C’est un communiqué qui est tombé hier, passé quasiment inaperçu dans les médias ou sur les réseaux sociaux, pourtant très prompt à nous abreuver en informations diverses sur le conflit russo-ukrainien. Réunis au sein de l’association du Comité Bonapartiste Oriental, les passionnés russes du Premier empire se sont positionnés et ont appelé le prince Jean-Christophe Napoléon à s’investir dans le conflit, lui rappelant ses ascendances généalogiques ukrainiennes.
Plus de deux siècles après sa campagne en Russie, l’empereur Napoléon Ier a été réhabilité par ses anciens ennemis. En Russie, le « petit Caporal » est devenu une grande figure emblématique, romanesque, un génie moderne, le symbole d’une ascension réussie appréciée par les héritiers de Pierre Le Grand. Même sous l’ère soviétique, on a prêté à cet envahisseur des vertus révolutionnaires qui auraient influencé les bolchéviques. Oublié la « guerre patriotique », ils sont encore quelques dizaines de milliers de russes à se passionner pour ce français qui a conquis toute l’Europe. Souvent francophiles, ils sont réunis au sein de diverses associations, historiques ou politiques. Fondée en 2006 par l’historien Kirill Serebrenitski, l’association du Comité Bonapartiste Oriental regroupe les descendants slaves de la Grande armée de Napoléon. Un petit millier de personnes qui discutent sur les réseaux sociaux des dernières reconstitutions impériales en cours, dissertent sur les erreurs de Napoléon ou décortiquent les généalogies des grands noms de l’empire. L’admiration qu’ils ont de l’empereur est à la hauteur des inquiétudes nées du conflit russo-ukrainien.
Le descendant du roi Jérôme appelé au secours des ukrainiens au nom de la paix
De leur point de vue, « Napoléon le Grand a apporté la paix, la prospérité et l’ordre en Europe et s’est opposé à toute violence, à toute violation des droits de l’homme ». Dans un communiqué rédigé en français, les membres directifs du Comité Bonapartiste Oriental se sont adressés directement au prince Jean-Christophe Napoléon, actuel prétendant au trône impérial de France. « Nous pensons que vous ne pouvez pas rester à l’écart de ce qui se passe actuellement en Ukraine » écrivent ces bonapartistes qui pointent du doigt un « agresseur insidieux-La Fédération de Russie ». Rappelant que le « monde entier s’est mobilisé pour aider l’Ukraine », ils lui demandent d’intervenir auprès du « Président E. Macron à qui [le prince] peut s’adresser et lui demander de faire tout possible à ce sujet ». La dernière rencontre entre le chef de l’État et le prétendant impérial remonte au bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, l’année dernière. Pour la première fois de l’histoire républicaine, c’est un descendant de Napoléon, par son frère Jérôme Bonaparte, qui avait accueilli sur le parvis de l’Hôtel des Invalides, un président républicain, marquant le pas sur le protocole habituel. Une occasion ratée pour l’Hexagone de se réconcilier avec la Russie grâce aux restes retrouvés du général Gudin par l’équipe de l’historien Pierre Malinowski.
Le bicentenaire de la mort de Napoléon 1er est une page importante de notre histoire. Commémorer Napoléon, c’est célébrer notre Histoire, et le peuple français dans sa continuité historique. C’est un moment de rassemblement pour les français et de fierté nationale. 🇫🇷 https://t.co/O0slbTQrPX
— Jean-Christophe Napoléon Bonaparte (@JCNapoleonB) May 6, 2021
Un nom en héritage qui trouve ses racines en Ukraine
Affirmant que « l’Ukraine est un état européen qui a déjà prouvé au monde qu’elle mérite de faire partie à part entière de la grande famille européenne », le Comité Bonapartiste Oriental rappelle au prince Jean-Christophe Napoléon qu’il descend à la fois des princes de Czartoryski et Potocki par sa mère, lesquels ont participé à la construction de l’Ukraine moderne. Ainsi que des Habsbourg qui ont été rois de Galicie, la partie polonaise de l’Ukraine. Sous l’Empire, de nombreuses brochures avaient été éditées sur la question ukrainienne comme celle du Publiciste qui, le 7 décembre 1807, écrivait déjà à propos de cette nation russifiée : « A côté de la Pologne se trouve l’ancien pays des Cosaques, l’Ukraine, une des terres les plus fertiles du monde, et qui, par ses richesses, mérite grandement l’intérêt de l’empire. Si la question de la Pologne est déjà résolue, il nous reste à résoudre la question du fertile pays de Mazeppa ». Les mémoires du comte de Hauterive, directeur politique des Affaires étrangères, nous apprennent même que Napoléon Ier avait prévu la « constitution en Ukraine d’un État indépendant, dont l’empereur se réservait à lui seul l’investiture « et qui devait former « une des plus fortes barrières aux projets ambitieux de la Russie et à ses prétentions sur la mer Noire et sur le Bosphore ». Un sujet qui reviendra sur le devant de la scène avec la guerre de Crimée (1853-1856) sous Napoléon III où, encore une fois, les français expriment leur soutien à ceux que l’on surnomme les Petits-Russiens (Russes blancs ou Ruthènes) et se disent favorables à leur indépendance. Une position qui variera que très peu tout au long du XXème siècle et qui sera au cœur des discussions de salons à Paris à la fin de la Première guerre mondiale.
« Nous vous prions de répondre à notre appel et de faire tout votre possible pour redonner la paix et la prospérité à ce beau pays européen dans lesquels il vivait avant cette tragédie » plaident les membres du Comité Bonapartiste Oriental au prince Jean-Christophe Napoléon. Guère certain que cet appel soit réellement entendu par le prétendant au trône en dépit de son européanisme affiché et de sa proximité avec le gouvernement français mais il aura eu le mérite de nous renvoyer à un chapitre méconnu de notre Histoire qui lie la France napoléonienne à la Russie et toutes ses composantes géographiques d’aujourd’hui.
Frederic de Natal