Symbole éclatant du XIXᵉ siècle espagnol, le duché de la Victoire résume à lui seul un siècle de luttes, d’ascensions politiques et de fidélités dynastiques. Créé en 1839 pour honorer le général Baldomero Espartero, héros des guerres carlistes, ce titre prestigieux a traversé crises, exils et tragédies familiales, tout en demeurant l’un des emblèmes les plus puissants de la noblesse espagnole.

Le duché de la Victoire, l’un des titres les plus prestigieux de la noblesse espagnole, est indissociable de l’histoire du XIXᵉ siècle espagnol. Créé en 1839 par la reine Isabelle II en hommage au capitaine général Joaquín Baldomero Fernández-Espartero Álvarez de Toro, ce titre de Grand d’Espagne de première classe symbolise autant la gloire militaire que l’influence politique.

Depuis lors, la famille Espartero a traversé les turbulences de l’histoire espagnole, de la guerre civile aux régences, en laissant une empreinte durable dans la mémoire nationale.

Baldomero Espartero @wikicommons

Baldomero Espartero : héros militaire et régent de l’Espagne 

Né en 1793 à Granátula de Calatrava, dans la province de Ciudad Real, Baldomero Espartero est le neuvième enfant d’un humble charpentier. Destiné à devenir prêtre, il entre au couvent à 16 ans mais abandonne rapidement le séminaire pour s’engager dans un bataillon d’étudiants et de séminaristes destiné à combattre les troupes napoléoniennes. Sa bravoure précoce lui ouvre les portes de l’École militaire de l’île Saint-Léon et, en 1811, il intègre l’académie du Génie, devenant sous-lieutenant en 1812.

Sa carrière militaire prend rapidement une dimension internationale. Envoyé en Amérique du Sud pour réprimer les mouvements indépendantistes, il se distingue dans les combats contre les insurgés chiliens et boliviens. Ses blessures et son ascension rapide aux grades de capitaine, commandant et colonel illustrent à la fois son courage et son talent stratégique. De retour en Espagne, il épouse María Jacinta Martínez de Sicilia en 1827, consolidant ainsi son ancrage social et familial.

La mort de Ferdinand VII en 1833 entraîne une guerre civile entre (d’une part) les partisans de sa fille et successeur Isabelle II et (d’une seconde part) ceux de son frère Carlos (les Carlistes).  Espartero s’impose comme l’un des principaux chefs des forces libérales, ou « Isabelinos ». La victoire de Luchana en 1836 marque le tournant de la première guerre carliste : elle lui vaut le titre de comte de Luchana et inaugure une série de succès qui le conduiront à devenir duc de la Victoire et prince de Vergara. Par l’accord de Bergara en 1839, il met fin à la guerre civile dans le Nord-Ouest de l’Espagne, symbole de sa capacité à mêler génie militaire et sens politique.

Son ascension le mène au sommet du pouvoir : régent de la reine Isabelle II de 1840 à 1843, il tente de moderniser l’Espagne et d’affirmer le pouvoir central. Pourtant, son autorité suscite des révoltes populaires et militaires, notamment à Barcelone et en Catalogne, où son gouvernement répressif engendre colère et résistance. Face à l’insurrection générale, il choisit l’exil, achevant sa carrière politique par une retraite respectée à Logroño. Son prestige reste intact, honoré par les souverains successifs d’Espagne, et il conserve une place durable dans l’histoire nationale.

Pablo Montesino y Fernández-Espartero (gche) et José Luis Montesino-Espartero y Averly (dr)@wikicommons

La dynastie Montesino y Espartero : héritage et tragédie

Le duché se transmet à travers la famille, incarnant l’histoire complexe de l’Espagne. Après Baldomero Espartero, le titre passe à sa descendante Eladia Fernández de Espartero y Blanco (1879-1893), puis à Pablo Montesino y Fernández-Espartero, 3ᵉ duc de la Victoire (1893-1936).

Pablo Montesino Espartero représente un chapitre plus sombre de l’histoire familiale. Grand propriétaire terrien et écrivain, il s’engage dans des activités politiques controversées, notamment la diffusion des Protocoles des Sages de Sion en Espagne dans les années 1930. Colonel de réserve, il refuse de servir dans l’armée républicaine et est fusillé en 1936 au début de la guerre civile espagnole, symbolisant la tragédie qui frappe certaines familles nobles durant ce conflit.

La figure de Pablo Montesino Espartero, arrière-petit-neveu du général, représente une période plus trouble de l’histoire espagnole. Grand propriétaire terrien en Estrémadure, il s’illustre dans les années 1930 par des positions politiques controversées et des publications antisémites. Durant la guerre civile espagnole, il est arrêté à plusieurs reprises et fusillé en 1936, à l’âge de 70 ans, pour avoir refusé de servir dans l’armée républicaine, marquant un épisode tragique dans l’histoire de la famille.

Le duché continue au XXᵉ siècle avec José Luis Montesino-Espartero y Averly (1957-1972), puis Pablo Montesino-Espartero y Juliá (1972-2010). L’actuel duc, Pablo Montesino-Espartero y Velasco, né en 1959, incarne une autre dimension de cette lignée : diplomatique et moderne. Consul général d’Espagne à São Paulo (Brésil), il a exercé de nombreuses fonctions au sein des missions espagnoles en Allemagne et auprès de l’Union européenne, jouant un rôle central dans les relations bilatérales et multilatérales de l’Espagne tout en perpétuant l’héritage d’une famille intimement liée à l’histoire du pays.

Un titre, un symbole

Le duché de la Victoire n’est pas seulement un titre de noblesse : il est le reflet d’une Espagne en transformation, entre guerres civiles, régences contestées et évolution politique. De Baldomero Espartero à l’actuel consul Pablo Montesino y Espartero, la famille illustre la capacité d’adaptation et la permanence d’un héritage historique.

Des champs de bataille des guerres carlistes aux palais diplomatiques contemporains, les ducs de la Victoire restent l’incarnation d’un passé militaire glorieux et d’une influence durable dans le présent de l’Espagne. Leur histoire, marquée par le courage, la controverse et le service public, constitue un chapitre essentiel de la noblesse espagnole et de la mémoire nationale.


Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

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