Comprendre la pensée dynastique des rois entre le IXème et XIIIème siècle, en mettant en arrière-plan les facteurs constitutionnels : voilà une manière d’aborder l’évolution historique de la conception du pouvoir royal. C’est à travers son livre, Le sang royal, que A. Lewis a analysé l’importance des personnes telles qu’elles sont dans la création de la dynastie et non par le biais de la couronne. Quelle compréhension de cette progression devons-nous avoir et quelle est la place importante que prend la famille royale avec le Testament de Louis VIII ? Comme beaucoup d’évènement en Histoire, cela n’est pas apparu ex nihilo et prend sa source dans un contexte particulier. La Revue Dynastie a analysé la pensée dynastique capétienne.
Comprendre la pensée dynastique capétienne, c’est d’abord comprendre la genèse de cette hérédité. Dans le haut Moyen Âge, les rois francs étaient à la fois choisis par Dieu et élus par les grands issus des familles de la noblesse franques. Ces monarques vont rapidement prendre conscience de l’importance de la lignée, de la mise en place d’un système se basant sur l’héritier par opposition au vote à l’instar de certaines dynasties germaniques. C’est ainsi que lorsqu’ Hugues Capet arrive sur le trône en 988, sa famille passe d’un lignage de duc à un lignage de dynastie royale ; mais cela ne bouleverse en rien l’équilibre de la famille, puisque celle des Capétiens ne passent pas d’un système de vote à un système héréditaire. En effet, l’ancêtre le plus connu d’Hugues Capet est Robert le fort dont on a cru longtemps qu’il avait su s’élever comme un « self made men » du IXème siècle. Bien au contraire. Il appartenait à la noblesse rhénane et s’il ne régnait pas sur les terres de sa famille, il avait reçu une éducation et un réseau d’alliance comme on le retrouve dans les familles aristocrates franques de l’époque. Ainsi dès le début, la couronne est héréditaire et le système de la noblesse montre l’importance du dynastique dans la manière de gouverner ses territoires afin d’en assurer la sécurité. Comme l’explique A. Lewis, il y avait un « ordre centré autour du bien le plus important »[i]. La conservation de cet ordre devait passer par un système d’héritage au sein des familles qui sera reproduit pour le royaume de France au cours des siècles suivants.
Mais à vrai dire, qu’est-ce que le roi transmet ? Le territoire, bien que très mal défini, sur lequel le pouvoir royal est exercé. Cette réponse a suscité un débat en 2003 entre deux historiens : Robert Rees Davies et Susan Reynolds. Il s’agissait de déterminer si l’on peut parler d’état pour les Capétiens au XIII siècle ? R.D.Daves préfère parler de Seigneuries car le roi n’exerçait pas le monopole de la violence sur les territoires qu’il gouvernait, au sens moderne de l’état que l’on connaît. Difficile de lui donner tort car à cette époque, le roi exerce son pouvoir réel sur son seul domaine royal auquel s’ajoutera la Normandie sous le règne de Phillipe Auguste. Les autres territoires appartiennent à ses vassaux comme le comté de Toulouse. Il n’exerce donc pas de pouvoir direct sur son Royaume. Susan Reynolds quant à elle, explique que l’état peut exister mais pas dans une conception moderne : le roi en contrôlant ses vassaux, contrôlerait plus ou moins l’usage de la violence sur son territoire. Cette définition qui tire son origine de la tradition romaine, reflète la différence entre l’auctoritas, qui serait le pouvoir que le roi exerce directement sur son domaine royal, et la potestas qui serait le pouvoir théorique que le roi exercerait sur toute la population même par intermédiaire de ses vassaux.
Le Testament de Louis VIII : l’importance de la famille royale
C’est exactement ce dont il est question dans le Testament de Louis VIII. Si comme nous l’avons vu la transmission est ancrée dans les esprits des francs, c’est bien avec ce testament que la famille royale va prendre en importance et qui va donner un nouveau souffle à la dynastie capétienne. Il n’y a plus seulement l’hérédité mais une organisation du royaume par la famille. Nous avons ici le premier testament d’un roi de France qui aborde une question politique, en mettant en place une juste distribution pour sa famille. L’on peut comprendre que la famille royale prend une place dans la politique du royaume. Il faut bien sur garder une juste mesure dans ces propos. L’enjeu testamentaire est de régler l’avenir de la dynastie en garantissant sa succession et un revenu aux femmes. Mais la question du domaine royale reste un problème : en effet, la reprise et prise de terres sous le joug de la maison capétienne (Normandie, Maine) pousse le roi à donner les domaines matrimoniaux à l’aîné et par le système de l’apanage à créer une concorde familiale pour les frères restants.
La dynastie pour légitimiser son pouvoir chez les rois de France
Les dynasties ont eu besoin de légitimer leur pouvoir. L’évènement le plus remarquable reste celui de Pépin le Bref qui envoie une ambassade au Pape Zacharie III afin de lui demander de quoi dépend la légitimité pour être roi. Le Pape aurait répondu : « qu’il valait mieux que fût appeler roi celui qui en avait la puissance, plutôt que celui qui était dénué du pouvoir royal. » Si cela nous est rapporté par les Annales royales, chronique des VIIIème et IXème siècle, texte alors très orienté, il nous fait comprendre que la question de la légitimation du pouvoir est préoccupante. C’est dans ce contexte que l’importance dynastique prend tout son sens. Les rois de France vont alors pousser à assoir leur pouvoir grâce aux lignages qu’ils vont mettre en valeur avec la dynastie carolingienne, dont le principal personnage fut Charlemagne, et ainsi s’émanciper des deux pouvoir impériaux : celui de l’empereur du Saint Empire germanique et celui du pape, pouvoir qui va s’affermir au XIIIème siècle avec Innocent III. Cet héritage carolingien mis en avant, nous le retrouvons dans l’architecture comme le palais de la cité construit à l’exemple de celui d’Aix la Chapelle, palais de Charlemagne, mais également dans des signes plus spirituels comme l’emplacement des tombes à Saint-Denis par Louis IX qui met les rois de France dans la dynastie et la descendance des carolingiens. Pour assurer l’existence de sa dynastie, la famille royale prend un rôle tout aussi important que les signes extérieurs effectuer par le roi pour légitimiser son lignage avec les anciens rois. Une fois l’héritage reçu, le souverain doit le transmettre et c’est en cela que la famille joue le rôle de transmetteur. Par la fécondité et le mariage, le roi assure son rôle politique de transmetteur du royaume. Les rois du XIIème et XIIIème siècle n’ont eu de cesse de rechercher un héritier à l’exemple de Phillipe Auguste, ou bien de marier les membres de leur famille pour assurer leur puissance à l’exemple du mariage de Louis IX, étendant le royaume de France au-delà du Rhône.
Le destin de la dynastie des Capétiens se mêlait désormais, et étroitement, avec les intérêts du royaume.
Antoine Bottineau
[i] A. Lewis, Le sang royal, p.42