C’est un contentieux financier qui dure depuis 2013 entre les héritiers de la monarchie Sulu, une royauté située aux Philippines, et le gouvernement malaisien de Kuala Lumpur accusé d’occuper illégalement l’île de Sabah. Après une vaine tentative de reconquête armée de cette île, privés de leur rente, le litige a été porté devant la cour européenne d’arbitrage par les descendants du sultan Jamalul Kiram II déchus de leur trône par les Américains en 1917. La cour a statué en leur faveur et condamné la Malaisie à une amende record.
L’affaire n’en finit pas de diviser la Malaisie qui s’agace de l’ingérence persistante de l’Europe dans ce qu’elle considère comme son pré-carré national. Depuis 2013, les descendants du sultan Jamalul Kiram II se battent devant la cour de justice européenne afin de récupérer la rente dont ils ont été privés par Kuala Lumpur. Un contentieux qui remonte à plus d’un siècle. En 1878, le sultanat de Sulu, situé aux Philippines, accorde à la British North Borneo Company l’autorisation d’utiliser l’île de Sabah, en Malaisie, moyennant une redevance annuelle. Mais les traités signés par les deux parties en présence sont loin d’être identiques. La version anglaise mentionne une cession des terres aux Britanniques quand la version philippine ne parle que de location. Peu de temps après, ce sont les Américains qui entrent dans le jeu politique local. Les États-Unis s’étant assurés le soutien du sultan Jamalul Kiram II (monté sur son trône en 1894 à l’âge de 10 ans ) contre les Moros, ce dernier décide finalement de soutenir les rebelles qui se battent afin de juguler l’expansion américaine aux Philippines. Parallèlement, le sultan cède d’autres terres au gouvernorat britannique de Bornéo. Des décisions qui vont affaiblir cette monarchie esclavagiste, vieille de quatre siècles, qui conversait avec la Sublime Porte (Turquie), et reconnue pour sa culture perlière, attirant toutes les convoitises étrangères. Le sultan Jamalul Kiram II est contraint de soumettre aux américains qui s’empressent de mettre fin à son règne et d’abolir le sultanat en 1917.
Un conflit dynastique qui perdure
Nommé sénateur entre 1931 et 1934, le sultan Jamalul Kiram II décède deux ans plus tard la fin de son mandat. Il n’a que des filles et la loi de succession n’autorise pas qu’elles montent sur le trône. Le conseil royal finit par désigner son plus jeune frère, Muwalill Wasit II, comme successeur direct. Un règne qui ne durera que 6 mois. Il est mystérieusement assassiné en novembre 1936. Avec la proclamation de l’indépendance des Philippines, le sultanat de Sulu souhaite récupérer sa souveraineté incluant l’île de Sabah, passée entre les mains malaisiennes et que celles-ci conserveront en 1963. Le sultan Ombra Amilbangsa, député depuis 1943, accuse Manille, le siège du gouvernement des Philippines, de laisser à l’abandon le sultanat qui n’a théoriquement plus aucun pouvoir. Le président Diosdado Pangan Macapagal (un cousin du sultan ? ) décide alors de reconnaître le sultanat et accepte la nomination de Mohammed Esmail Kiram Ier comme nouveau souverain en 1964. Pour autant, le sultanat reste inclus au sein de la république. Son fils et successeur, Mohammed Mahakuttah Abdullah Kiram (de 1974 à 1986), sera également reconnu par le président Ferdinand Marcos. L’actuel prétendant, le sultan Muedzul Lail Tan Kiram (56 ans) est contesté par une seconde branche qui revendique la légitimité du trône depuis 1980 et dont la figure emblématique a été Jamalul Kiram III. Très actif politiquement, la tentative de débarquement en février 2013 de ce dernier sur l’île de Sabah avec ses partisans (Armée royale de Sulu), afin de l’occuper, se soldera par 60 morts après de violents affrontements entre royalistes et policiers malaisiens. Assez pour attirer l’œil de la presse internationale qui découvre le litige qui oppose la monarchie Sulu à la Malaisie. Dans un communiqué, le sultan Muedzul Lail Tan Kiram implore son concurrent et ses soldats de « déposer les armes et à rentrer chez eux de sorte que leurs griefs soient abordés à travers un dialogue sobre et productif ». « J’exhorte les autorités malaisiennes à gérer la situation de manière pacifique. Je répète que nous avons besoin de trouver une issue pacifique à la situation de Lahad Datu afin d’éviter un bain de sang » déclare le sultan comme le rapporte le quotidien Le Monde. Jamalul Kiram III va finalement accepter un cessez-le-feu quelques semaines plus tard. Il maintiendra cependant ses revendications jusqu’à son décès en octobre de la même année. Aujourd’hui encore, la maison royale de Sulu est encore l’objet d’un conflit dynastique. Les héritiers de Kiram III (représenté par le rajah Phugdalon Kiram II) continuant de se considérer comme les seuls héritiers au trône..
Sultan Muedzul Lail Tan Kiram as the legitimate holder of the title as head of the Sultanate based on the line of succession will negotiate with the head of the Malaysian delegation over the Sabah issue…
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— Daily Tribune (@tribunephl) August 1, 2022
Une compensation à plusieurs millions d’euros
À la suite de cette invasion, Kuala Lumpur décide de rompre l’accord financier de compensation qui la lie avec les descendants de Jamalul Kiram II. Depuis deux ans, la Malaisie ne fait qu’ignorer toutes les audiences qui ont lieu en Europe alors que le pays est pourtant membre de la convention internationale sur l’arbitrage. La monarchie fédérale n’a probablement pas d’autres choix que de se conformer à la décision qui a été récemment prise par un juge espagnol, basé à Paris. S’il a été reconnu que la Malaisie avait bien violé le traité de 1878, le juge Gonzalo Stampa a condamné Kuala Lumpur à payer une somme se chiffrant à plusieurs millions d’euros à la maison royale de Sulu, a accordé 15% des revenus tirés des combustibles fossiles et de l’huile de palme depuis 2013 aux héritiers des sultans et ordonné la saisie des actifs appartenant à Petronas, la société pétrolière nationale malaisienne située au Luxembourg, confirmé par le Financial Times. L’affaire est devenue d’État en Malaisie. Le parlement accusant le gouvernement de laisser brader son patrimoine quand, sur l’île de Sabah (considérée comme une des plus dangereuses de la mer des Philippines en raison de la présence de terroristes islamistes), des voix s’élèvent afin de comprendre pourquoi ces revenus doivent aller aux héritiers de Sulu alors qu’ils ne dépendent plus d’eux comme l’explique The Economist.
Dans un message publié sur sa page Facebook, le sultan Muedzul Lail Tan Kiram, le seul reconnu par Manille, qui a reçu le soutien du nouveau président Ferdinand Bongbong Marcos Jr, a prié tous les héritiers reconnus de Jamalul Kiram II de ne faire aucune déclaration officielle et à ses partisans de s’abstenir de suivre des faux comptes se revendiquant de sa famille. Une manne financière qui ne va pas manquer d’attirer tous les membres de la maison royale de Sulu dont la quasi-majorité vit dans une certaine pauvreté. Mieux vaut prévenir que guérir.
Frederic de Natal