Célèbre famille de bourreaux normands, ils ont exercé leur profession entre 1688 et 1847, avec un zèle et un professionnalisme qui se sont affinés au cours des siècles. La Revue Dynastie vous propose de découvrir le destin des Sanson dont le nom reste associé à l’exécution du roi Louis XVI.
C’est une dynastie à la triste réputation mais qui reste indissociable de l’Histoire de France. Tout commence en 1675 avec le mariage de l’officier Charles Sanson avec Marguerite Jouenne, fille de « l’exécuteur des hautes œuvres ». Devenu aide-bourreau, ses débuts dans ce métier sont difficiles. Un procès-verbal rapporte que Charles Sanson tombe en pâmoison lorsqu’il doit « rompre un (premier) condamné » et qu’il est « hué » par la foule présente en nombre. La méthode va s’affiner au cours des années, assurant ainsi une charge héréditaire aux générations de Sanson à venir.
Charles Sanson II
En 1696, il associe son fils de 15 ans à son activité morbide avant de lui laisser la place deux ans plus tard. Charles Sanson II sera le bourreau d’Angélique-Nicole Carlier, accusée d’avoir tenté à diverses reprises de tuer son époux. Une exécution haute en couleur tant elle trouble le jeune homme par le spectacle qu’elle donne face au billot et qui provoque en lui un certain émoi. Il rate trois fois son coup avant d’enfin séparer sa tête de son corps. Reconnu bourreau officiel au décès de son père en 1707, une seconde affaire fait de lui la star des exécutions publiques. Brigand, chef de bande, Cartouche (de son vrai nom Louis Dominique Garthausen, popularisé au cinéma en 1962 et avec pour vedette Jean-Paul Belmondo) est trahi par l’un des siens après avoir joué au chat et à la souris des années durant avec la police du roi. C’est à Charles Sanson II que revient l’honneur de le rouer vif en place de Grève à Paris, le 28 novembre 1721. Il ne profitera pas longtemps de cette sombre gloire puisqu’il décède quatre ans plus tard, laissant derrière lui un fils en bas âge et une veuve éplorée qui se réfugie dans les bras de son successeur nommé par intérim.
Charles Jean-Baptiste Sanson
Car à la cour de France, on est assez satisfait du professionnalisme des Sanson. Le Régent Philippe d’Orléans nomme même un tuteur à Charles Jean-Baptiste Sanson qui commence son métier glaçant à l’âge de 7 ans auprès de son beau-père. C’est en 1739 qu’il reçoit la charge officielle « d’Exécuteur de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris ». Marié deux fois, on reste dans la tradition. Sa seconde épouse est elle-même fille et petite-fille de bourreau à Etampes. Frappé par une attaque et à demi-paralysé, il laisse sa charge à son fils Charles-Henri en 1754. Sans expérience, l’adolescent de 15 ans est plus préoccupé par la chasse à la gueuse que de s’occuper à exécuter des personnes. Il fait donc appel à François Prudhomme, le beau-père de son père. L’apprentissage est sévère mais efficace. Le jeune homme ne sait pas encore qu’il va devenir l’un des personnages le plus célèbre de l’Histoire de France.
Charles-Henri Sanson
« C’est l’âme à jamais ulcérée que j’ai dû procéder à l’exécution de Louis XVI. Révolutionnaire à l’origine, l’injustice des accusations portées contre le Roi a contribué plus que tout autre chose à me faire revenir de mon illusion. La perfidie des accusations portées contre Louis XVI, l’oubli volontaire des plus simples formes juridiques n’ont montré que trop que sa perte était résolue d’avance ». Ces lignes apocryphes parues dans le « Gaulois » du 21 janvier 1893, cent ans après l’exécution du roi-martyr, ne sont pas de la main d’un royaliste mais de Charles-Henri Sanson. Lorsqu’il apprend qu’il va être celui qui doit guillotiner le roi de France déchu, il a déjà derrière lui une longue carrière d’exécutions. Parmi les condamnés à mort dont il s’est occupé, Damien, qui a tenté d’assassiner Louis XV. Il est devenu le bourreau officiel de la cour de Versailles au décès de son père en 1778. Il prend très à cœur son métier et lorsque le docteur Guillotin perfectionne sa machine afin que tous les condamnés soient égaux devant la mort, il prend la plume pour lui écrire. C’est d’ailleurs en raison de ses mémoires d’outre-tombe (complétée par un certain Honoré de Balzac) que l’on doit cette légende affirmant que c’est le roi lui-même qui acheva de tailler en biseau la lame de la « raccourcisseuse nationale ».
