L’annonce de son décès a fait le tour de la presse internationale. Dimanche 28 novembre, le ministre cambodgien de l’Information a publié un communiqué confirmant le décès du prince Norodom Ranariddh à l’âge de 77 ans. Demi-frère du roi Norodom Sihamoni, il a été une figure indissociable de la vie politique locale et le dernier témoin d’une époque révolue.
Lorsqu’il naît le 2 janvier 1944, le Cambodge est partie intégrante de l’Indochine française, vaste colonie française regroupant son pays, le Laos, l’Annam, le Tonkin et la Cochinchine. Son père, le roi Norodom Sihanouk règne depuis trois ans, imposé sur son trône par la France qui a eu tôt fait d’écarter l’héritier naturel, le prince Sisowath Monireth, jugé trop proche des indépendantistes. Très vite, dans les langes, Norodom Ranariddh est confronté aux soubresauts politiques de son pays. Le coup de force des japonais en mars 1945 (qui organise un véritable massacre des français en quelques heures dans toute la colonie) contraint le souverain à proclamer l’indépendance de son royaume tout en refusant la moindre collaboration avec Tokyo. Le retour de la France, rappelée par la monarchie, sauve l’institution monarchique jusqu’à la fin de la colonisation en 1955. C’est dans cette atmosphère qu’il grandit, loin de sa mère, une danseuse de ballet, et sous l’œil de ses tantes. Primaire dans une école française, il débarque à Marseille en 1958 avec son demi-frère, le prince Norodom Chakrapong. Direction Paris pour des études de droit trois ans plus tard mais le prince royal va avoir du mal à se concentrer, attiré comme un papillon par la magie de la ville lumière.
Leader du FUNCINPEC
Le palais royal intervient, le renvoie dans le sud de la France. Licence, maîtrise, doctorat en 1969, le prince repart vivre au Cambodge pour intégrer un poste de secrétaire au ministère de l’intérieur ( janvier 1970). Il retrouve un pays politiquement chaotique et constate l’omniprésence des américains dans un Cambodge menacé par ses voisins vietnamiens. C’est la dernière monarchie qui n’est pas tombée entre les mains des communistes grâce au roi qui a mis un place son « socialisme bouddhique ». Pourtant en mars suivant, Norodom Sihanouk (devenu simple chef d’état) est renversé par un putsch organisé par le général Lon Nol et le prince Sisowath Sirik Matak, cousin du monarque. La guerre civile éclate et le jeune prince rejoint son père dans le maquis. Plusieurs fois arrêté et emprisonné, il finit par s’exiler en France pour y prendre un poste de professeur en université puis de chargé de recherche au CNRS (1976-1979).
Porté sur les fonts baptismaux en mars 1981, le Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif (Funcinpec) devient le parti du roi Norodom Sihnaouk. Il est en désaccord avec son père qui s’est allié aux Khmers rouges qui l’ont pourtant isolé de la scène politique et qui ont organisé un massacre de masse au nom du marxisme. Cette proximité a permis au souverain de retrouver un poste de chef d’état entre 1975 et 1976 mais a créé de nombreuses dissensions entre le père et fils. Sans compter les influences chinoises, américaines qui considèrent le pays comme un vaste jeu d’échiquier. Ce n’est qu’en 1983 que Norodom Ranarridh accepte de rejoindre le mouvement dont il va progressivement gravir les échelons et qui s’impose progressivement comme un des initiateurs la paix, signée à Paris en 1991. Un accord de partage de pouvoir avec le Parti du peuple cambodgien (PPC) d’Hun Sen qui va contribuer à raviver les tensions politiques, une fois tous deux nommés co-Premier ministres d’une monarchie restaurée (1993).
Du pouvoir à l’opposition
S’ensuit une longue confrontation entre Norodom Sihanouk et Hun Sen qui va tourner à l’avantage de ce dernier. Des combats vont éclater entre les gardes des deux dirigeants en juin 1997. Chacun des protagonistes accusent l’autre de vouloir mettre en place une dictature rouge. Le 6 août, Norodom Sihanouk est destitué de ses fonctions au grand dam du monarque qui menace de prendre lui-même le contrôle du gouvernement. Désormais dans l’opposition, le Funcipec va décroître au fur et à mesure des élections qui se succèdent, favorisant un PCC qui renforce son influence sur tout l’appareil d’état. Pour le fils du roi, nommé Président du Parlement (1998-2006), c’est la chute libre. Alternant période d’exil et tentative de retour à la vie politique sous différents logos et de partis plus ou moins éphémères, il est reconnu coupable de fraudes et de détournement de fonds. Il sera gracié en 2008. Une traversée du désert lui permet toutefois de revenir dans l’espace politique cambodgien après avoir noué une alliance avec son rival.
Au décès de Norodom Sihanouk (2012), la question de sa succession se pose. Au sein du palais, les négociations se jouent. Pour le défunt roi, la montée sur le trône de son fils ne faisait pas de doutes mais il craignait parallèlement que ce soit aussi la fin du mouvement royaliste. De son propre aveu, le prince Ranariddh estime que sa « personnalité franche et passionnée » en font un mauvais candidat. Son demi-frère, Norodom Sihamoni, est la seconde option mais ce dernier, plus intéressé par la danse que la couronne, trouve que cette charge « est effrayante ». Finalement, dans cette vraie-fausse joute Norodom Ranaridhh va finalement choisir le Funcinpec et laisser Sihamoni prendre les rênes d’un pays sur lequel il n’a pas réellement de pouvoirs. Un choix que va approuver Hun Sen qui apprécie le nouveau monarque très apolitique.
Scission, crise de leadership, le parti du prince Norodom Ranariddh n’a plus de poids électoral mais demeure une épine dans le pied du Premier ministre Hun Sen. En pleine campagne électorale en juin 2018, il est victime d’un étrange accident de la route qui va lui laisser d’importantes séquelles et provoquerr le décès de sa deuxième épouse, Ouk Phalla (39 ans, descendante d’un roi Sisowath). Il ne s’est jamais réellement remis de cet accident, laissant un parti orphelin et en proie à des dissensions internes. Dans son communiqué, Hun Sen a déploré « la perte d’un remarquable dignitaire royal qui aimait la nation, la religion et le roi ». Il laisse trois enfants de son premier mariage [Chakravuth (né en 1970), Sihariddh (né en 1972) and Rattana Devi (né en 1974)] et deux autres de son second mariage, [(Sothearidh (born 2003) et Ranavong (born 2011)] .
Frederic de Natal