Redoutable politique, premier ministre préféré de la reine Elizabeth II, dès le début de la Seconde guerre mondiale, Winston Churchill avait saisi l’aspect civilisationnel du conflit et la menace qu’il faisait peser sur l’Occident. Peu de temps après la défaite française et l’Appel du général de Gaulle, il adresse à son tour un discours galvaniseur aux français. Un speech qui va préfigurer les premiers contours de la Résistance en devenir. 

L’arrivée au pouvoir de Winston Churchill comme premier ministre, le 10 mai 1940, annonce clairement une rupture avec la politique de son prédécesseur qu’il jugeait trop faible et lâche. Les accords de Munich (1938), auxquels avait participé le premier ministre Neville Chamberlain, avait achevé de ruiner la réputation d’un homme à la carrière politique controversée. Une fois à la tête du gouvernement, la politique de l’Angleterre initiée par Churchill devient celle de la guerre sans aucune condition dès lors que les nazis déclenchent les hostilités en occupant la Pologne (1939). L’invasion de trop. Lorsque le maréchal Pétain entre dans la collaboration, peu de temps après l’armistice du 22 juin 1940, Winston Churchill estime qu’il est le seul, le dernier rempart à la barbarie et la tête de pont d’une résistance à structurer. Il décide de s’adresser aux Français. Michel Saint Denis, dans son livre Deux jours avec Churchill, écrira à ce propos : « Ce que je veux, c’est être compris selon moi tel que je suis et non tel que vous êtes – même pas selon la langue française. N’essayez pas de me faire parler trop bien ! » . Churchill l’expliquera lui-même  dans ses Mémoires : ce qu’il voulait, c’était « l’esprit de ce que je pouvais dire en anglais, et sentir en français ». »[i]

Le général de Gaulle (à droite) et Winston Churchill à Paris en 1944. [Roger-Viollet – AFP]

Un discours galvaniseur 

C’est sur les ondes de la BBC, le 21 octobre 1940, que Churchill va parler aux Français pour la première fois depuis le début de la guerre. Un speech diffusé dans une émission bien connue de l’époque, Les Français parlent aux Français de Jacques Deschenes ( le vrai nom de Michel Saint Denis). Cette émission, créée le 7 juillet 1940, avait pour but de nouer les liens entre les Français du continent et ceux qui avaient gagné l’Angleterre en bateau. Elle se déroulait tous les jours pendant une demi-heure, tentant de motiver les français afin qu’ils se battent  contre l’ennemi par tous les moyens possibles. Churchill connait bien l’histoire de France en raison des liens familiaux qu’il partage avec ce pays. Du côté de sa mère, il descendait d’une famille huguenote qui avait immigré aux États-Unis pendant les guerres de religion. Il parlait d’ailleurs très bien le français mais avec un fort accent. Jacques Deschenes traduira d’ailleurs le discours pour le rendre plus audible.  Il a ses héros, Gambetta en est un parmi tant d’autres. « Quand vous pensez à l’avenir, rappelez-vous les mots de ce grand Français que fut Gambetta » disait Winston Churchill afin de galvaniser ses amis français. Ne rien céder, pas une pousse de territoire et protéger le Royaume-Uni de la folie nazie. « Français, c’est moi, Churchill, qui vous parle. Pendant plus de 30 ans, dans la paix comme dans la guerre, j’ai marché avec vous et je marche encore avec vous aujourd’hui sur la vieille route » déclare le vieux Lion au début de son discours qui fait mouche. Pour ceux qui l’auront entendu. La volonté de Churchill est avant tout de  rappeler aux français quel est le vrai combat à mener, celui de sortir de ce sentiment de décadence qui les a envahi depuis une décennie. « Français, armez vos cœurs à neuf avant qu’il ne soit trop tard » poursuit-il. Des propos qui appellent à la résistance.  Churchill craignait que la popularité dont bénéficiait le maréchal Pétain fasse basculer totalement la France dans une alliance avec Berlin. Son discours ne laisse pas de place aux doutes. « Ce que nous vous demandons, au milieu de nos efforts pour remporter la victoire que nous partagerons avec vous, c’est que, si vous ne pouvez pas nous aider, au moins vous ne nous fassiez pas obstacle  » continue le premier ministre.

Résistance, un credo pour Churchill 

La guerre des ondes devient donc une arme de propagande afin d’encourager les Français qui sont réticents à poursuivre la guerre. Un discours qui s’avère aussi paradoxal sur certains points.  En effet, s’adressant au peuple plutôt qu’à la nation française pour laquelle il a une grande estime, le discours prononcé est avant tout celui d’un combat idéologique, celui d’un combat pour sauver une civilisation qu’il va évoquer à de nombreuses reprises. Dès 1940, les alliés comprennent bien que le combat à mener n’est pas simplement une guerre de territoire, ce n’est plus simplement l’Alsace-Lorraine qui est la raison du conflit, (bien que cette question soit encore importante dans l’opinion française), c’est le combat des régimes totalitaires conte la liberté que Churchill expose dans son discours : « Non seulement l’empire français sera dévoré par ces deux vilains messieurs, mais l’Alsace-Lorraine va une fois encore repasser sous le joug allemand […]. Mais Herr Hitler ne songe pas seulement à voler le territoire des autres peuples et à en distraire quelques morceaux pour les lancer à son petit camarade. Je vous dis la vérité et il faut que vous me croyiez : cet homme de malheur, ce monstrueux avorton de la haine et de la défaite n’est résolu à rien moins qu’à faire entièrement disparaître la nation française, qu’à broyer sa vie même et son avenir ».

Si ce discours utilise le lexique de la terreur et des heures sombres que vont vivre les nations d’Europe, Churchill n’appelle pas à un combat en vain. Tout au long du discours, le premier ministre montre toute son amitié envers la France. Dans un but commun, celui de la liberté : « Dormez bien, rassemblez vos forces pour l’aube, car l’aube viendra ». C’’est en concluant son discours par cette phrase, que Churchill lancera son grand appel à la résistance : « Et vive aussi le soulèvement des braves gens de tous les pays qui cherchent leur patrimoine perdu et marchent vers les temps meilleurs ». Il faudra encore 5 ans avant que l’Europe retrouve la paix. Du moins en apparence.

Antoine Bottineau

[i] Deux jours avec Churchill, edit.Aube, 2008, Michel Saint Denis alias Jacques Duschene, p.32