Marquis de La Ferté-Beauharnais, le duc Nicolas de Leuchtenberg a récemment inauguré une rue au nom de la princesse Augusta-Amélie de Bavière, épouse d’Eugène de Beauharnais. Aussi bien dynastes en Allemagne qu’en Russie, très discrets et peu connus, qui sont les descendants du fils adoptif de l’empereur Napoléon Ier ?
En dépit de sa consonance germanique, son nom rappelle les grandes heures du Premier Empire. Alors que la planète pleurait le décès de la reine Elizabeth II, la ville bavaroise de Pfreimd célébrait le 19 septembre 2022, quant à elle, ses six siècles et demi d’existence en grande pompe. Parmi les invités prestigieux invités à cet anniversaire commémoratif, le duc Nicolas de Leuchtenberg, 88 ans. Quelques heures auparavant, il avait inauguré à Leuchtenberg une rue au nom de la princesse Augusta-Amélie de Bavière, fille du roi Maximilien Ier et épouse d’Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie et fils adoptif de l’empereur Napoléon Ier, dont il descend directement.
Un alliance politique entre deux maisons
En 1805, la France et la Bavière décident de renforcer leurs liens d’amitié. Munich va fournir à Napoléon Ier un contingent de 30 000 soldats dont la principale mission va être de contenir les Autrichiens à Iglau. Nous sommes à la veille d’une des plus grandes victoires de l’Empereur des Français, celle d’Austerlitz, le 2 décembre de la même année. La paix de Presbourg signée le 24 décembre suivant permet à la Bavière d’acquérir de nouvelles terres et d’être érigée en royaume. L’électeur Maximilien des Deux-Ponts devient Maximilien Ier de Bavière et adhère à la nouvelle Confédération du Rhin créée par Napoléon Ier. À cette union, il faut un mariage. Une nouvelle fois, c’est l’Empereur des Français qui va être à la manœuvre. Eugène (25) et Augusta-Amélie (18 ans) convolent en justes noces le 14 janvier 1806. Bien que le mariage soit purement politique et dépende entièrement du destin de Napoléon Ier, il sera heureux et accouchera de 6 enfants. Sans le savoir, ils vont devenir les ancêtres des actuels rois de Norvège, Suède, Danemark, Belgique, du grand-duc du Luxembourg et des anciens rois du Portugal et de Grèce. À la chute du Premier Empire en 1814, le couple se réfugie en Bavière après avoir perdu leur vice-royauté italienne. Maximilien Ier s’empresse de les titrer duc et duchesse de Leuchtenberg avec qualité princière. Eugène de Beauharnais tente d’obtenir vainement la principauté de Pontecorvo à son profit, mais le retour de l’Aigle va ruiner ses projets. Bien qu’il demeure fidèle à Napoléon Ier (il a refusé de le trahir alors que son beau-père lui promettait une couronne italienne), il assiste en spectateur aux Cent-jours (mars-Juin 1815). Par la suite, il va se contenter de gérer sa fortune avant de décéder prématurément d’une crise d’apoplexie en 1824.
Ephémère roi du Portugal
Augusta-Amélie doit désormais gérer l’avenir de son fils héritier Auguste (1810-1835). Le nom du fils d’Eugène est cité en février 1831 comme potentiel roi de Belgique, mais il est vite rejeté. Les puissances du Congrès de Vienne craignaient alors que la proximité des Leuchtenberg avec la monarchie libérale des Orléans ne mette la France en position de domination européenne. C’est encore cette position qui va prévaloir lors des événements qui surviennent au Portugal entre 1828 et 1834. Amélie de Leuchtenberg a épousé l’empereur Dom Pedro Ier. Titré duc de Santa Cruz, Auguste est devenu le beau-frère du souverain brésilien. Très habilement, sa mère va pousser son fils dans le bras de la reine Maria II du Portugal, issue du premier mariage de Dom Pedro Ier avec Léopoldine de Habsbourg-Lorraine. Une reine qui avait dû se battre pour conserver sa couronne dont s’était emparée Dom Miguel Ier, son oncle et premier mari. Cette dignité royale retrouvée va agacer les puissances du Congrès de Vienne qui protestent. Pourtant, Auguste ne sera jamais sacré monarque. Il meurt deux mois après son mariage avec Maria II. À l’époque, on évoque un empoisonnement orchestré par des agents du Congrès de Vienne. Rien ne vient cependant étayer cette thèse.
Des Beauharnais plus russes que français
C’est son frère Maximilien (1817-1852) qui devient le nouveau duc de Leuchtenberg. Promis à une carrière militaire, il a vécu une enfance heureuse en Bavière en dépit d’un rang inférieur à celui des Wittelsbach. C’est lui qui ait choisi pour représenter la Bavière en Russie lors de manœuvres militaires en 1837. Dans la réalité, le tsar Nicolas Ier a insisté pour que soit désigné le fils d’Eugène de Beauharnais. Le souverain russe cherche à marier une de ses filles avec un des fils du roi de Bavière qui ne s’est pas montré intéressé jusqu’ici. Une fois en Russie, Maximilien tombe sous le charme de la grande-duchesse Marie. Pour épouser sa dulcinée, il accepte de s convertir à la religion orthodoxe au grand dam de sa mère, catholique intransigeante. En vain. Maximilien épouse Marie en juillet 1839, auréolé de titres russes et polonais. Une revanche pour ces napoléonides. Richement doté, le couple sera le parent de 6 enfants (bien que Maximilien sera infidèle à son épouse). Il fera une brillante carrière dans l’armée russe, sera un précurseur dans l’étude de la galvanoplastie et finance la construction des premières locomotives en Russie.