Les regrets apocryphes d’un bourreau
L’homme est un témoin clef de cette période, l’envers du miroir habituellement distillé, cassant certaines caricatures qui entourent cette exécution. « La veille de l’exécution, un jeune homme est venu s’offrir à mourir à sa place, si l’on pouvait lui procurer des habits exactement semblables à ceux du Roi, de manière qu’une substitution pût s’opérer sur l’échafaud sans que la foule s’en aperçut. Une foule d’autres projets, non moins chimériques, me furent confiés. Mon fils faisait partie d’un des bataillons de garde nationale chargés d’assister à l’exécution. Il était parfaitement résolu à se joindre à ceux qui essaient de sauver le Roi. » raconte Charles-Henri Sanson qui révèle un surprenant attachement (quoique lointain) à la monarchie. Il a pu tester la machine sur des animaux. 2498 personnes vont passer sous sa main. Celle de Louis Capet (nom donné au roi par la Convention) reste la plus célèbre. Ici encore, Charles-Henri Sanson nous raconte les derniers instants du roi. « Tout à coup, je vois déboucher un corps de cavalerie, et, peu après, une berline attelée de deux chevaux, entourée d’une double haie de cavaliers. Plus de doute possible, plus d’illusions, c’est le Roi-Martyr qui s’avance. Ma vue se trouble, un frémissement s’empare de moi. Le Roi descend, puis il gravit les marches de l’échafaud. Hélas ! j’ai fait mon devoir. Le Roi est mort, mais ce n’est pas moi qui l’ai tué. Oh ! Pourquoi n’a-t-on pu le délivrer, j’aurais donné mon sang pour ne pas répandre le sien ! Il est mort en Roi, en héros, en saint. Son auguste image ne s’effacera jamais de ma mémoire » nous rapporte celui qui était … partisan de l’abolition de la peine de mort. Loin de cette image sadique qui lui colle encore à la peau de nos jours.
Henri-Clément Sanson
Il a deux fils. Son fils aîné Henri était dans la Garde nationale, son cadet Gabriel avait été éduqué pour reprendre sa charge à sa mort (1806). Le destin en décidera autrement. En 1792, alors qu’il montre la tête d’un condamné à la foule massée, Gabriel trébuche et tombe la tête la première, se fracassant le crâne. C’est donc son premier fils qui va devoir reprendre le rôle peu convoité par les uns et les autres. Henri a participé à l’arrestation de Robespierre le 9 Thermidor (27 juillet 1794). Lui aussi aura ses moments de gloire avec les Quatre sergents de la Rochelle en 1822 ou encore Louvel (celui qui a tué le duc de Berry) en 1820. Son fils Henri-Clément prend la relève à son décès en 1840. Le métier ne le passionne guère, à peine 18 exécutions recensées. Le dernier des Sanson joue aux casinos, perd des sommes et multiplie les dettes qui le mènent en prison. Il gage même la guillotine pour paiement de celles-ci avant que le ministère de la Justice ne s’empresse de les régler. Probable qu’il doive cette faveur en raison des liens sexuels qu’il partage avec le Garde des Sceaux, le comte Nicolas Martin du Nord. Le scandale n’est pas loin et menace un temps la monarchie de Juillet. Conséquence, Henri-Clément Sanson est inscrit au « fichier des pédérastes de Paris » et révoqué. Il meurt en 1886 et avec lui, l’histoire d’une famille entourée d’une réputation sulfureuse.
Frederic de Natal