C’est au Pays Basque, auquel elle était passionnément attachée, que la princesse Micaela, comtesse douairière de Paris, pourrait rejoindre son ultime demeure après son décès survenu dimanche 13 mars dernier dans son appartement de la rue de Miromesnil, à Paris. Journaliste et conférencier, Lauréat du Prix d’Honneur de la Culture basque, pour la Revue Dynastie, Alexandre de la Cerda revient sur les liens unissant l’épouse d’Henri d’Orléans à la partie occidentale du département des Pyrénées-Atlantiques.
« L’herbe très verte avec ses vaches et ses moutons, j’en aurais mangé tant j’éprouve de bonheur devant ces paysages » me lançait la comtesse de Paris en contemplant la succession de collines et de landes aux fougères déjà rougeoyantes qui la menait en Basse-Navarre. C’était à l’occasion d’un déjeuner que j’avais coutume d’organiser en l’honneur du couple princier et en présence d’un groupe d’amis fidèles. Des terres que Micaela Cousiño Quiñones de Leon avait retrouvé à la saison de velours, la plus belle au Pays Basque, pour ses épousailles religieuses avec le comte de Paris à l’église d’Arcangues. Une contrée où elle avait passé son enfance avec ses frères, dont l’aîné, le sculpteur Juan Luis Cousiño, avait défrayé la chronique artistique dans les années cinquante à cause d’une statue de l’impératrice Eugénie originellement destinée à Biarritz mais qui fut placée à Saint-Jean-de-Luz. Et Antonio, également son parrain, qui avait été formé par le sculpteur russe Choukline, réfugié à Biarritz après la révolution de 1917 et logé dans une annexe de la maison familiale. La veuve d’Antonio avait beaucoup œuvré pour les collections du Musée d’Histoire Naturelle de Bayonne. Combien de souvenirs de jeux d’enfance au Pays Basque ! Avec un de ses frères qui l’avait enfermée dans un chêne creux qu’elle pensait pouvoir soulever avec toute la force d’imagination de ses six ans : « J’ai toujours aimé les contes de fée » ! Et les rouleaux des vagues qui avaient failli emporter Micaela au large de la plage de Cenitz.
Mais la comtesse de Paris tenait aussi de sa mère, Antonia Quiñones de Leon, marquise de San Carlos, très connue sur la côte basque au temps où elle rédigeait pour une revue locale « La journée d’une femme élégante à Biarritz ». Et, sans doute, d’un parfum d’aventure de sa famille paternelle, les Cousiño, entreprenants pionniers de l’économie chilienne. Passionnée de littérature, d’histoire et d’art, la princesse alterna des fonctions à la radio en France, dans une agence de presse, un groupe de publicité à Madrid et dans l’édition à Paris, avant d’entrer dans un cabinet ministériel pendant la présidence de Giscard.
Mais rien ne valait à ses yeux les séjours en Pays Basque, entre Urdax avec ses palacios construits par les Basques « Amerikanoak » et Pasajes où la princesse se rappelait avoir découvert avec surprise, non loin de la maison occupée naguère par Victor Hugo, un très ancien lapidaire rappelant la participation des habitants à la fameuse bataille de Roncevaux qui vit la perte du neveu de Charlemagne ! D’ailleurs, ne m’avait-elle pas confié un jour son intérêt pour l’olifant, tel celui dans lequel Roland souffla à Roncevaux : « il a su retenir sa vie et avertir du danger son oncle » !
C’est lors d’une exposition des aquarelles du Prince dans les salles de la « Gare du Midi » de Biarritz, il y a une trentaine d’années, que j’avais eu l’honneur de connaître le couple princier. Devenu entre-temps comte de Paris, Henri d’Orléans visita avec la princesse Micaela l’exposition que j’avais consacrée en 2007 à « L’Impératrice Marie Fedorovna, images de la Russie éternelle » à l’Hôtel du Palais, exactement un siècle après le séjour de la souveraine russe dans le palace de la côte basque. Et deux ans plus tard, le comte et la comtesse de Paris avaient accepté – à la veille de leur mariage chez mon cher ami le marquis d’Arcangues – de présider la commémoration du 350ème anniversaire du Traité des Pyrénées que j’avais organisée chez mes amis Odile et Laurent de Coral en leur château d’Urtubie en présence d’une cinquantaine de mes collègues consuls en poste le long de la chaîne des Pyrénées et représentant près d’une trentaine de pays, à l’invitation de l’Union des Consuls Honoraires en France dont j’étais le délégué régional. Et combien de souvenirs, encore, lorsque je leur avais fait visiter, grâce à l’évêque Mgr Aillet, la chapelle de l’évêché avec son tableau du « Miracle de Bayonne »…
Lors d’un « portrait » que je lui avais consacré dans la presse régionale, Madame m’avait également confié son attrait pour « les livres, et la connaissance de toutes sortes de gens – quelque soient leur race et leur vie – par la lecture et la rencontre. Ce sont les deux axes de ma vie ». Elle admirait la nature, en particulier les libellules : « Elles sont superbes, émouvantes, ineffables ; et toute cette beauté n’est créée que pour durer quelques heures » ! Ainsi que le chêne, l’arbre-roi du Pays Basque, « parce qu’il est beau, puissant, mortel, mais pas avant quelques centaines d’années ». Mais la comtesse de Paris appréciait beaucoup également l’île Saint Louis à Paris. « Quand j’y habitais, tout le monde se connaissait. Il y avait pas mal de malice, beaucoup de générosité, et j’y étais très heureuse » ! Ainsi que « toutes les tavernes où l’on mange bien, pas prétentieuses et chaleureuses car, sans amitié, rien n’est important ».
