nous avons pris cette question au sérieux. Nous allons sérieusement promouvoir un changement dans la constitution afin de pouvoir permettre à notre pays de retrouver sa monarchie constitutionnelle » affirme Cristian Diaconescu. Enième épisode d’un débat qui n’a jamais disparu du champ politique roumain et qui n’a cessé de s’accroître au fur et à mesure que la corruption s’est amplifiée dans le pays. Élu Président grâce à une coalition incluant le Parti national paysan démocrate-chrétien (PNTCD), soutien de la monarchie, Emil Constantinescu, sensible au monarchisme, avait redonné sa citoyenneté au souverain (1997). Un roi qui cristallise les passions. Un conflit générationnel ne va pas tarder à pointer le bout de son doigt et les événements vont s’enchainer. Si pour les anciens communistes, rebaptisés en socialistes, Michel Ier est « une relique du passé » comme le pensait l’ancien premier ministre Adrian Nastase, pour les jeunes roumains qui sont nés après la révolution de noël 1989, le monarque est l’alternative que tous doivent soutenir.
En 2011, Michel Ier est invité à se prononcer devant les deux chambres. Le discours est retransmis à la télévision nationale. Le succès est immédiat. La maison royale vient de signer un accord avec le gouvernement lui permettant de bénéficier d’une liste civile, d’un palais, de prérogatives de représentation. Avec la crise politique qui éclate, les étudiants descendent dans la rue et brandissent des portraits du roi monarque dont le visage est placardé sur les murs des universités. Le président PNL du Sénat crée le buzz. « Personnellement, je crois que la monarchie constitutionnelle est la forme la plus commode de gouvernement pour un pays comme la Roumanie. Je ne sais pas si c’est possible. Mais en termes de conviction, je n’ai aucune hésitation » déclare Crin Antonescu. Les députés se pressent autour du roi, se font prendre en photo. Michel Ier est à la mode. Un sondage LMAS pour le journal Ziare affirme même que le souverain est la personnalité préférée des Roumains avec 36% des votes loin devant le président Traian Băsescu qui ne recueille que 8%. Dans un second sondage, 26% des roumains vont même réclamer que le roi Michel Ier remonte sur son trône afin de « sauver le pays ». L’Alliance nationale pour la restauration de la monarchie (ANRM) voit alors le jour (2013), fondée par des transfuges du PNTCD, un mouvement qui a soutenu la monarchie et qui avait fait une entrée fracassante au parlement en 1990 avec 12 sièges avant de s’écrouler dans les urnes après avoir dirigé le pays au sein d’une coalition à l’aube des années 2000. Les manifestations en faveur du retour du roi, devenue une épine dans le pied du gouvernement, s’étendent dans tout le pays, contraignant le président Basescu (qui ne cache pas son animosité envers Michel Ier) à intervenir. « Les monarchistes sont 15% -18% en ce moment et je peux vous dire qu’on a beaucoup parlé avec mes conseillers. La question [d’un référendum] s’est posée, notamment l’introduction du vote par correspondance, afin de savoir si vous êtes d’accord avec [le retour] d’un régime monarchique » lance-t-il aux députés réunis au parlement.
La monarchie installée la conscience collective
« (…) Si les Roumains considèrent que la monarchie est une option, je serais de ceux qui soutiendraient une telle option. La Roumanie fonctionnerait comme les autres monarchies en Europe, dans lesquelles la Maison Royale serait le symbole de l’État et non un facteur de division ». Ancien président du Sénat (2014-2019), Călin Popescu-Tăriceanu a rappelé en 2017 aux roumains que la monarchie restait la solution la plus fiable qui permettrait au pays de retrouver sa stabilité. « L’organisation d’un référendum passe d’abord par un débat et je pense que surtout sur ce sujet nous avons besoin non seulement d’un débat, mais aussi de très bien peser les arguments en faveur de l’organisation d’un référendum. Je suis convaincu que ces derniers temps la sympathie pour la maison royale a également beaucoup augmenté » explique Călin Popescu-Tăriceanu qui ajoute que cela doit se faire dans un consensus général. L’idée du référendum a même été repris par le Premier ministre Ludovic Orban (2019-2020) et ancien président du Parlement (2019-2021). « L’indépendance nationale et l’institution de la monarchie se sont installées dans notre conscience collective comme des étapes décisives pour la consolidation d’un état roumain moderne, prospère et respecté en Europe depuis le début du siècle dernier » a déclaré ce proche de la famille royale en mai 2020.
