Le 2 décembre 2021, jour anniversaire du couronnement de l’empereur Napoléon Ier et de la victoire d’Austerlitz, le prince Alexandre de Serbie a rendu hommage à Napoléon Ier sur sa page officielle Facebook, rappelant les liens existants entre le « Petit Caporal » et le fondateur de la maison royale de Serbie. L’occasion de revenir sur un des chapitres méconnus de l’histoire du Premier empire.
« Il m’est facile d’apparaitre supérieur avec notre armée bien expérimentée et nos vastes moyens financiers, mais dans le sud, dans les Balkans, il y a un maréchal né dans une famille de paysans, qui a rassemblé ses bergers, et sans armes sophistiquées, avec juste des petits canons, a ébranlé les fondations du tout-puissant empire ottoman, libérant ainsi son peuple asservi. C’est Karađorđe, c’est à lui revient toute la gloire d’être le plus grand maréchal ». C’est de cette manière que Napoléon Ier parlait en 1813 de Georges Pétrovitch, connu en français sous le nom de Karageorges, héros national de Serbie.
C’est en 1804, inspiré par les idées de la Révolution française, que Georges le noir va soulever tout un pays horrifié par le massacre de 70 de leurs compatriotes, ordonné par le Pachalik de Belgrade. Très rapidement, il prend contact avec l’empereur des français, lui propose la création d’un état rassemblant tous les peuples des slaves du sud et qui serait placé sous la protection de la France. « La gloire des armées et les exploits de Votre Majesté se sont propagées dans le monde entier […]. Prêtez également attention aux Slavo-Serbes, en lesquels vous trouverez I’ amitié virile et la fidélité dues au bienfaiteur que vous êtes. Le temps et les évènements ont prouvé qu’ils sont dignes de Ia protection de votre Grande Nation » écrit-il à l’empereur. Une cause qui trouve écho dans les salons feutrés du palais impérial, à Paris, et même au sein de la population française.
« Le chef des Serbes est devenu si célèbre qu’on ne lira pas sans intérêt les détails qui le concernent. Il n’a point reçu de bonne éducation quant à l’instruction, car il ne sait ni lire ni écrire, mais c’est un honnête homme, brave et loyal. Il est résolu de périr plutôt que de laisser sa nation sous le joug de la Porte (les Turcs), et pour mieux parvenir à son but, il a su, en bon politique, se concilier la protection de la Russie, dont il a déjà reçu depuis son secours. Il a tellement organisé la Serbie que cette province, qui n’a que 900 000 habitants, a sur pied une armée de 80 à 100 000 hommes » n’hésite pas à rapporter la Gazette de France dans son édition en février 1808.
«C’est Karađorđe, c’est à lui revient toute la gloire d’être le plus grand maréchal »
Les serbes réitèrent leur demande en 1809, appelant la France à l’aide. « Si Sa Majesté […J veut accepter avec clémence les serbes sous sa puissante protection alors [… ] le devoir le plus sacré de ce peuple sera de conserver pour Sa Majesté et pour la Grande Nation une éternelle ct inébranlable fidélité I…J toutes Ies forteresses de la Serbie sont prêtes a recevoir des garnisons françaises. [… ] Les ennemis de la Grande Nation seront les ennemis des Serbes » peut-on lire dans la supplique apportée à Napoléon Ier par le capitaine Rade Vuciniç. Pourtant, avec la paix signée avec la Russie, le ministère des Affaires étrangères ne juge pas indispensable de présenter I‘émissaire serbe à Napoléon Ier, se contentant de promettre à son interlocuteur serbe que cette question serait bientôt discutée. « L’empereur qui est et qui veut rester en paix avec la Porte, n’accordera surement pas une protection ouverte à ceux qu’elle regarde comme des rebelles. Mais, Sa Majesté ne peut pas rester entièrement indifférente au sort d’un peuple qui a montré tant de constance et de courage, et ne refusera pas à avoir avec lui quelques relations auxquelles on ne doit donner aucune publicité. Vous devez donc accueillir les ouvertures qui vous sont faites de ce côté, favoriser les communications qu’on voudra établir avec la France, faire espérer I ‘intérêt de I ‘Empereur, mais tout cela de manière à ne donner ombrage ni à la Porte ni à la Russie. […] » peut-on lire dans une note interne du ministère.
Les demandes ne cessent de pleuvoir sur le bureau de l’empereur, les serbes se plaignant du blocage mis en place par ses fonctionnaires à leur égard alors qu’il ne « souhaite que la protection de ce grand monarque » comme le rappelle une nouvelle fois Karageorges dans une lettre qu’il lui adresse le 22 janvier 1810. Lassé d’attendre, il finira par se tourner vers la Russie et il faudra attendre 1812 pour que Napoléon s’occupe enfin des serbes. Dans le traité de Bucarest qui contraint les russes à signer une paix avec la Turquie, il impose dans une des clauses du traité que soit prévu le maintien de l’autonomie serbe. Mais c’est trop tard. En juillet 1813, Karageorges est assassiné par son ami et rival Milos Obrénovitch. Le début d’une lutte sanglante entre les deux familles qui se terminera sur un balcon du palais de Belgrade en 1903. Un acte qui marquera aussi le début de l’amitié franco-serbe.
Frederic de Natal