Lorsque l’on veut évoquer une célèbre reine de l’Égypte ancienne, le nom qui vient le plus naturellement à l’esprit est celui de Cléopâtre ! Mais bien avant elle, des reines de cette prestigieuse famille ont exercé un rôle de premier plan. À la fois « pharaonnes » traditionnelles pour leurs sujets égyptiens et monarques macédoniennes, elles assumèrent une double identité culturelle : déesse-reine, réincarnation de divinités égyptiennes et grecques. La Revue Dynastie vous propose de découvrir le destin romanesque de certaines d’entre-elles, traçant le chemin de leur illustre descendante.

Née probablement à Memphis, vers 316 av. J-C., Arsinoé II Philadephe est la fille de Ptolémée Iᵉʳ Sôter et de Bérénice Iʳᵉ. Petite-nièce d’Antipater, elle était la dame de compagnie de sa fille Eurydice, alors deuxième épouse de Ptolémée, qu’il répudia pour épouser la petite-cousine. Ayant reçu une éducation grecque, Arsinoé épouse Lysimaque, roi de Thrace, en 299 av. J.-C., afin de sceller l’alliance entre lui et son père, peu après la bataille d’Ipsos. Malgré une différence d’âge bien prononcée, ce fut néanmoins un mariage heureux. De cette union, naîtront trois fils. Associée au pouvoir et dans la légitimité de sa dynastie, Lysimaque alla jusqu’à lui offrir de nombreuses villes, dont Éphèse qui est rebaptisée Arsinoea en référence à la reine. Mais la souveraine de Thrace est également une intrigante. Selon l’historien Strabon, elle aurait calomnié Philétairos, le fondateur de la dynastie des Attalides à Pergame, provoquant une révolte de la cité contre lui. Mais son plus gros coup d’éclat, fut de monter Lysimaque contre son fils Agathocle, né d’une précédente union, en prétendant que celui-ci avait comploté contre son père et s’apprêtait à prendre le pouvoir, avec l’aide de Séleucos Iᵉʳ. Un prétexte puisque dans la réalité, le prince héritier menaçait la succession au trône de son propre fils aîné. Emprisonné, Agathocle sera exécuté en – 284. Le voyageur-géographe Pausanias insinua même qu’Arsinoé avait un double-mobile, celui de se débarrasser de son beau-fils, puisqu’il aurait rejeté sa tentative de séduction, peu de temps auparavant.

 

Arsinoé II@VaticanmuseumDynastieLucasHoullé

Le bonheur fut de courte durée pour le couple royal de Thrace. En – 281, Lysimaque meurt lors de la décisive bataille de Couroupédion, qui l’opposait à Séleucos Iᵉʳ, éphémère maître de l’Asie Mineure. Arsinoé II doit alors quitter Éphèse en toute hâte,  la cité ayant pris le parti du vainqueur, et se réfugie en Macédoine, où elle s’empresse de se glisser dans le lit de son demi-frère Ptolémée Kéraunos, proclamé roi de Macédoine par l’armée, et l’épouser. Un accord entre ces deux ambitieux, Ptolémée Kéraunos souhaitant légitimer sa couronne avec un mariage royal. Mais quelques semaines après ces noces, le nouvel époux de la veuve de Lysimaque fait assassiner les fils qu’elle a eu de sa précédente union, à Cassandréia. Seul l’aîné, Ptolémée de Telmessos, qui avait tenté de convaincre sa mère d’épouser son demi-oncle, échappa au massacre. Répudiée, Arsinoé est à nouveau contrainte à l’exil et se retire à Samothrace, en -279, avant de revenir à Alexandrie. Rentrée en Égypte, elle retrouve son frère Ptolémée II Philadelphe, qui a exilé, peu de temps auparavant, son épouse Arsinoé Iʳᵉ à Kos, accusée de conspiration. Ce contexte permet au frère et à la sœur de renouer avec la coutume égyptienne de l’inceste royal. Bien que controversée dans le monde hellénistique, (les Grecs considéraient l’inceste comme dérangeant et réservé aux dieux) cette union a été admise en Égypte, grâce à l’intuition du couple royal de l’associer au culte d’Isis et Osiris, divinités auxquelles les époux royaux s’identifiaient. Le poète Théocrite vanta ces noces dans son Idylle, où il assimile également le couple pharaonique à Zeus et à Héra, certainement pour mieux appuyer le syncrétisme, et surtout, de mieux faire accepter ce mariage auprès de la population grecque. Un mariage célébré en -275  surtout politique, afin de renforcer la dynastie et de dissuader les autres familles macédoniennes qui pouvaient aspirer au Trône. Quant à Ptolémée de Telmessos, il reçut de son oncle et beau-père, la cité de Telmessos, vers – 260, après avoir échoué à reconquérir le trône de Macédoine. Le nouveau couple de pharaons n’eut pas d’enfants. En lieu et place, la souveraine adopta les enfants de la précédente épouse de son frère.