Et au Pays Basque, je me souviens d’un début de soirée à Ascain, sous un ciel chargé de nuages sombres laissant filtrer par quelques trouées le rayon jauni d’un soleil prêt de se coucher, le flanc du mont La Rhune disparaissait puis revenait au gré des vapeurs d’argent qui le nimbaient : « Ce sont les voiles de Salomé, la montagne se voile et se dévoile, comme des visages… Je passe des heures à la contempler ! », avait lancé la comtesse de Paris qui accompagnait son royal époux à ce dîner champêtre dans l’auberge « Achafla Baita » au typique décor labourdin. Cette fameuse « danse des sept voiles » du récit biblique appliquée sur un mode si poétique à notre montagne par la « première princesse » de France et de Navarre me reporta soudain à l’opéra de Strauss et à la pièce d’Oscar Wilde qui l’avait inspiré… Mais je dévalai de ma rêverie aussi vite qu’après une harassante grimpette sur nos collines basques quand vint l’heure de choisir un menu qui débuta sans hésitation par une succulente omelette garnie de cèpes à la croquante fraîcheur et arrosé d’un bon cru basque. Le Comte de Paris approuva : « Ce que j’aime au Pays Basque, ce sont les gens : toujours un sourire, vous avez vu, ce soir ? Or, dans notre société totalement déstructurée, les pays de montagne comme le Pays Basque ont gardé des structures, c’est pourquoi je voudrais une maison ici pour échapper à ce drame et continuer mon action ». Et le Chef de la Maison de France d’ajouter : « Nous sommes dans le drame le plus absolu ; la France est malade de l’Europe et on détruit toutes les valeurs qui en ont fait le renom… Or, cette vieille civilisation nous permettrait de reconstruire ce que le mondialisme va détruire complètement ».
– Comment réagir ?
– « Il faut que des îlots comme le Pays Basque continuent d’exister et demeurent des références, où les valeurs soient conservées : c’est de là qu’il faudra repartir à la reconquête » !
De son adolescence à Pampelune et au collège de Lecaroz – là-même où, une décennie plus tôt, le Père Donostia recevait Ravel – jusqu’à ses derniers séjours à Ascain, en passant par son mariage religieux à Arcangues, les occasions n’avaient certes pas manqué au comte de Paris d’affermir ses liens familiaux avec le Pays Basque : « J’y ai gardé beaucoup d’amis, les Ibarra, Sanchez Marcos, etc. J’ai couru avec eux (et mon frère François) devant les taureaux à la Feria de Pampelune et, par un hasard incroyable, grâce à mon épouse, j’y passe tous mes étés depuis 42 ans ». Toutefois, ses vacances ne coupaient guère le comte de Paris d’une actualité internationale qu’il jugeait « de plus en plus explosive : il y a une perte de la mémoire géostratégique dans la politique gouvernementale, que favorise la suppression de l’enseignement de l’histoire, c’est-à-dire de nos racines ». Afin d’éviter de « devenir des esclaves comme dans le Meilleur des Mondes d’Huxley », conclut la Comtesse de Paris !
Ses obsèques seront d’abord célébrées par Mgr Patrick Chauvet, recteur-archiprêtre de Notre-Dame de Paris, mardi 22 mars à l’église Saint Germain l’Auxerrois à partir de 10 heures. Le lendemain mercredi 23 mars, une messe célébrée également à 15 heures par l’abbé Lionel Landart à l’église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Luz – qui avait vu le mariage royal de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne – précédera l’inhumation de la princesse au cimetière paysager de la ville grâce aux bons offices de la municipalité et aux efforts des plus fidèles amis du couple princier, Michel d’Arcangues et Peter Hamilton Mac Domhnaill, en relation avec Alexis Francis-Boeuf, le fils d’un premier mariage de la princesse.
Alexandre de la Cerda
Auteur, conférencier : http://delacerda.fr/bio.htm