Issus de la noblesse hongroise, les comtes d’Andrássy sont indissociables de l’histoire de l’empire austro-hongrois. La Revue Dynastie vous propose de découvrir l’incroyable destin de ces magnats dont le nom rime avec celui de la célèbre Sissi.
C’est au roi Jean II (1540-1571) de Hongrie que l’on doit l’entrée des Andrássy par la petite porte de l’Histoire. Très proches de sa mère, la reine Isabelle Jagellon, le monarque souhaite les récompenser de leur fidélité. Il décide de leur attribuer des terres près de Csíkszentkirály (actuellement Roumanie) et un certain nombre de serfs à protéger. Depuis la défaite de Mohács en 1526 face aux Ottomans, le royaume de Hongrie a été dépecé entre l’empire turque, les Habsbourg d’Autriche et la principauté de Transylvanie qui conserve une relative autonomie. Installés dans cette dernière, les Andrássy sont vite confrontés aux rivalités du pouvoir. Quand leur protecteur décède sans enfants, laissant le choix de son successeur entre les mains de la noblesse, ils tentent de se positionner et refusent de soutenir le favori de cette élection, Étienne Báthory (1533-1586). Une fois sur le trône, Báthory confisque tous les biens de cette famille, contrainte de faire amende honorable. Revenus en grâce en 1578, les Andrássy retrouvent titres et châteaux. Un seul dénominateur commun entre ces deux familles rivales, leur haine des Habsbourg et l’amour mutuel qu’ils ont pour la Hongrie.
« Le beau pendu ».
La guerre d’indépendance (1703-1711), menée par le prince François II Rákóczi, va accentuer cette méfiance envers les Habsbourg et c’est tout naturellement qu’une partie de la famille, menée par le Baron István Andrássy (1660 – 1720), va rejoindre le camp des « Kurucs » (anti-Habsbourg) durant toute la période du conflit. Bénéficiant d’une amnistie et intégrés dans la vie politique de la Hongrie autrichienne, les Andrássy restent regardés comme des éternels séditieux par la maison impériale. C’est dans ce contexte que va émerger la figure centrale de cette dynastie : Gyula Andrássy, un étudiant en droit qui se fait très vite remarquer par ses discours enflammés et son adhésion aux thèses libérales du moment. Envoyé sur les bancs du parlement, en 1847 alors qu’il n’a que 24 ans, il obtient la préfecture du comitat de Zemplén. Gyula Andrássy est un nationaliste passionné qui n’hésite pas à embrasser la cause du journaliste Lajos Kossuth lorsque celui-ci lance son insurrection un an plus tard. Il est nommé ambassadeur du gouvernement révolutionnaire qui s’est mis en place et envoyé en mission auprès de la Sublime Porte afin que cet empire vienne en aide aux insurgés, bientôt mis en déroute. Un long exil commence pour celui que le tout Paris surnomme déjà « le beau pendu ».
Le confident de Sissi
Condamné à mort et pendu en effigie, Gyula Andrássy se fait discret tout en faisant l’objet d’une surveillance discrète par la police de l’empereur François-Joseph. Il épouse la comtesse Katharina Kendeffy en 1856 et part vivre à Londres. Le temps passe, le discours s’affine, ses propos se font plus modérés. Seule reste son éloquence qui fait l’admiration de tous. Il accepte finalement de revenir en Hongrie, retrouve son siège de député en 1861 et un poste de vice-président à la Chambre des représentants. Il n’a pas abandonné son combat. Il se fait le chantre de l’autonomie législative, seule voie selon lui qui permettra de faire jeu égal avec l’Autriche et faire front au panslavisme naissant au sein de l’empire. La défaite de Sadowa en 1866 contre la Prusse va contraindre François-Joseph à faire des concessions. Malgré ses réticences, il va faire de Gyula Andrássy son principal interlocuteur. Un duo efficace auquel s’ajoute l’impératrice Elizabeth en Bavière. L’épouse du souverain autrichien, plus connue sous le surnom de Sissi, est une amoureuse de la Hongrie. Elle a rencontré le comte et a développé avec lui une amitié qui va influer sur le cours de l’histoire. En effet, c’est bien à l’impératrice que l’on doit ce compromis qui va accoucher en 1867 d’une monarchie dualiste. François -Joseph et Elizabeth sont couronnés à l’église Matthias de Buda. Avec faste.
Le fondateur de la Hongrie contemporaine
Le couple impérial accorde une totale confiance à Gyula Andrássy. Les mauvaises langues affirment que l’impératrice et le nouveau chef du gouvernement vivent une relation passionnée, que l’archiduchesse Marie-Valérie serait née de cet amour en 1868. Mais rien ne permet d’étayer cela. D’ailleurs la fille de Sissi ressemblera plus à François-Joseph qu’à Andrássy, peu intéressée par la Hongrie et germanophile assumée. Le cinéma décidera pourtant de porter à l’écran cette légende romantique toujours inscrite dans le subconscient européen. La politique de Gyula Andrássy sera marquée par une magyarisation forcée de la Hongrie aux dépens des minorités roumaines et hongroises. Ses talents politiques permettent à l’Autriche-Hongrie de rester neutre durant la guerre franco-prussienne de 1871, François-Joseph n’ayant jamais oublié le sort réservé à son frère Maximilien du Mexique, abandonné à son sort par Napoléon III. Nommé co-ministre des Affaires étrangères, il réussit à incorporer la Bosnie-Herzégovine à l’empire en 1878. Dernier grand acte de ce fin politicien avec le traité d’alliance avec l’Allemagne. Il renonce en octobre 1879 à sa charge de Président du conseil. Retiré de la vie politique et résidant au château de Tőkere, il meurt en février 1890. L’impératrice Elizabeth se rendra aux obsèques de son ami afin d’ assurer sa veuve de son amitié. Témoin de ces funérailles, l’archiduchesse Marie-Valérie observe sa mère. « (…) Pour la première fois, elle se sentait complètement laissée sans conseiller et sans ami » rapportera alors la princesse dans son carnet intime, démontrant les liens qui liaient ces deux êtres à l’âme rebelle.
