La reine Elisabeth II, comme le racontait notre premier numéro paru en mars dernier, a traversé des changements majeurs tout au long de son règne de soixante-dix ans, et était devenue l’incarnation de la présence de l’histoire dans la vie quotidienne de son peuple mais aussi de toute la planète, qui la tenait pour l’exemple-même de ce qu’est un souverain.

Née dans l’entre-deux-guerres, à une époque où son père n’était pas appelé à régner, elle était devenue, en l’absence d’un frère, l’héritière présomptive du trône de Grande-Bretagne et d’Irlande en 1936, à l’issue de la crise d’abdication de son oncle Edouard VII. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la jeune princesse avait joué un rôle discret de soutien aux troupes britanniques, et même rejoint la branche féminine de l’armée ; son mariage avec le prince Philippe, en 1947, avait été comme le signal de fin des privations endurées par toute la nation pendant et après le conflit. Lorsque son père, affaibli par les sacrifices exigés par la guerre, mourut en 1952, Elisabeth devint reine, et souveraine d’un empire colonial dont le délitement était déjà bien entamé, reflet du déclin du Royaume-Uni comme puissance mondiale. Elle joua cependant un rôle de premier plan dans l’établissement du Commonwealth, qui devait faire perdurer les liens créés entre l’ancienne puissance coloniale et les pays nouvellement indépendants : de manière purement honorifique, elle était encore en 2022 le chef de quinze états.

Couverture de la Revue Dynastie

Le 6 septembre, Elisabeth II avait confié la tâche de former un gouvernement à son quinzième premier ministre, Liz Truss, dernière d’une succession qui avait commencé avec Winston Churchill. La reine a été le témoin des crises politiques et sociales des années 70, de la fin du monde bipolaire en 1991 ; elle a connu la résurgence des sentiments nationalistes au Pays de Galles et surtout en Ecosse au cours des dernières décennies, et elle a vu son royaume adhérer, puis, tout récemment, quitter l’Union Européenne. Tandis que la plupart des souverains d’Europe abdiquent dans leur grand âge, Elisabeth II est restée, imperturbable, sur le trône, à travers toutes les épreuves.

Premier souverain britannique dont le couronnement a été filmé et retransmis en direct à travers toute la planète, elle fut aussi la reine la plus exposée aux humeurs changeantes de la presse, qui ont marqué son règne, souvent pour le pire. L’intrusion des journalistes dans le mode de vie traditionnel de Buckingham se fit sentir à de nombreuses reprises, et certainement de la manière la plus forte en 1997, lorsque Diana, la Princesse de Galles, divorcée de son fils aîné, mourut dans un accident de voiture à Paris : la popularité de la reine fut entamée par ce qui fut considéré comme son indifférence au drame et à la peine de la nation tout entière. Cet obstacle surmonté, dans les deux dernières décennies de sa vie, Elisabeth II n’a jamais plus eu à craindre de retournement d’une opinion publique, qui lui est restée acquise. Son jubilé de platine, qui s’est déroulé au printemps, a vu des foules immenses saluer sa longévité exceptionnelle, et la monarchie garde la faveur d’une majorité confortable de britanniques. La reine a su, face aux aléas politiques et aux scandales qui ont frappé ses proches, adapter la vie de la famille royale aux exigences de la vie moderne, en mettant en valeur la ligne de succession directe aux dépens des branches cadettes.

C’est entourée de sa famille que la souveraine s’est éteinte à Balmoral, son château des Highlands en Ecosse, qui lui venait de son arrière-arrière-grand-mère la reine Victoria, où elle passait depuis toujours la majeure partie de son été. Sa sœur la princesse Marguerite, décédée en 2003, et son époux le prince Philippe, qui fut un soutien constant et solide, décédé l’année dernière, l’avaient précédée ; elle laisse derrière elle quatre enfants, huit petits-enfants, et onze arrière-petits-enfants. Parmi eux, le nouveau roi, Charles, qui va devoir assumer l’héritage monumental d’une mère qu’on aurait presque pu croire éternelle, et devenir le premier souverain vraiment né dans l’ère moderne.

Eloi d’Avoncs