Son destin est l’objet de toutes les controverses. Fils de roi pour ses partisans, fils d’esclave par ses détracteurs, l’histoire d’Aniaba est avant tout celle d’une exceptionnelle tragédie : à la fois, un rendez-vous raté entre la France de Louis XIV et de la Côte des Dents (future Côte d’Ivoire) et à la fois, le symbole d’une réussite africaine inédite dans un monde dominé par le commerce triangulaire. En cette journée de commémoration de l’esclavage, la Revue Dynastie revient sur la vie de ce prince africain, chevalier chrétien à la cour de Versailles.
Aniaba, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre. Celle du chevalier d’Amon et de Jean-Baptiste du Casse reçus en 1687 par le souverain de Krindjabo, capitale du royaume Sanwi dont l’histoire se mélangera à diverses reprises avec celle de la France au cours ses siècles qui se succèdent. A cette époque, la France de Louis XIV cherche à multiplier ses comptoirs en Afrique de l’Ouest au profit de la Compagnie de Guinée, société créée sur décision du Roi-Soleil et spécialisée dans la traite négrière. En revenant en France, après avoir signé des accords avec le roi Zena, le chevalier d’Amon ramène dans ses bagages, le prince Aniaba et son cousin, le prince Banga. Si les annales historiques évoquent très peu le second qui est reparti dans son pays en raison du « mal du pays », elles sont plus prolixes sur le premier, fils du monarque de Krindjabo qui a remis ces deux membres de sa famille aux français « en gage de fidélité ». De son côté, le chevalier d’Amon a laissé derrière lui 4 de ses hommes qui se sont empressés de planter le drapeau de la monarchie sur la Côte des Dents afin de damer le pion aux anglais, aux hollandais et aux portugais. Insidieusement, les jalons de la future colonisation de l’Afrique sont posés et vont permettre l’essor de l’esclavage grâce aux populations locales qui ont compris tout l’intérêt qu’elle pouvait avoir à vendre leurs voisins, pris lors de razzias, aux européens.
Une présence qui n’émeut personne à Versailles
La présentation d’Aniaba à la cour du roi de France ne surprend personne même si la curiosité l’emporte sur ces dames gargarisées de tous les fantasmes que l’on raconte sur les « peaux d’ébènes ». « Aniaba avait 15 ans, le visage d’un maure et était païen » écrit le père Godefroy Loyer, intrigué par ce prince. Il est présenté par le sieur Hyon, marchand de perles de son état, ayant des correspondances au Sénégal et en Guinée, à Madame de Maintenon qui le présenta à son tour à Louis XIV. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Versailles reçoit de tels princes exotiques et le Roi-Soleil ne rechigne pas à les accueillir quoiqu’en dise la légende noire qui accompagne le Bourbon. Encore aujourd’hui. L’ancien pavillon de chasse de Louis XIII regorge de petits pages africains affranchis qui accompagnent les filles du roi. Les courtisans se soucient peu de lui tant il parle à peine le français et le prince passe ses journées à découvrir Paris sans que la ville ne s’émeuve de sa présence. Mais derrière cette rencontre, une autre raison. En visitant Notre-Dame de Paris, le prince aurait été « pénétré » par Dieu et aurait souhaité « être instruit dans la religion » raconte le Père Loyer.
Chevalier à la cour de Louis XIV
« Le Roi lui donna M. de Meaux, qui l’ayant fait passer par tous, les degrés du catéchuménat le baptisa un samedi saint à Versailles. Le Roi, qui l’avait tenu et nommé Louis, le mit ensuite dans les mousquetaires, lui assigna une pension de douze mille francs, qui lui a toujours été payée. Il fut ensuite capitaine de cavalerie (…) » nous raconte toujours le Père Loyer, témoin de l’évolution d’Aniaba, baptisé par Bossuet sous le prénom de son parrain Louis XIV. Le monarque a été ému par cette demande et a montré un fort enthousiasme à suivre ce fils de roi africain. On prête même à Louis XIV cette célèbre phrase qui résume toute la pensée du roi : « Prince Aniaba, il n’y a donc pas plus de différence entre vous et moi que du noir et du blanc ». Tout à ses dentelles, Aniaba commande son régiment mais ne part pas à la guerre. Il accumule les privilèges, femmes, et dettes. Il créé même un ordre, celui de « l’Ordre de l’Etoile de Notre-Dame » consacré en février 1701 . Une aventure qui va durer 5 ans lorsqu’il apprend le décès de son père. La politique reprend ses droits rapidement.
Retour en Côte des Dents
Le chevalier Damon adresse alors, le 23 janvier 1700, une lettre au ministre de la Marine : « j’ai omis de marquer par le mémoire de Guinée que j’ai eu l’honneur de vous envoyer, que le prince Aniaba… est présentement roi d’Issigny [Assinie-ndlr] par la mort de son père. Son oncle qui s’appelle Acassiny a l’administration du royaume, ses sujets l’attendant avec impatience pour le couronner », soulignant ces « avantages que l’on peut tirer de ce royaume par le commerce qui peut devenir par la suite un second Pérou ». C’est ici que commence une série d’interprétations qui divisent les historiens. Le chevalier pêche-t-il par excès d’optimisme ? En effet, Aniaba n’est pas l’héritier au trône mais le troisième fils de Zena. Il est probable que la France ait souhaité qu’il soit couronné afin de mieux s’implanter en Afrique et qu’il poursuive une mission d’évangélisation des populations. Après avoir tergiversé de nombreux mois, le voyage de retour d’Aniaba va mal se passer. Fort de sa condition, Aniaba refuse de parler aux autres africains qu’il estime plus bas que lui.
« Une figure positive de la colonisation et de l’humanisme colonial »
Arrivé un an plus tard dans son « nouveau royaume », il ne répond pas aux attentes des français et brille même par son absence lorsque les hollandais attaquent la forteresse-colonie. « On s’était aperçu dès qu’il avait mis le pied en Afrique, & qu’il s’était dépouillé des habits des Français pour se mettre nu comme ses compatriotes, qu’il s’était en même temps dépouillé de tous ses sentiments d’honnête homme & de chrétien » s’agace de son côté le Père dominicain Jean-Baptiste Labat . Un prélat qui a inscrit son nom dans l’histoire du rhum. A partir de 1705, on perd la trace d’Aniaba. Les textes sont tranchés sur la personnalité d’Aniaba. On parle de son « imposture », de ses « fourberies », de ses trahisons envers la religion catholique « qui l’avait tant comblé de caresses et de présents » et on présume qu’il est retombé « dans son premier état, l’esclavage ou la vie misérable d’un nègre » comme nous l’explique avec les termes de son époque Pierre Roubaud dans son Histoire générale de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, paru au cours du XVIIIème siècle.
Selon Henriette Diabaté, plusieurs fois ministre ivoirienne de la Culture et qui lui a consacré un ouvrage reconnu (Aniaba: un Assinien à la cour de Louis XIV aux éditions ABC), Aniaba ne serait jamais monté sur un trône pour lequel il n’avait aucun droit. Rebaptisé lui-même du nom d’Hannibal, il n’aura pas eu le même destin que le conquérant carthaginois. Il semble même qu’il soit mort, à peine, trois ans après son retour, exilé quelque part entre l’actuel Ghana et le Togo. Un destin empreint d’une tragédie humaine pour celui qui reste toujours considéré comme « une figure positive de la colonisation et de l’humanisme colonial ».
Antoine Bottineau/ Frederic de Natal