Le roi George VI, père de la défunte Reine Elizabeth II, a été apprécié et respecté par les Britanniques tout au long de son règne. « Le Discours d’un roi » réalisé par le producteur Tom Hopper, revient sur l’accession au trône de cet illustre personnage, et notamment sur son combat contre son bégaiement. Quelle est la vérité historique derrière le scénario écrit par David Seidler, également ancien bègue, qui se focalise sur la thérapie du monarque et sur le rôle majeur de son orthophoniste, Lionel Logue ?
Albert, duc d’York (incarné par Colin Firth) , souffre de bégaiement. Sa fonction royale implique qu’il prenne la parole en public, un véritable calvaire pour lui. Afin de soigner son élocution, il fait appel à de nombreux orthophonistes réputés, mais aucune méthode ne semble fonctionner. Son épouse, Elizabeth Bowes-Lyon (jouée par Helena Bonham Carter), le convainc alors d’aller consulter Lionel Logue (l’acteur Geoffrey Rush), un orthophoniste australien aux pratiques peu conventionnelles. Dès leur premier rendez-vous, il exige que le duc et lui-même s’appellent par leurs prénoms, Lionel, et « Bertie », surnom donné au prince Albert par sa famille. Dans un premier temps réticent, faisant preuve d’une constante irritation, fumant cigarettes sur cigarettes, le duc parvient finalement à accorder sa confiance à Logue et sa méthode, puis de finir par se livrer facilement sur les origines de sa pathologie. Maltraité par sa nourrice, né gaucher, avec les genoux noueux, il a eu une rééducation douloureuse et marquante. Des épisodes qui ont causé son bégaiement dès l’âge de 8 ans. En 1936, son père George V, très autoritaire, rend son dernier soupir. Son fils aîné, David, devenu Édouard VIII, lui succède. Très rapidement, une crise constitutionnelle éclate et menace le royaume. Le nouveau souverain souhaite épouser Wallis Warfield Simpson, une Américaine deux fois divorcée, proche du fascisme et du nazisme. Le gouvernement oppose un non-définitif à cette demande tandis que le prince Albert tente de convaincre son frère de renoncer à son projet. En vain. Édouard VIII abdique le 11 décembre 1936 et le duc d’York est alors projeté sur le trône sans y avoir été préparé. Albert doit faire place à George VI. Souverain, il connaît ses faiblesses de locution et sait ce que cela représente pour l’institution. Lionel Logue va jouer un rôle déterminant dans le discours du roi, prononcé en 1939, à la suite de la déclaration de guerre de l’Allemagne nazie. D’une dizaine de minutes, destiné aux millions d’habitants en Grande-Bretagne et dans l’Empire britannique, il va ancrer le roi George VI dans le cœur de ses sujets.
Contexte politique du Royaume-Uni
Ce film s’inscrit dans un contexte européen particulier, marqué par la montée du fascisme et des partis extrémistes, une problématique au cœur des interrogations politiques de l’époque. Bien que le film n’en ait pas fait son sujet principal, le sous-entendu est constant tout au long de celui-ci. Les pays européens craignent le retour de la guerre, qu’ils tentent d’éviter. Au Royaume-Uni, la montée du British Union Fascists (L’Union des fascistes britanniques) inquiète d’autant que le roi Edouard VIII semble assez proche des idées de ce mouvement dirigé par le baron Oswald Mosley. Une partie de la gentry anglaise est d’ailleurs assez sensible aux discours du Führer Hitler et certains n’hésiteront pas à franchir le pas comme les célèbres sœurs Mitford.