Les sondages qui ont été mis en ligne démontrent d’ailleurs une progression de l’idée monarchique. En 2016, une enquête réalisée pour le 150ème de la fondation de la maison royale (le parlement adopte alors le blason de dynastie surmonté de sa couronne comme emblème national) vient secouer les politiques. 61% des personnes interrogées disent avoir confiance dans la famille royale et 54% se réfèrent à Michel comme le « roi de Roumanie ». Pour autant, les roumains ne semblent pas disposés à franchir le pas bien qu’ils réclament majoritairement que cette question soit soumise aux votes (53% selon un sondage CURS daté de 2019). Seuls 21% affirment voter pour la monarchie en cas de référendum. Un chiffre qui est monté à 37% aujourd’hui (sondage d’Avangarde réalisé en 2018. A titre de comparaison, un sondage identique plaçait la perspective de retour de la monarchie à 10% en 1990 et à 16% en 2008). Pourquoi cette ambiguïté ? Si le débat d’une restauration de la monarchie refait surface aujourd’hui, la maison royale peut-elle vraiment retrouver ses regalia ? Curatrice du trône, la princesse Margareta est un état dans l’état capable de faire tomber des gouvernements (indirectement comme en 2018 lors de son affrontement public avec le premier ministre social-démocrate Mihai Tudose au sujet du Palais Elizabeth dont il souhaitait récupérer la location), d’interférer dans les affaires de la république (en 2019, lors de l’annuelle réception du corps diplomatique où elle lit un discours, elle a accusé les russes d’ingérence dans les affaires du pays et de l’Europe. En dépit de l’incident diplomatique généré, le gouvernement a fait front commun derrière la fille aînée du roi) et lui a permis de prononcer des discours devant les députés. Pour les partis de gauche, cette influence est gênante. ils la dénoncent assez régulièrement grâce à des médias acquis à telles ou telles idéologies de partis.
37% des roumains affirment voter pour la monarchie en cas de référendum
En 2015, c’est un coup de tonnerre qui s’est abattu sur le monarchisme roumain. Devenu prince héritier huit ans auparavant et très populaire, Nicholas Medforth-Mills est subitement destitué de ses titres par son grand-père Michel Ier. Les raisons de cette déchéance laissent place à toutes les supputations (officiellement un « manque de qualité morale ») mais coupe net l’élan monarchiste. Lors de l’agonie du monarque, la famille royale empêche Nicolas d’accéder à son grand-père. L’affaire (qui est médiatisée) va nuire à la réputation de la maison royale, révèle d’importantes dissensions et se finira devant les tribunaux (qui ont donné raison à l’ancien prince en 2021). Parallèlement, l’ANRM se déchire également et connaît plusieurs scissions. Sa section jeunesse a perdu en activité même si elle décide de se réorganiser sous le nom d’Association des jeunes royalistes « inquiète du chaos moral que pourrait entraîner la cristallisation des passions au sein des luttes politiques actuelles (et qui) pensent qu’il est désormais indispensable de s’unir autour de l’idée et de la sagesse du Trône (…) ». Avec une lignée de succession exclusivement féminine, beaucoup appelle la princesse Margareta à se réconcilier avec son neveu, seule option qui permettrait à l’idée monarchique d’être pérenne et de gagner en puissance. Jusqu’ici en dépit de quelques timides rencontres lors de cérémonies officielles, la curatrice du trône a refusé tout pardon alors que Nicholas Medforth-Mills se dit prêt à assumer son devoir ou entrer en politique (l’époux de Margareta, Radu (Dadu) de Roumanie, ancien représentant spécial du gouvernement roumain pour l’intégration, la coopération et le développement durable entre 2001 et 2008, a vainement tenté de se présenter à l’élection présidentielle, crédité de 12% des voix).
« La couronne qui protégeait le peuple roumain doit être rendue aux Roumains. La monarchie est le garant d’une réelle démocratie purifiée. Elle n’appartient pas à une certaine catégorie de citoyens mais à chacun d’entre nous et nous rassemble » a récemment déclaré le PNTCD qui est subitement revenu à ses premiers amours. Et cela résume tout. L’idée monarchique est aujourd’hui soumise au bon vouloir de la volonté d’un parlement (qui a tendance à faire un pas en avant, deux pas en arrière sur le sujet) et de partis politiques qui s’en revendiquent au gré de leurs intérêts. Notamment lors des élections où chaque candidat se précipité au Palais Elizabeth. Pour Daniel Sandru, professeur de Sciences politiques, interviewé par DC News afin d’évoquer ce débat qui agite les milieux politiques, il est probable que « dans un avenir proche ou lointain, le moment viendra où il faudra se poser la question d’un retour au régime monarchique ». « Nous ne devons pas hésiter à changer la constitution : la plupart des principaux partenaires européens non seulement en parlent tout le temps, mais mettent régulièrement en œuvre des amendements constitutionnels. Nous ne devons pas non plus nous abstenir d’exiger que nos politiciens soient incorruptibles, mais aussi agir avec un sens de la responsabilité nationale. Ce n’est pas seulement une aspiration à un idéal ; c’est une exigence absolue. Mon Père a mené une vie dans laquelle il n’a jamais fait de compromis sur les principes qui lui étaient chers, mais n’a également jamais considéré aucun devoir comme étant au-dessous de sa dignité, s’il aidait sa nation. Je suis déterminé à continuer sur ses traces » a déclaré, quant à elle, la princesse Margareta.
Frederic de Natal