L’abolition de l’esclavage a été un des grands enjeux du XIXème siècle. Lorsque la régente Isabelle de Bragance promulgue la Loi d’Or en mai 1888, qui met fin à toutes pratiques d’asservissement dans l’empire brésilien, elle signe aussi la fin de la monarchie. Loin d’être acquis à la République conservatrice qui s’installe, les nouveaux affranchis vont se réunir afin de lutter pour la restauration de la monarchie. La Revue Dynastie s’est penchée sur l’histoire peu connue de ces mouvements afro-brésiliens au destin contradictoire.
Les mouvements anti-esclavagistes ont souvent lié leur combat politique au républicanisme émergent et l’histoire officielle s’est empressée d’oublier les formes émancipatrices monarchistes pourtant, parfois elles-mêmes, à l’avant-garde de la lutte pour abolition de l’esclavage. Libérés par la signature de la Loi d’Or (Loi Aurea), les afro-brésiliens refusent de soutenir les forces conservatrices qui se sont liguées pour faire tomber l’institution impériale. Pour les nouveaux affranchis, un objectif, la restauration de la monarchie qui assurera leur existence pacifique au sein d’une société qui s’est métissée.
La garde noire, une garde protectrice
Lorsque la Guarda Negra se forme le 9 juillet 1888, son principal objectif est de défendre les droits dynastiques de la princesse Isabelle[1]. Ce mouvement composé d’afro-brésiliens affranchis va vouer un véritable culte à cette princesse brésilienne qui a mis fin à l’esclavage au Brésil. Une pratique qui a contribué à faire la richesse de l’aristocratie, de la bourgeoisie et de l’église. La Loi d’Or est l’aboutissement d’une série de réformes entamées sous le règne de Dom Pedro II (1825-1891). L’empereur, en attribuant des lettres de libération à certains esclaves, en signant la loi du ventre libre[2] en 1871, va engager le Brésil vers la voie de l’abolitionnisme. Mais en décidant de la libération des esclaves, la loi ne prévoit aucune compensation pour les propriétaires d’esclaves qui rejoignent les rangs des républicains pourtant minoritaires[3] et qui décident de se passer de la famille impériale à l’origine de l’indépendance du Brésil, ancienne colonie portugaise.
C’est à José Carlos do Patrocino (1853-1905) que l’on doit ce mouvement. Intellectuel brésilien, membre de la communauté noire, il entend être le gardien de la parole impériale, n’impose aucune hiérarchie, ne dote son mouvement d’aucun uniforme tranchant avec l’idée que l’on pourrait se faire du nom de celui-ci. Les sources qui évoquent l’histoire de cette « fraternité mémorielle » restent faibles, essentiellement tirées d’articles de journaux et des témoignages issus des partisans de la République. Selon le journal brésilien « Diario de Noticias », la garde comptait 1500 membres dont des carcassiers et cuisiniers. Pour autant, elle n’hésite pas à faire du combat de rue ou perturber les réunions des partis républicains comme lors du 14 juillet 1889 où ces derniers décident de fêter le centenaire de la Révolution française. Il faudra l’intervention de la police pour mettre un terme à cet affrontement.
L’existence de la Guarda Negra va être éphémère et plusieurs théories peuvent d’expliquer sa disparition. Dans un premier temps, la proclamation de la république brésilienne, le 15 novembre 1889, est le prétexte pour organiser une répression féroce envers les monarchistes. Le chef de la police, João Batista Sampaio Ferraz, va faire preuve d’un certain zèle contre les membres de la Guarda Negra. Une seconde théorie met en avant la Marine nationale qui était monarchiste et qui autorisait les personnes noires à s’engager[4]. Les nombreux coups d’état que ce corps d’armée va tenter dans les premières années du XXème siècle, semble prouver les craintes de la République. Enfin, une troisième théorie fonde la fin du mouvement par la trahison même de José de Patrocinio qui finira par se rallier à la République afin de garantir la survie de son journal.
Le patrianovisme, un carlisme afro-brésilien ?
La République s’est mal installée et conserve peu de légitimité. Très rapidement, elle doit fait face à de multiples manifestations anti-gouvernementales, des putschs, des révoltes messianiques. Arling Veiga Dos Santos (1902-1978) va fonder le mouvement Patrianoviste (1928-1937). Avec pour devise, « Sans roi, il n’y a pas d’union nationale », il affiche clairement ses intentions avec une vision classique du royalisme où le roi supplante et uni la nation, une doctrine proche du carlisme espagnol. Afro-brésilien, il a un certain talent journalistique. Il va reconnaître les droits au trône du prince Pedro Henrique d’Orléans- Bragance et transforme son mouvement en une unité plus militante qui prendra le nom d’Ação Imperial Patrianovista Brasileira. Mouvement traditionaliste, le Patrianovisme refuse le libéralisme de l’ancien régime impérial brésilien et souhaite fonder l’autorité de l’État sur le roi, l’Église catholique et les anciennes corporations.
Pour comprendre ce mouvement, le fondateur doit être étudié : Arlingo Veigo dos Santos est un homme politique et monarchiste ayant pour surnom « Le chevalier noir ». Intellectuel, professeur de latin, de philosophie, d’anglais et d’histoire, il a également fondé le le Frente Negra Brasilaria (FNB) en 1931. Le FNB est la première organisation nationale égalitariste étendue dans de nombreux états brésiliens, laquelle forme même une véritable société (Milice protectrice, formation professionnelle, salles de bal). Elle devient en octobre 1934 le premier et seul parti noir inscrit sur une liste électorale[5]. La volonté de Arlingo Veigo dos Santos, était d’unir le peuple noir, le convaincre à embrasser les idées royalistes afin de renverser le régime républicain. Qualifié de mouvement fasciste antidémocratique, souhaitant l’établissement d’une société pure brésilienne, professant des idées antisémites, mouvement à l’inverse de ce que fut la Guarda Negra, cette affirmation n’est pas erronée. Sa milice armée va d’ailleurs rejoindre l’Action Intégraliste Brésilienne (AIB), organisation soutenue par des membres de la maison impériale, qui va tenter un coup d’état en 1936. Le Patrionovisme sera finalement interdit un an plus tard. Vidé de ses membres, il perd en influence, objet de contestation au sein même des afro-brésiliens et s’étiolera après la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui encore, les afro-brésiliens continuent de rendre hommage à la régente Isabelle à travers une vénération qui ne s’est jamais démentie.
Adrien Hurtado
[1]Fille de Dom Pedro II, Isabelle est née en 1846 et décédée en 1921 – La maison régnante est la maison Bragance, maison qui était également maison souveraine du Portugal. Isabelle est également l’épouse de Gaston d’Orléans, comte d’Eu, petit fils du roi Louis-Philippe Ier
[2]La loi du ventre libre a pour vocation l’affranchissement des enfants à naître de femmes esclaves
[3]Stela Bueno – Hérodote – Le média de l’histoire – Le Brésil en finit avec l’esclavage
[4]Cette théorie expliquerait la révolte des armadas où une partie de la marine se rebelle contre les deux premiers gouvernements républicains
[5]Le FNB à la différence du patrianovisme n’est pas un mouvement uniquement monarchiste et comporte des personnalités de gauche.