Une statue de plein-pied de la reine Géraldine a été dévoilée hier, érigée près du ministère de la Justice. Des centaines de personnes ont assisté à la cérémonie d’inauguration. Parmi les personnalités, l’ambassadeur de Hongrie et le prince Leka II, actuel prétendant à la couronne d’Albanie qui n’a pas caché son émotion.  Dans un bref discours, son petit-fils a rappelé le rôle important joué par cette comtesse hongroise dans la construction d’un pays malmené par les affres de l’Histoire. Retour sur le destin extraordinaire de la reine Géraldine Apponyi de Nagyappony . 

« Votre Excellence, monsieur Sztáray, merci du fond du cœur pour avoir été présent aujourd’hui pour cet événement remarquable. Ça signifie beaucoup pour nous. Veuillez adresser nos remerciements au petit gouvernement hongrois pour le financement de cette œuvre d’art qui décorera aujourd’hui l’une des artères centrales de notre ville ». Hier, la municipalité de Tirana a dévoilé la nouvelle statue de la reine Géraldine, érigée en hommage à la grand-mère du prince Leka, prétendant à la couronne d’Albanie.

Le roi Zog et la reine Géraldine

Une comtesse courtisée par un roi

Nous sommes en 1937 lorsque le destin de Géraldine Apponyi de Nagyappony bascule. Elle a touut juste 22 ans. Cette jeune comtesse appartient à une famille qui a donné d’illustres personnages à la Hongrie, parfois rebelles, parfois fidèles à la couronne austro-hongroise. Son père, Gyala, a été maréchal de Palais jusqu’à la chute du royaume de Hongrie. Exilée avec sa famille afin d’échapper aux exactions des communistes de Bela Kun, elle revient dans son pays de naissance en 1921. La Hongrie redevenue une monarchie sans roi, tous les espoirs sont permis. Sa mère, Gladys Virginia Steuart , est la fille d’un diplomate américain qui va convoler avec un officier français après le décès de Gyula en 1924. D’écoles en écoles, de châteaux en châteaux, son enfance ressemble à un beau conte de fée. Mais la fortune familiale finit par fondre comme neige au soleil et la comtesse doit travailler pour subvenir à ses besoins, gagner en indépendance.

Mariage royal à Tirana en 1938 @Dynastie

C’est à Vienne que cette Géraldine, « cheveux platinés, yeux bleus, lèvres pulpeuses, souriante et fraîche » va rencontrer le roi Zog Ier d’Albanie. A 42 ans, il est toujours célibataire et avait déjà jeté un regard sur cette famille des années auparavant. S’il est sous le charme de cette pétillante comtesse, il a aussi compris qu’un tel mariage pourrait lui apporter de prestige pour son pays. Le mariage devient une véritable affaire d’état qui divise la famille de Géraldine et qui craint que cette union n’entache leur blason. Même la jeune fille confesse ne rien savoir de l’Albanie à la réputation très sulfureuse. Il faudra l’intervention du régent Horthy pour que les dernières oppositions à cette union ne s’effacent.

Un destin qui se conjugue en albanais

Ahmad Zogu est un homme ambitieux qui a eu l’occasion, le privilège de s’entretenir avec l’empereur François -Joseph Ier et d’assister au couronnement de son successeur. A cette occasion, il a pu mesurer le fossé qui existe entre Vienne et Tirana, la capitale de l’Autriche-Hongrie et de l’Albanie à qui les puissances étrangères ont brièvement donné un monarque allemand. Dès lors, son histoire personnelle va se confondre avec celle de son pays et Zog va se muer rapidement en un redoutable politicien, un fervent patriote qui a de grandes ambitions pour son pays. C’est l’Italie qui va lui permettre de réaliser ses rêves. En peu de temps, l’Albanie se modernise considérablement, il en sera le roi dès 1928. La spontanéité de Géraldine est ce qui manque à la douceur du roi Zog, une main de fer dans un gant de velours pour ses opposants.

« Je veux surtout m’occuper des femmes et des enfants de mon nouveau pays. Je suis heureuse des manifestations de sympathie dont je suis l’objet ; le peuple albanais, en vérité, me comble ; mais ce qui me plaît infiniment, c’est de constater à quel point il ressemble au peuple hongrois. Je connais d’ailleurs fort bien son histoire… ». Lorsqu’elle accorde sa première interview à Paris-Midi, Géraldine est heureuse. Tous ses doutes ont été balayés, la voilà qui va épouser en avril 1938 son prince charmant. Son métier de reine ne l’effraie pas. « Je suis maintenant bien préparée : je veux travailler pour le bonheur du peuple qui m’accueille si affectueusement. Mais l’activité d’une reine doit être surtout d’ordre féminin : je veux avant tout m’occuper des femmes et des enfants de mon nouveau pays ; bref je voudrais être, pour le peuple albanais, ce que fut la reine Elisabeth pour le peuple hongrois » déclare la reine qui va accoucher d’un garçon un an plus tard.