Arsinoé@muséeMet/MuséeduLouvres/Dynastie

En devenant désormais reine d’Égypte, Arsinoé II exerça une grande influence à la Cour et contribua à l’éclat de son royaume et à la grande expansion de la puissance ptolémaïque en dehors du pays. Elle a également porté le titre de Pharaon, allant jusqu’à se faire représenter de cette manière comme le montre la statue, conservée au Musée Grégorien Égyptien du Vatican. D’après une épigramme du poète Posidippe, elle aurait même remporté trois courses de char, aux Jeux olympiques de – 272. Pour montrer sa puissance, elle n’hésite pas à faire frapper des monnaies à son effigie. Un octodrachme en or, retrouvé, où elle figure à l’avers, nous la montre vêtue à la grecque, coiffée de la stéphanè (couronne d’Aphrodite). Au revers, figurent deux cornes d’abondance, en hommage à la chèvre Amalthée et rappelant ainsi l’origine familiale de sa famille, qui se prétendait descendante de Zeus. À sa mort, Arsinoé II est divinisée, en tant que « déesse de l’amour fraternel », certainement en hommage à son épithète Philadelphe (« Celle qui aime son frère »). Deux temples, à Alexandrie et à Memphis, où son culte a été associé à celui du dieu Ptah, lui étaient dédiés. Elle est également représentée, comme nous le montre la stèle de Cambridge, dans l’art figuratif égyptien, coiffée du disque solaire et des cornes de vaches d’Hathor, des couronnes Néret et Decheret, ainsi que des cornes de bélier d’Alexandre, montrant ainsi l’attachement à la culture égyptienne et le syncrétisme religieux qui s’opère à cette période. On y note aussi la présence de son cartouche. Ptolémée II ne se remaria pas, afin de renforcer le culte son culte, qui lui permettait de prélever de nouveaux subsides des temples égyptiens, versés directement dans le trésor royal, sans essuyer de révoltes de la part du clergé local.

La chevelure de Bérénice II

Si l’on demande à quelqu’un de citer une célèbre Bérénice antique, elle pensera certainement à la reine de Judée de Racine et non à une reine d’Égypte. Et pourtant, une partie d’elle nous observe chaque nuit, dans le ciel. Née entre 267 et 266 av. J.-C., Bérénice II est la fille de Magas, roi de Cyrène et demi-frère de Ptolémée II Philadelphe et d’Apama II. Afin de sceller la paix entre son père et son oncle, elle fut promise à son cousin, Ptolémée III Évergète Iᵉʳ, en -250. Par ce mariage l’Égypte, aurait récupéré la Cyrénaïque, devenue indépendante suite à la révolte de Magas. Toutefois, à la mort de ce dernier, sa veuve rompit les accords que celui-ci avait passé et maria sa fille à Démétrios Kalos, demi-frère du roi de Macédoine Antigone II Gonatas. Mais lors de son accession au trône de Cyrène, le nouveau roi devint vite très ambitieux et entama une liaison avec sa belle-mère, qui ne tarda pas à éclater au grand jour, scandalisant l’armée et la population. Irritée et humiliée, Bérénice II fit assassiner Démétrios Kallos vers -249, quitta le royaume pour voyager en Égypte, et honora donc, par la même occasion, le contrat de son père, en épousant Ptolémée III, avec qui, elle exerça une corégence de -246 à -222. Exerçant de grands pouvoirs, la nouvelle reine ptolémaïque apparaissait derrière son époux dans la célébration du culte divin, et fonda l’actuelle ville de Benghazi (Libye). Fervente adoratrice de la déesse Bubastis, elle fit construire un temple en son honneur, après avoir donné naissance à son fils Ptolémée IV Philopatôr.

