Face au conflit opposant ouvertement la Russie à l’Ukraine, un mouvement politique, constitué de diverses personnalités politiques et culturelles, propose de restaurer l’Hetmanat défunt comme alternative de paix entre les deux pays. La Revue Dynastie vous présente l’histoire des derniers monarchistes ukrainiens, héritiers nostalgiques d’une histoire tumultueuse.
C’est dans la tourmente révolutionnaire que va naître le nationalisme ukrainien. Berceau de la Russie avec la fondation de l’État de Kiev, cette partie de l’Europe de l’Est entre très vite dans la sphère d’influence lituano-polonaise avant de devenir le jouet des grandes puissances monarchiques qui se partagent l’Ukraine, un pays qui n’a pas véritablement de frontières. Au cours du XVIIème siècle, l’hetman cosaque Bohdan Khmelnytsky fonde un embryon de principauté qui va durer de 1649 à 1657 et se terminer avec le décès de son fondateur, depuis considéré comme un héros national. Son rapprochement avec la Russie (traité de Traité de Pereïaslav ) va permettre à ce voisin de conquérir l’hetmanat afin de marquer le renforcement de sa puissance et justifier son appellation d’empire et la mention d’ « Empereur de tous les Rus’ ». Si les cosaques acceptent de devenir des vassaux de la Russie, il faudra toute l’énergie à Catherine II pour venir à bout du Khanat de Crimée en 1783 (l’actuel héritier de la dynastie Giray réside à Londres). Une annexion pure et simple qui ne fit pas naître de protestations à l’époque. A l’exception de la France dont l’ambassadeur fut finalement acheté par Moscou avec des titres et une rente.
L’éveil des nationalismes
C’est à Vyacheslav Lypynsky (1882-1931) que l’on doit le réveil de la conscience nationaliste ukrainienne. Conservateur, il n’entrevoit le futur état que comme une monarchie indépendante. « L’idée de l’Hetmanat ukrainien est l’idée d’un nouveau monarchisme et d’une nouvelle aristocratie avec à sa tête un Hetman héréditaire. Il se tient au-dessus de toutes les castes, partis, classes, et n’appartiendra à personne, de la même manière que le concept traditionnel de la nation ukrainienne ne peut appartenir à personne et n’être le monopole de quelqu’un …L’Hetmanat est une nouvelle forme d’État pour notre Nation, que nous devons créer pour nos fils et descendants à force de travail, de sacrifices et de dévouement… » écrit-il peu de temps avant la révolution bolchévique. Avec la chute des Romanov, une république est pourtant proclamée en novembre 1917, reconnue par la France et l’Angleterre. Avec le traité de Brest-Litovsk (mars 1918), Lénine va livrer le pays aux allemands qui espèrent encore gagner la guerre en créant des principautés à leur botte.
Naissance de l’hetmanat
Face à l’anarchie qui s’installe (le pays devient le théâtre d’affrontements entre russes blancs et communistes), Pavlo Skoropadsky (1873-1945), ancien officier tsariste, s’empare du pouvoir (avril 1918) et instaure une monarchie qui ne fait pas l’unanimité. Il justifie sa prise de pouvoir affirmant « qu’il a répondu à l’appel des masses ouvrières du peuple ukrainien ». Pour les uns, c’est un collaborateur des allemands, pour les autres un pro-russe qui souhaite créer une fédération avec Moscou. Soutenu par les propriétaires terriens et les intellectuels, cet Hetmanat aura une courte durée de vie, 7 mois, à son tour renversée par un coup d’état qui porte au pouvoir l’opposant Simon Petlioura libéré de sa prison peu de temps avant. Très controversé en raison de son pouvoir personnel et son antisémitisme notoire (qui a conduit son régime a faire des pogroms de grande ampleur), l’homme est aussi considéré par les plus nationalistes des ukrainiens comme un autre héros national. Il sera d’ailleurs assassiné à Paris par un anarchiste juif (agent communiste ?) en 1926. Devenue soviétique, Staline va modeler le pays territorialement jusqu’au rattachement de la Crimée par Nikita Khrouchtchev.
