Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, le tsar Nicolas II et sa famille, leurs compagnons d’exil, sont froidement assassinés dans la maison Ipatiev, à Ekaterinbourg. Ils ne furent  pourtant pas les seuls membres de la maison impériale à subir la vindicte révolutionnaire. La Revue Dynastie revient sur le sort de ces autres Romanov exécutés par les bolchéviques.

Ébranlé par une série de défaites militaires, le régime tsariste n’arrive pas à endiguer le mécontentement populaire. Les grèves et les insurrections se multiplient. Acculé, l’empereur Nicolas II décide d’abdiquer en mars 1917 en faveur de son frère le grand-duc Michel (II) qui finit par refuser la couronne quelques heures plus tard, laissant le pouvoir aux mains d’un gouvernement provisoire. Un double geste qui va sceller le sort des Romanov dont le destin va s’achever brutalement dans le sous-sol de la maison Ipatiev, à Ekaterinbourg, dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918. Sur ordre de Vladimir Illitch Oulianov Lénine, le tsar et sa famille, leurs compagnons d’infortune, sont sauvagement exécutés par les bolchéviques, un mois après l’assassinat du grand-duc Michel à Perm. Le début d’une longue série de meurtres méticuleusement perpétrés par ceux que l’on surnomme les « Rouges ».

Les martyrs de la mine d’Alapaïevsk

Dans la nuit du 18 juillet 1918, plusieurs explosions retentissent à Alapaïevsk. C’est ici que résident, sous bonne garde, les princes Igor, Ioann et Constantin Constantinovitch Romanov. Ils ont été assignés à résidence dès les premières heures de la Révolution russe. Les arrière-petits-fils du tsar Nicolas Ier jouissent d’une très bonne réputation parmi les soldats. Ioann (32 ans) mettait un point d’honneur à rendre hommage à toutes les victimes tombées au champ d’honneur après chaque combat ; Constantin (27 ans) n’avait pas hésité à partager le quotidien de son régiment dans les tranchées, menaçant de perdre la vie à plusieurs reprises ; et Igor (23 ans) avait été décoré, considéré comme un héros de guerre même si une pleurésie l’avait contraint à quitter le front  plus tard en 1915 pour devenir l’aide de camp du tsar Nicolas II. Avec eux, le prince Vladimir Paley (21 ans), petit-fils du tsar Alexandre II. C’est un rêveur, un poète, un artiste qui écrit des poèmes, qui impressionne par sa mémoire et sa beauté. Nul ne sait où son cœur balance, mais il n’en démérite pas moins lors de la Première Guerre mondiale. Il n’est pourtant pas visé par les communistes puisqu’il ne porte pas le nom de Romanov mais refuse de signer un acte de reniement de ses origines. Appelé affectueusement « Volodia », le prince était un critique du régime de Nicolas II, plaidant pour plus de constitutionnalisme. Il y aussi, près de lui, le lunatique grand-duc Serge Mikhaïlovitch de Russie (48 ans), peu aimé au sein de la maison impériale et au centre d’un ménage à trois incluant un de ses cousins et la ballerine Mathilda Kschessinska, ancienne maîtresse du tsar Nicolas II. Enfin, l’une deux femmes du groupe, la grande-duchesse Élisabeth de Hesse-Darmstadt (53 ans), veuve du grand-duc Serge assassiné par les révolutionnaires en 1905, est entrée dans les ordres peu de temps après. « Tante Elia » détestait le moine Raspoutine. Elle avait vainement averti la tsarine Alexandra que son influence pouvait mener l’empire à sa perte et s’était publiquement féliciter du meurtre du starets en 1916, considérant cet acte comme « patriotique ».

Les martyrs d’Alapaïevsk : Le prince Ioann (en haut à gauche), le grand-duc Serge Mikhaïlovitch de Russie (en bas à gauche), la grande duchesse Elizabeth (milieu), le prince Vladimir Paley (à droite) @wikicommons

L’horreur d’un massacre

Un groupe hétéroclite qui a le malheur d’avoir du sang impérial. Jusqu’ici, ils étaient correctement traités, assez libres de leurs mouvements. Mais arrivés dans la ville d’Alapaïevsk, leur condition carcérale va se subitement se durcir. « Il leur est confisqué tous leurs effets personnels – chaussures, lingerie, vêtements, oreillers, les objets en or et en argent, il ne leur est laissé que le strict nécessaire en vêtements et chaussures et deux changements de sous-vêtements » rapportera plus tard la cuisinière Krivova qui s’occupait de les nourrir. Tout leur est désormais interdit, y compris de correspondre avec leurs amis ou épouses. Ils ignorent encore que la famille impériale a été exécutée quand retentissent ces explosions qui scellent leur sort. Le président du soviet régional de l’Oural télégraphie à Moscou et annonce que les princes Igor Constantinovitch, Konstantin Constantinovitch, Ioann Constantinovitch, Serge Mikhaïlovitch et Paley ont été enlevés en dépit de la résistance de leurs gardes, laissant sous-entendre qu’ils ont été sauvés par les « blancs » monarchistes de l’amiral Alexandre Vassilievitch Koltchak. Le lendemain, on placarde même des affiches afin d’informer la population. La vérité est pourtant tout autre. Lorsque les tsaristes s’emparent de la ville d’Alapaïevsk, ils ordonnent une enquête sur la disparition des membres de la famille impériale et ce qu’ils vont découvrir, vont les horrifier.