Bérénice II @ MuséeduLouvres/Glyptothèque de Munich/Dynastie

Mais si Bérénice II est entré dans la postérité, c’est à la suite d’un épisode, nommé le « sacrifice de la boucle ». L’épisode nous est relaté par Callimaque de Cyrène, dans l’un de ses poèmes. Il raconte que durant l’absence de son mari en Syrie, la reine fit vœu à Aphrodite de lui faire don de sa merveilleuse chevelure, si son mari revenait sain et sauf de son expédition. Son souhait s’étant exaucé, Bérénice tint parole en coupant une boucle de ses cheveux et l’offrit au temple de la déesse. Mais la boucle ayant disparu de façon mystérieuse, Conon de Samos, l’astronome de la cour, expliqua que l’offrande avait tellement plu à la déesse qu’elle l’avait transformé en constellation, que l’on appelle depuis, la « Chevelure de Bérénice ». Mais cela ne lui fit pas obtenir une protection divine, puisque peu de temps après la mort de son mari, Bérénice fut assassinée sur ordre de ses fils Ptolémée IV et Magas.

Les Cléopâtre, souveraines ennemies

La première reine lagide qui était prénommée « Cléopâtre », était une princesse séleucide. Fille d’Antiochos III, Cléopâtre Iʳᵉ Syra épousa Ptolémée V Épiphane Eucharistos en -193, amenant une paix provisoire entre sa famille et les Ptolémées. À la mort de son époux, elle assura la régence de son fils mineur Ptolémée VI Philométor, devenant ainsi la première femme de la dynastie à obtenir les pleins pouvoirs, jusqu’à sa mort en -176. Il est ironique de savoir que le nom du plus célèbre membre de la lignée est, en réalité, importé d’une autre famille royale ! Cléopâtre Iʳᵉ est aussi la mère de Ptolémée VIII Évergète II Tryphon, qui épousa conjointement sa sœur Cléopâtre II Philométôr Soteira et la fille de cette dernière Cléopâtre III Évergète. Néanmoins, il associa les deux princesses à son pouvoir, montrant pour la première fois, deux pharaonnes à la tête de l’Égypte. Néanmoins, le conflit entre les deux reines devient inévitable, ce qui conduisit à une violente guerre civile de dix ans, de nombreuses querelles dynastiques, qui affaiblirent peu à peu les Lagides. Toutefois, les trois monarques finirent par se réconcilier et Ptolémée VIII assimila ses épouses au culte du pouvoir pharaonique. Nous avons d’ailleurs un très beau témoignage de ce culte, au Temple d’Edfou, où afin de légitimer sa prise de pouvoir, le pharaon Ptolémée VIII est représenté recevant l’épée de victoire et le symbole d’un règne de millions d’années, des mains d’Haroéris (version syncrétique d’Horus), accompagné des deux Cléopâtre qui sont derrière lui, coiffées du disque solaire et des cornes de vaches d’Hathor, ainsi que des couronnes Néret et Decheret et des cornes de bélier d’Alexandre, avec leurs cartouches. À voir le destin tragique de Cléopâtre IV, qui se fera couper les mains par les soldats de sa sœur, afin de la détacher de la statue d’Apollon à laquelle elle s’était enchaînée, pour être assassinée, et des autres princesses homonymes, il faut croire qu’il n’est pas bon de porter ce prénom chez les Lagides.

