L’histoire de l’Angleterre a été souvent écrite au féminin. Dans un royaume où la loi salique a été malmenée au cours de son Histoire, les plus importants souverains britanniques ont été des femmes. Leurs figures suffisent à représenter une nation, une civilisation, un empire. Élisabeth II est aujourd’hui  la monarque de tous les records.  Mais pour régner sur cette monarchie si populaire et si respectée de part le monde, d’autres femmes avant elle ont dévoué leur vie à l’Angleterre. La Revue Dynastie rend hommage au règne de Elisabeth Ière et celui de Victoria, deux femmes exceptionnelles séparées par le temps mais que tout rassemble pour le meilleur du Royaume-Uni. 

Elles incarnent à elles seules, toute l’histoire et toute la puissance de l’Angleterre. Rien ne prédestinait pourtant ces deux princesses à monter sur le trône de Guillaume le Conquérant. Pourtant, le sort va en décider autrement. De ces deux règnes, la monarchie Britannique va en ressortir profondément transformée.

Elizabeth , l’âge d’or d’Angleterre

Henri VIII et Anne Boylen, c’est avant tout l’histoire d’une passion orageuse. Leur mariage, secret, en janvier 1533, va accoucher d’une fille, Elizabeth née en septembre suivant. Pour le roi d’Angleterre, cette naissance est une réelle déception. A ses yeux, il lui faut un fils pour héritier et sa nouvelle épouse sera bien en mal de lui donner. Le roi finit par s’abandonner dans d’autres bras. Fidèle à sa réputation, il n’aura pas de scrupules à la faire décapiter trois ans plus tard  et à déclarer illégitime leur enfant dont il ne veut plus entendre parler. Élisabeth est envoyée dans l’est de l’Angleterre où des précepteurs lui donnent une éducation à la fois stricte et humaniste. Mais la jeune princesse est  déjà la souveraine d’un royaume de solitude qui l’accompagnera tout au long de sa vie. Aucun enfant de son âge n’est autorisé à l’approcher. Seules lui offrent un peu d’affection, sa gouvernante Kat et la veuve de Henri VIII, Catherine Parr, remariée à Thomas Seymour, frère la troisième épouse d’Henri VIII.  Il va prend en charge son éducation, après la disparition de Catherine en 1548 mais agit en véritable tyran avec Elizabeth. Certains textes affirment même qu’il l’aurait même agressée sexuellement. A la mort prématurée de son demi-frère Édouard VI en 1553, c’est une jeune femme de vingt ans qui s’apprête à prendre son destin en main. Face à elle, Marie Tudor, sa demi-soeur, qui est montée sur le trône. Le mariage de cette dernière avec Philippe II d’Espagne ne donnera aucun enfant et celle qui va être surnommée, Marie la Sanglante, va sombrer peu à peu dans la paranoïa. Elle suspecte Elisabeth de comploter contre elle et décide de la faire emprisonner à la Tour de Londres en 1554, avant de l’envoyer en résidence surveillée. L’Histoire est facétieuse, capricieuse et revancharde. Le 17 novembre 1558, Marie Tudor meurt sans jamais avoir signé l’acte d’exécution d’Elizabeth, enfin couronnée souveraine d’Angleterre. Avec l’aide de son principal conseiller William Cecil, Élisabeth Ière va inaugurer le premier âge d’or de l’Angleterre.

Victoria, le destin d’une reine

Trois siècles plus tard, une petite fille débute dans la vie avec une jeunesse similaire. Alexandrina Victoria voit le jour au palais de Kensington en 1819. Petite-fille de George III, elle n’est alors que cinquième dans l’ordre de succession. Son père, Édouard de Kent, décède quelques jours seulement avant le vieux monarque en 1820. Avec l’ancien écuyer de son époux John Conroy, sa mère Victoire de Saxe-Cobourg-Saalfeld met en place le « système de Kensington ». C’est en fait une véritable discipline militaire que déteste la jeune fille. Enfermée dans ce palais, la princesse n’a pour compagnie que ses poupées et son chien. Elle reçoit une éducation digne de son rang, mais sa mère lui impose sa présence constante, jusqu’à dormir dans la même chambre qu’elle. Victoria va coiffer à son tour la couronne de manière inattendue. Son oncle George IV avait eu une fille, Charlotte, mariée en 1816 au futur Léopold Ier de Belgique, mais qui était morte en  couches. George IV meurt à son tour en 1830 et lègue la couronne à son frère Guillaume IV. Devenu roi à soixante-cinq ans, celui-ci n’aura jamais d’enfant légitime. Victoria est ainsi désignée comme héritière d’un trône dont elle était pourtant généalogiquement éloignée. Sa vie bascule et plus vite qu’elle ne pense. Le 20 juin 1837, elle décrit dans son journal, un événement qui  va précipiter en quelques heures son destin : « J’ai été réveillée à 6 h par Mamma qui me dit que l’archevêque de Cantorbéry et Lord Conyngham étaient là et qu’ils voulaient me voir. Je suis sortie du lit et me suis rendue dans mon salon (en ne portant que ma robe de chambre) et seule, je les ai vus. Lord Conyngham m’informa que mon pauvre oncle, le roi, n’était plus et avait expiré à 2h12 ce matin et que par conséquent je suis reine ».  Elle sera terrifiée à l’idée de régner sur ce pays qu’elle adore. Malgré tout, le Royaume-Uni ne va pas tarder à prendre un chemin nécessaire à sa survie, celui de profondes réformes industrielles qui va changer son visage et accentuer sa puissance au delà des mers. 