En exil en Suisse, puis en Allemagne, Pavlo Skoropadsky prend la tête d’un mouvement de l’Hetmanat avec Vyacheslav Lypynsky qui fonde à son tour l’Union ukrainienne des agriculteurs-hommes d’État (USHD). Un parti qui réclame également la « restauration de la monarchie ouvrière ». Le congrès fondateur de 1922 permet au mouvement unifié de s’étendre dans toute l’Europe (comme l’Institut scientifique ukrainien de Berlin ) et Outre-Atlantique. Une décennie plus tard, les deux hommes se sont fâchés, chacun accusant l’autre de diriger l’opposition de manière « dictatoriale ». Lypynsky fonde un autre mouvement monarchiste et laisse la question du choix de la dynastie à une assemblée dès lors qu’elle sera mise en place. Avant de décéder. Guère loin d’eux, Guillaume de Habsbourg-Lorraine qui a brièvement dirigé une partie de l’Ukraine (1918) revendique aussi le trône et compte un groupe de monarchistes galiciens qui va se rapprocher des scissionnistes. Les allemands qui s’intéressent aussi aux activités des monarchistes ukrainiens tentent de contacter Pavlo Skoropadsky qui refuse tout contact avec Hitler. D’autres à la chancellerie de Berlin échafaudent déjà des plans avec une Ukraine indépendante dont on pourrait mettre à sa tête un Romanov où même Guillaume de Habsbourg. En 1937, l’USHD se dissout à la suite de nombreuses dissensions internes et se reforme sous un autre nom, toujours sous l’égide de Pavlo Skoropadsky.
Une monarchie en exil
Lorsque la Seconde guerre mondiale éclate, les monarchistes se divisent sur l’attitude à prendre. En 1940, le ministère allemand des Affaires étrangères fait un rapport sur les activités de Skoropadsky et écrit que « ses activités doivent être restreintes ». Son fils Danilo (1907-1954) est en Grande-Bretagne afin de tenter de mettre en place une armée de libération nationale, un projet qui rencontre peu d’enthousiasme au Royaume-Uni. C’est pourtant un diplomate accompli, conscient de sa charge d’héritier. « … Le prince d’Ukraine, âgé de 33 ans, pourrait un jour devenir une figure centrale d’un grand soulèvement dont dépendra peut-être le sort de l’Europe et de l’Ukraine » peut-on lire dans un quotidien canadien lors d’une visite à la diaspora ukrainienne d’Amérique du Nord. A Berlin, on s’agace des gesticulations de Guillaume de Habsbourg-Lorraine et les nazis qui ne parient plus sur lui , s’empresse de livrer à la presse des informations sur ses relations masculines avant de s’attaquer aux membres de la maison impériale vivant en Pologne. La disparition de Pavlo Skoropadsky met en avant son fils qui prend les rênes du mouvement de l’Hetmanat. « Comme lui, je servirai toujours et pour le reste de ma vie les plus hautes aspirations nationales et étatiques du peuple ukrainien et sa cause de libération » déclare le prince avec lequel l’opposition refuse de parler en dépit du même objectif fixé : la fin de l’Union soviétique qui permettrait à l’Ukraine de reprendre son indépendance.
Les activités du mouvement monarchiste vont perdre en intensité à son décès suspect (assassiné par le KGB ?). Sa sœur Maria Pavlovna Montresor-Skoropadskaya prend la suite du prince Danilo, se fait appeler « Majesté » par ses partisans avant de décéder à son tour en 1959, à 60 ans. Elizabeth (1899-1976) puis Elena (1919-2014), ses soeurs, vont également diriger ce qui reste d’un mouvement quasi éteint et qui ne représentera plus rien lors de la proclamation de l’indépendance (1991). Pourtant le nom de son père n’a pas été oublié. Elle revient à Kiev, donne des conférences afin de promouvoir l’idée de l’Hetmanat. Depuis 2000, un nouveau mouvement de l’Hetmanat (Union de l’état Hetman a refait surface et a inauguré sa renaissance un an après à Kiev. Leurs activités se bornent surtout à réhabiliter la mémoire de Pavlo Skoropadsky, ses descendants ne souhaitant plus se réclamer de son héritage. « La renaissance de l’État ukrainien et la préservation de l’identité nationale » ne peut que passer par le retour de la monarchie affirme le préambule de leur site. Il n’a cependant aucun poids sur la scène politique locale.
Frederic de Natal