Bérénice IV et Arsinoé IV@Wlaterartmuseum/Dynastie

Les sœurs de Cléopâtre : Bérénice IV et Arsinoé IV

Hormis les antiquisants, peu de monde sait que Cléopâtre avait deux sœurs, au destin tout aussi tragique. L’aînée, Bérénice IV, fut portée sur le trône par les Alexandrins, lorsqu’ils se révoltèrent contre son père, Ptolémée XII Aulète Néos Dionysos, en juin -58, coupable de ne pas avoir empêché l’annexion de Chypre par Rome. Mais elle sera déposée par son père, lorsque celui-ci récupérera sa couronne, en mars -55, avec l’aide du gouverneur de Syrie, Aulus Gabinius. Les Ptolémées faisant fi des considérations familiales, Ptolémée XII n’hésita pas à faire exécuter sa propre fille et l’effaça du culte dynastique, subissant alors une damnatio memoriae. Cadette de la fratrie, Arsinoé IV régna avec son frère Ptolémée XIII Théos Philopator, après que celui-ci eut chassé Cléopâtre. Mais refusant le rétablissement de sa sœur sur le trône, par Jules César, elle déclenche avec son frère, une guerre civile. Vaincue et capturée par les Romains, elle figure en ennemie vaincue, lors du triomphe de César, en -46, en même temps que Vercingétorix. Contrairement au chef gaulois, elle évita l’étranglement, un sort habituellement réservé aux prisonniers après les festivités. César l’exila donc à Éphèse, où il lui accorda résidence dans le sanctuaire du temple d’Artémis. Ce qui ne fut pas du goût de sa sœur, qui la considérait comme une menace à son pouvoir. Arsinoé y vivra tranquillement, jusqu’à la mort de son protecteur, en – 44, puisque Cléopâtre parvint à convaincre Marc Antoine de la supprimer. Arsinoé IV fut exécutée en – 41, sur les marches de l’Artémision, choquant alors profondément le monde romain, qui prit cet événement comme une profanation du sanctuaire. Arsinoé IV aurait été inhumée à Éphèse, dans une tombe, appelée « l’Octogone ». Une reconstitution de son visage, à partir du crâne du squelette, retrouvé en 1929, a été publié en 2009. Bien que contesté par la communauté historique, notamment par Mary Beard, tout porte pourtant à croire qu’il s’agisse bien de la dépouille de la princesse lagide, ce qui indiquerait qu’il s’agirait des seuls restes de la dynastie des Ptolémées en notre possession.

Les destins des reines ptolémaïques montrent qu’elles exerçaient un important pouvoir politique. Vivant dans un pays où la femme est égale à l’homme, contrairement à Rome ou en Grèce, cette mentalité a peut-être pu jouer en leur faveur pour mieux s’imposer à la tête de leur royaume. Toutes ces mesures ont pu permettre l’émergence d’un rôle important aux plus hautes sphères du pouvoir, amenant à la grande puissance d’une Cléopâtre VII, qui est la plus grande représentante de ce phénomène, et qui fit très peur aux Romains. Que devinrent les Lagides par la suite ? Sa fille Cléopâtre Séléné II fut tellement fière de ses origines, qu’elle n’hésitait pas à s’afficher en digne héritière de sa mère, multipliant les références à sa famille maternelle, comme sur la patère de Boscoreale, passée au peigne fin par Christian-Georges Schwentzel, dans son ouvrage Cléopâtre, la déesse-reine, ou sur les monnaies frappées par son mari, Juba II, roi de Maurétanie. Elle fut même parfois qualifiée de Cléopâtre VIII.  Leur fils, qui sera assassiné à Lyon par Caligula, fut prénommé Ptolémée. Reste le cas de la reine Zénobie de Palmyre qui prétendait être la descendante de Cléopâtre VII supposant ainsi que son suicide dn’avait pas mis fin à la dynastie des Lagides.   Un mystère qui qui reste encore à résoudre.

Lucas-Joël Houllé