Un ami de l’empereur-roi Charles
Des trois enfants de Gyula Andrássy, c’est son fils cadet qui va incarner le plus l’héritage politique de son père dont il porte le même nom. Député de la Diète en 1885, sous-secrétaire d’État en 1892, Gyula Andrássy (dit « Le Jeune ») est nommé représentant du gouvernement de Hongrie en 1899 et enfin ministre de l’Intérieur de 1906 à 1910. Son accession est fulgurante et il est, à cette époque, l’un des quatre magnats qui domine la vie politique de l’Autriche-Hongrie. Leader du parti constitutionnel, il s’oppose à la politique va-t-en-guerre du premier ministre comte István Tisza. Dès les premières défaites de la Russie en 1914, au début de la Première Guerre mondiale, Gyula Andrássy Jr se fait le chantre de la paix, rejoint les points de vue de l’héritier à la couronne, l’archiduc Charles. Entre les deux hommes, le sentiment que l’empire peut s’effondrer si une réforme n’est pas rapidement adoptée. Il propose même que les Tchèques reçoivent le même statut que la Hongrie. C’est lui qui est envoyé par l’empereur Charles comme émissaire auprès du président américain Woodrow Wilson afin de négocier une paix séparée et la reconnaissance des droits des minorités nationales. Nous sommes alors en 1918. Il est trop tard. Vienne et Budapest sont déjà en proie à une fièvre révolutionnaire. En Hongrie, l’aigle impérial a été décroché des murs, le comte István Tisza a été assassiné et la révolution a décidé de porter au pouvoir le comte Miklós Károlyi, l’époux de la petite- nièce de Gyula Andrássy Jr. La chambre dissoute, Gyula Andrássy Jr suit les événements avec inquiétude. La restauration de la monarchie en 1920, sans le roi, ne le satisfait pas. C’est un légitimiste convaincu, comme on appelle les partisans de l’empereur-roi Charles. Lors des deux tentatives de reprise de sa couronne un an plus tard, Charles peut compter sur l’appui des Andrássy. Député, chef du parti chrétien-démocrate, il décide de se retirer définitivement du parlement en 1926, trois avant son décès.
Un roman national
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Andrássy sont l’objet de la vindicte communiste comme un grand nombre de propriétaires terriens. On doit à la comtesse Borbala Andrássy (1890-1968), nièce de Gyula Andrássy Jr, des écrits de cette période qui ont été publiés par ses enfants en deux tomes en 1990. On y trouve des notes sur sa déportation en camp de concentration soviétique et un témoignage sur la révolution de 1956, témoin privilégié de cette révolution qui faire briller une nouvelle fois le nom des Andrássy. Elle a épousé le comte György Pallavicini, un pro-Habsbourg et un anti-nazi qui la laisse veuve en 1946. Un de leurs fils, Antal, officier dans l’armée royale, sera un résistant aux idéologies fascistes. Un parcours ambigu pour certains, un héros pour d’autres. Interné dans un camp soviétique, il se laisse convaincre, rejoint le Parti communiste hongrois (en dépit de l’avis de son frère Georges qui finira a vie dans un camp d’internement en 1947) et transforme son nom en Pálinkás afin de paraître plus prolétaire. Bien que ses origines aristocratiques le privent de tout mandat populaire. Il gravit les échelons de la hiérarchie jusqu’aux événements qui éclatent à Budapest en octobre 1956. Il se met au service de l’insurrection et prend la tête d’un Conseil militaire révolutionnaire. Il va jouer un rôle non négligeable dans ce chapitre de l’histoire hongroise, coordonnant les fournitures de minutions aux anti-communistes. Son régiment va même délivrer de sa prison le Primat de Hongrie, le cardinal József Mindszenty, le seul à avoir osé réclamer le retour de l’archiduc Otto de Habsbourg une décennie plus tôt. Jugé contre-révolutionnaire après l’échec de l’insurrection, Antal Pallavicini ne cherche pas à fuir. C’est un réformiste. Cela lui sera fatal. Dans la nuit du 6 février 1957, il est arrêté, jugé et condamné à mort en décembre suivant. Dans ses mémoires, le cardinal József Mindszenty se reprochera cette mort, estimant qu’il en est pleinement fautif.
La famille Andrássy a perduré mais loin du champ politique qui a fait sa gloire. Elle est aujourd’hui dirigée par le comte Mihály Andrássy qui a succédé à Guyla, son père décédé en 2018, à l’âge de 91 ans. La statue du ministre Gyula Andrássy, déboulonnée par les communistes, a été réinstallée en 2016 devant le parlement. Antal Pallavicini a été réhabilité par le gouvernement actuel. Sa petite-fille, Zita est d’ailleurs une journaliste reconnue. Interrogée en 2019 lors d’une émission de télévision consacrée à la noblesse hongroise, elle a déclaré à propos de son ancêtre : « Familialement parlant, nous pouvons être très, très fiers de Gyula Andrássy en tant qu’homme politique, en tant que ministre des Affaires étrangères de la monarchie (…). Il a construit le pays ». Bon sang ne saurait mentir, l’Histoire nous le démontre encore une fois.
Frederic de Natal