Carte de l’Empire Britannique

Au nom de l’Angleterre

Noceur invétéré, Henri VIII avait décidé de créer sa propre église après la refus de Rome de faire annuler son mariage avec Catherine d’Aragon.  Le royaume avait sombré dans la guerre civile entre catholiques et protestants avant que ces derniers ne s’imposent sur l’ensemble du pays. L’Église d’Angleterre naît réellement sous le règne d’Elizabeth Ière qui mêlent les deux rites , établissant en 1563 les « Trente-neuf Articles » qui énoncent  la doctrine et les pratiques anglicanes . Par l’Acte de suprématie, elle en devient même le gouverneur suprême en 1559. La religion va régir la vie de la souveraine à qui on ne connaît que des amours contrariés.  Sous son règne,  la culture prend  tout son essor. Elle encouragera la création artistique et de grands dramaturges vont glorifier sa personne tels que Ben Jonson ou William Shakespeare. Élisabeth Ière développe la marine anglaise pour en faire l’une des plus puissantes d’Europe. La reine s’efforce de sauvegarder la paix dans tout le royaume. Même si elle fait décapiter sa cousine écossaise Marie Stuart en 1587 afin d’éliminer une concurrente dangereuse. En réponse, Philippe II d’Espagne lance sur les côtes anglaises une Armada., qui n’aura d’ « Invincible » que le nom. La flotte espagnole sera défait, confirmant la place prépondérante de l’Angleterre dans le concert européen et jetant ainsi les les bases d’une domination mondiale avec ses colonies américaines. 

Un flambeau repris et complété par la reine Victoria. Sous l’ère victorienne, Shakespeare reste un auteur populaire. Avec le prince consort Albert, la reine Victoria introduit de nombreuses traditions germaniques. Austère et puritain, Albert marque de son empreinte du règne de son épouse. L’industrialisation du Royaume-Uni va s’ imposer comme la plus grande puissance mondiale de son temps et elle n’hésite pas à soutenir ouvertement la politique colonialiste de son Premier ministre Benjamin Disraeli. Celle qui devient impératrice des Indes en 1888, voit naître un empire où le Soleil ne se couche jamais, à l’instar de celui de Charles Quint, et dont la durée de vie sera à cheval sur deux siècles. Le deuxième âge d’or du Royaume-Uni.

Deux reines, Elizabeth I et Victoria@Wikicommons/Dynastie

Deux figures mythiques

« Je me suis déjà liée à un mari, c’est le royaume d’Angleterre, et cela vous doit suffire. […] Et ne me reprochez point également d’être sans enfants, car chacun de vous et tous les autres Anglais êtes mes enfants et mes parents. »  C’est sur cette célèbre phrase que s’est construit le mythe d’Élisabeth Ière, la reine Vierge, souvent représentées sous des allures de sainte. Le style austère et ses profils de trois-quarts ont figé à jamais l’aspect de la reine Victoria. Ses photographies se retrouvent sur les cinq continents, symboles d’un empire et de la toute-puissance britannique, au cours d’un siècle qui gardera son nom, comme les portraits de sa lointaine prédécesseur dans les nouvelles colonies d’Amérique.  Élisabeth Ière comme Victoria ont créé de leur vivant une véritable légende autour de leur personne. Charismatiques, ces deux reines, quoique séparées par trois siècles, continuent encore de partager une aura inégalée.  Tout comme Elizabeth II aujourd’hui, elles sont l’incarnation millénaire d’une Angleterre qui a rendu pérenne son institution monarchique. 

Kévin Guillot