La reine Géraldine @Dynastie

Un long exil au service des albanais

Un bonheur de courte durée puisque la politique étrangère s’invite rapidement à la table des mariés. L’appétit italien va contraindre le roi, Géraldine et le petit Leka, encore dans ses langes, à fuir l’Albanie en avril 1939. Direction Londres pour organiser la résistance de l’intérieur (avec Abbas Kupi, futur fondateur du Parti de la Légalité) comme de l’extérieur. Aucune nation n’a véritablement protesté contre cette agression. La famille royale est livrée à son sort, dans le dénuement le plus total. En quittant le palais royal, Géraldine n’a pas pris le temps de faire ses valises. Un voyage éprouvant qui menace même son état de santé. En exil, ils sont bientôt rejoints par d’autres politiciens, présidents ou monarques victimes des armées du chancelier Hitler. Zog et Géraldine rencontrent le président Edouard Benes qui vilipendent cette « race maudite de hongrois qu’il exterminera, une fois rentré au pouvoir ». On imagine quel impact a pu avoir cette discussion sur Géraldine qui a mieux apprécié son séjour en Roumanie, accueillie avec bienveillance par le roi Carol II. Tout comme celle du roi Farouk d’Egypte après la Seconde Guerre mondiale. La presse ironise sur cette souveraine, ses 35 malles (sans mentionner qu’elles ne lui appartenaient pas mais aux exilés qui suivaient fidèlement le couple), sans trône. En 1946, les communistes qui se sont emparés du pouvoir après avoir retourné leurs vestes, s’empressent d’abolir la monarchie. Un choc pour Zog et Géraldine.

 

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C’est elle qui convainc son mari d’accepter la création d’un Front national par les anglais et les américains (1949), en dépit du fait que les anglo-saxons décident que la nature du futur régime serait à déterminer lors de la libération du pays. Ironie de l’histoire, celui-ci n’interviendra qu’un demi-siècle plus tard, truqué et au détriment de l’institution royale, sans que Zog n’ait pu le voir. Epuisé, après avoir tenté d’organiser quelques coups d’État, il meurt dans les Hauts-de-Seine en 1961, une décennie après que le couple se soit installé en France. Dès lors, c’est son fils Leka et son petit-fils du même nom qui vont assumer les prétentions au trône d’Albanie. Elle suit avec passion les événements qui se succèdent derrière le Rideau de fer, s’enthousiasme pour l’insurrection de Budapest en 1956, retient son souffle lorsque son fils complote et applaudit en larmes lorsque ce dernier pose enfin le pied dans son pays en 1993. Elle s’est longuement entretenue avec Mère Teresa, prix Nobel de la Paix, catholique albanais qui se porte au secours des pauvres de l’Inde. Un lien se tisse entre les deux femmes. Résidant en Afrique du Sud, la « Reine-mère » revient en juin 2002 en Albanie. La foule est nombreuse à son arrivée. La souveraine a 87 ans et les partisans de la monarchie brandissent des portraits d’elle au temps de sa splendeur. Le temps a fait son œuvre mais Géraldine n’a jamais oublié ce pays qui a tant fait pour elle. Quatre mois plus tard, elle décède, ses funérailles font l’objet de toutes les attentions du gouvernement. Elle aura eu le temps de voir la réhabilitation de sa famille, de son cher Zog, de la réussite de son petit-fils très attaché à la reine Géraldine et dont il a donné le prénom à sa propre fille, née en octobre 2020.

Le prince Leka, sa fille Géraldine et la princesse Elia Zaharia @blerta_c_photography

Goodbye Albania’s Rose

« Je voudrais remercier spécialement les membres du conseil municipal de Tirana. En choisissant cette merveilleuse place, au milieu du boulevard Zogu I, comme lieu d’hommage à la reine Géraldine, ils ont rempli une mission de continuité historique et pointé du doigt les aspirations du peuple albanais pour l’unité nationale. Monsieur l’ambassadeur et Monsieur le Maire, grâce à votre travail et votre persévérance, l’Histoire se souviendra de vous comme de vrais artisans de paix et de fraternité entre nos nations » n’a pas manqué de rappeler le prince Leka dans son discours, illustrant ainsi la mission que s’est fixée toute sa vie la reine Géraldine, comtesse hongroise devenue rose blanche d’Albanie.

Frederic de Natal