De nombreuses erreurs et des oublis historiques assumés
Le film est essentiellement centré autour de la relation entre le roi George VI et son orthophoniste. La famille royale est peu mise en lumière comme le contexte politique qui nécessite un œil averti et un minimum de connaissances historiques sur le sujet. Un choix du scénariste afin de minimiser les erreurs historiques, bien que certaines subsistent. Dans un premier temps, le personnage de Churchill fait débat. En effet, le choix de l’acteur Timothy Spall pour incarner le futur Premier ministre Britannique semble peu adapté, car son apparence physique est éloignée de celle du véritable Winston Churchill, le rendant moins crédible. Dans le film, Churchill soutient le duc d’York et le pousse à monter sur le trône, au détriment d’Édouard VIII. Or, la vérité historique est tout autre. Dans la réalité, Churchill soutient Édouard VIII, malgré les penchants de ce dernier pour le fascisme, tentant de le convaincre également de renoncer à son projet d’abdication. Un « détail » omis dans le film. Autre inexactitude, la démission du Premier ministre Stanley Baldwin en raison de son « incompétence » et du fait qu’il ait « sous-estimé Hitler » n’est pas véridique. En effet, l’ancien Premier ministre a remis sa démission le 28 mai 1937, soit bien avant que la menace hitlérienne soit effective en Grande-Bretagne et de prendre sa retraite en recevant les honneurs. Oublié aussi Chamberlain, que l’on aperçoit pourtant dans le film et qui a été Premier ministre entre 1937 et 1940. Encore moins les accords de Munich de 1938 et l’aide apportée dans la lecture du discours de Louis Mountbatten, futur vice-roi des Indes.
La thérapie de Lionel Rogue
La thérapie est l’élément principal du film, bien qu’elle ait subi de légères modifications par le scénario, et que la chronologie du film (sorti en 2010) ne soit pas totalement en accord avec l’histoire. Il faut d’abord rappeler que Logue et le duc d’York ne s’appelaient pas par leurs prénoms, Lionel et « Bertie ». Il s’agit d’une invention scénaristique, car même si les deux hommes étaient proches, ils n’emploient pas pour autant de telles familiarités. La méthode de Logue, peu détaillée et présentée aléatoirement dans le film, est en fait méticuleusement travaillée : elle est basée sur l’importance de la voix, de la respiration, du diaphragme, et de la confiance en soi. Cette approche était innovante à une époque où la principale thérapie contre le bégaiement était les électrochocs. Lionel Logue affirmait que le bégaiement trouvait son origine dans des traumatismes plutôt que dans des problèmes morphologiques et musculaires. La première consultation du roi auprès de Lionel Logue date du 19 octobre 1926 (et non en 1934 comme montrée dans le film) et il effectuera 82 séances en une année avec George VI. Le duc d’York réalisa beaucoup de progrès dans les années qui suivirent et finit par espacer ses rendez-vous avec Logue. Ce n’est que lors de son accession au trône, que les services de son thérapeute redeviennent nécessaires. En réalité, au moment où le monarque prononça ce discours, il avait déjà réglé dans le temps ses problèmes d’élocution (ainsi, en 1927, en Australie, il fit un discours sans bégayer une seule fois). Dans le film à l’inverse, dans un objectif de simplification et pour lui donner du rythme, les événements s’enchaînent rapidement, nous donnant l’impression d’une guérison fulgurante du roi George VI. Les deux hommes restèrent amis jusqu’au décès du souverain, qui invita le thérapeute régulièrement avec sa famille, lors de repas de Noël. Lionel Rogue survivra un an de plus à George VI et décédera âgé de 73 ans.
Un film ancré dans le cœur des passionnés de monarchie Britannique
Le film a été un succès : 43 récompenses, dont 4 Oscars et 7 BAFTA, encensé par le public et par la presse. La prestation de Colin Firth dans le rôle du roi George VI a convaincu et ému les spectateurs. La défunte Reine Elizabeth II a, elle-même approuvé, le film, le jugeant « réjouissant » et « émouvant », comme l’a indiqué une source proche de la Reine dans le quotidien The Sun. Décédé à l’âge de 52 ans, George VI a laissé un héritage important à l’Angleterre, qu’il a dirigé courageusement lors de la Seconde Guerre mondiale. Sa fille, la reine Élizabeth II que l’on voit enfant dans le film, lui succède en 1952, et guidera pendant 70 ans le Royaume -Uni et le Commonwealth avec brio, avant de s’éteindre le 8 septembre dernier. Ce film est un bel hommage à George VI, ainsi qu’à la famille royale d’Angleterre, qui continue à susciter la curiosité et l’admiration des passionnés de l’Empire britannique et du monde entier.
Juliette Gurunlian