Les dépouilles du prince Ioann Constantinovitch de Russie, à gauche, et de la grande-duchesse Élisabeth Fiodorovna, à droite @wikicommons

Une exécution de sang-froid

Sous prétexte de les transférer vers l’usine Verkhine-Sinyatchikhinsky, un groupe dirigé par Piotr Startsev débarque à l’école Napolnaya. où résident les prisonniers. Premier acte d’une mise en scène savamment orchestrée comme nous le raconte Vasili Ryabov dans ses mémoires. « Nous sommes entrés dans le bâtiment de l’école, avons forcé la porte verrouillée, réveillés les deux femmes et nous leur avons intimer l’ordre de s’habiller immédiatement car elles devaient être emmenées dans un endroit sécurisé, car, en ce lieu, il y avait un risque d’un raid armé. Elles ont obéi sans un murmure. Nous leur avons attaché les mains derrière le dos et bandé les yeux, nous les avons escorté et asseoir dans une charrette qui attendait devant l’école. Puis nous sommes entrés dans la chambre des hommes. Nous leur avons dit la même chose. Le prince Ioann Constantinovitch, le prince Paley ont obéi sans opposer de résistance. Nous les avons emmenés dans le couloir, nous leur avons bandé les yeux, lié les mains et  asseoir dans une autre charrette. Le grand-duc Sergueï Mikhaïlovitch a été le seul à résister » et a reçu une balle dans le bras, écrit celui qui fut chargé des basses œuvres. Arrivés devant une mine, ils sont tour à tour frappés à la tête dans l’espoir de leur faire perdre conscience et plongés dans un puit profond. On leur jetera des grenades, des poteaux, des rondins afin qu’ils décèdent rapidement. Certains, blessés, vont mourir d’hémorragie interne comme le démontreront les autopsies des corps découverts en octobre suivant. Pis, l’enquête démontra que les communistes avaient agi sans avoir reçu l’aval de Moscou. Des meurtres gratuits qui ne seront pas les seuls.

Les martyrs de Saint-Pétersbourg : Le grand-duc Nicolas (en haut à gauche), le grand-duc Dimitri (en bas à gauche), le grand-duc Paul (au milieu) et le grand-duc Georges (à droite) @wikicommons

Venger Karl Liebnecht et Rosa Luxembourg

Malade, allongé sur un lit, le grand-duc Paul Alexandrovitch ( 58 ans) ne peut bouger. C’est le père du prince Vladimir Paley. Il a connu la disgrâce et le retour en grâce après son second mariage morganatique avec Olga Valerianovna Karnovitch avec laquelle il a eu trois enfants. Doux et cultivé, rien ne lui a été épargné. On l’empêche de voir son épouse, son fils assassiné et sa fille Natalia Pavlovna a été l’objet des assiduités sexuelles de jeunes bolchéviques qui ne vont pas hésiter à violer cette adolescente de 13 ans.  Le 30 janvier 1919, les grands-ducs Dimitri Constantinovitch (frère d’Igor, Ioann et Constantin, 58 ans), Nicolas Mikhaïlovitch (59 ans, ancien soupirant de la princesse Amélie d’Orléans, surnommé « Nicolas Égalité » en raison de son adhésion à la franc-maçonnerie) et Georges Mikhaïlovitch de Russie ( 55 ans) sont conduits à la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg (Petrograd). Ils ont compris le sort qui leur est réservé. Ils sont chargés de porter le grand-duc Paul mis sur une civière de fortune vers une fosse dans laquelle gisent déjà 13 cadavres. On leur ordonne de retirer leurs vêtements. La nuit est glaciale, moins de 10 degrés au thermomètre. Ils s’embrassent, se disent au revoir. Nicolas Mikhaïlovitch donne alors son chat qu’il avait emporté avec lui à un des gardes, se signe comme ses cousins. Un claquement de feu, les princes Romanov s’effondrent. Reste encore le grand-duc Paul. Il sera abattu sur sa civière. Une exécution décidée par Grigori Zinoviev, alors Président du soviet de Petrograd, qui avait souhaité venger les exécutions en Allemagne des révolutionnaires spartakistes, Karl Liebnecht et Rosa Luxembourg, quelques jours auparavant.

Les dépouilles d’Alapaïevsk ont connu d’autres péripéties malgré elles. Emmenées vers la Mandchourie sous la garde de moines orthodoxes, elles ont été récupérées à Pékin et enterrées dans une crypte construite grâce aux fonds du général Séménov (celles de la grande-duchesse Elizabeth et de Varvara Yakovleva furent transportées à l’église Sainte Marie-Madeleine de Jérusalem, reconnues comme saintes et martyres). Mais avec l’arrivée des communistes dans la capitale chinoise en 1947, leurs restes furent enterrés dans une fosse commune creusée dans la partie ouest de l’église de Saint-Séraphin de Sarov, plus tard détruite sur demande des soviétiques (1955). A ce jour, ils n’ont jamais été retrouvés. Tous ont fait l’objet d’une réhabilitation officielle en 2009. Excepté Nicolas Mikhaïlovitch, les trois autres grands-ducs, exécutés à la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, ont été canonisés par l’Église orthodoxe. 

Frederic de Natal