Un nom pour deux trônes
Son fils Nicolas Maximilianovitch de Leuchtenberg (1843-1901) a été titré prince Romanovsky. Sa naissance a été difficile, né avec une jambe plus courte que l’autre. Il devra subir 4 opérations en Allemagne et au Royaume-Uni afin de pouvoir retrouver l’usage normal de ses jambes. Carrière militaire brillante comme son père, il est très proche du tsar Alexandre II. Jeune homme cultivé (il étudie la minéralogie, la géologie et la paléontologie.), son nom est au centre des discussions grecques lorsqu’il s’agit de trouver à ce pays un nouveau souverain. L’Angleterre et la France s’opposent à la nomination du prince alors qu’il est appelé sur le trône par une population qui lui est favorable. Pour Napoléon III, pas question de soutenir cette candidature qui renforcerait la position russe dans les Balkans. Une guerre d’influence est lancée où chaque parti politique avance ses pions. Afin d’éviter l’élection d’un fils de la reine Victoria, Alexandre II met fin à sa candidature et un accord signé permet finalement à un outsider de monter sur le trône grec, le prince Guillaume du Danemark, futur Georges Ier. En 1866, le nom de Nicolas de Leuchtenberg refait à nouveau surface avec une candidature au trône de Roumanie. Mais c’est depuis Saint-Pétersbourg que va venir la résistance. Alexandre II ne veut pas qu’un membre de sa famille soit un simple gouverneur vassal des Turcs. Il est vrai aussi que Nicolas était tombé en disgrâce en raison de sa liaison avec la sulfureuse Nadège Sergueïevna Akinfova (dont la beauté a détruit une famille entière, du grand-oncle au fils de celui-ci partageant sa couche). Pis, il lui fait un enfant, déserte son poste et l’épouse en Bavière en 1863. Le scandale est énorme. Sa mère se mure dans le silence, ses frères et sœurs coupent leurs liens avec lui, il perd privilèges et titres. Il faudra attendre 1879 avant que le couple ne puisse être réhabilité, en raison de l’héroïsme du duc lors de la guerre russo-turque (ses deux enfants issus de son mariage perdent leurs droits au trône russe.).
Le déclin d’une famille
Eugène Maximilianovich de Leuchtenberg (1847-1901) succède à son frère. Un mystère entoure sa naissance et il est probable qu’il ne soit pas le fils de Maximilien, possiblement celui de Gregori Stroganov, un chambellan de la cour impériale. Un soupçon de bâtardise qu’assumera publiquement le duc. Ses relations sont exécrables avec sa mère. Joueur, alcoolique, amateur de femmes, ses mariages sont des désastres comme sa carrière militaire qui connaît de multiples rebondissements. Pour survivre financièrement, il fait même chanter son cousin, le grand-duc Alexis Romanov qui entretient une liaison avec sa seconde femme, Zenaïde Skobelev. La chute est si vertigineuse que le tsar Alexandre III évoque le « déclin de cette famille ». Son frère Georges (1852-1912) hérite du titre. Entouré du même mystère de naissance, il suivra la tradition militaire familiale et épouse successivement la duchesse Thérèse d’Oldenbourg puis la princesse Anastasia du Monténégro, entrée dans l’histoire pour avoir introduit un certain Raspoutine à la cour impériale. Un dernier mariage désastreux (il ne cesse d’insulter son épouse dès le premier jour de leurs noces), d’un an, qui se termine par un divorce en 1906 dès lors que duc de Leuchtenberg s’affichera avec sa maîtresse française à Biarritz.
Héros de la guerre civile russe
Le destin des Leuchtenberg va suivre celui des Romanov. Serge de Leuchtenberg (1890-1974) grandit loin des yeux de son père, à la cour impériale. Anastasia s’est remariée au grand-duc Nicolas Romanov, futur généralissime de Nicolas II. Serge va s’engager dans la Marine où il participe à la reconquête de la ville impériale de Trébizonde en 1916 alors aux mains des Turcs. Lorsque la révolution éclate, le duc de Leuchtenberg est démis de ses fonctions d’officiers. D’abord peu inquiété, il est arrêté par les communistes en 1918. En raison de sa non-appartenance aux Romanov, il est finalement libéré grâce aux actions de son aide de camp. Il fuit en Crimée russe et rejoint les armées blanches. Officier contre-révolutionnaire, il participe aux prises des villes de Kherson et de Mykolaïev en Ukraine. Chez les monarchistes, l’autorité du général Wrangel ne tarde pas à être remise en question. Le 1er juillet 1919, le duc est limogé de ses fonctions, accusé d’avoir pris part à un complot visant à prendre le commandement des tsaristes et dans l’intention de se proclamer régent. Il se réfugie en Italie où il sera approché par les fascistes afin d’occuper un trône au Monténégro durant la Seconde Guerre mondiale. Couronne qu’il refusera sèchement alors que sa tête est mise à prix par les soviétiques, se démenant pour assurer un certain confort aux prisonniers russes en Italie. Avec lui, s’éteint la branche russe des Leuchtenberg.
Une mémoire vivante
C’est Nicolas Nikolaïevitch de Leuchtenberg (1868-1928) qui reprend l’héritage au décès de son cousin. C’est le fils de Nicolas de Leuchtenberg et de Nadège Akinfova. Il s’est distingué lors de la Première Guerre mondiale et a été un des rares officiers à s’être opposé à l’abdication du tsar Nicolas II. Nicolas Nikolaïevitch de Leuchtenberg va profondément s’impliquer dans le mouvement blanc, notamment avec les tsaristes Ukrainiens. Il représentera le mouvement à Berlin et obtient du Kaiser que l’Allemagne arme les cosaques afin de combattre les communistes. Mais il est trop tard. La fortune des Leuchtenberg s’est considérablement réduite entre-temps. Après la guerre civile, il produira un vin qui portera son nom. Le décès accidentel de son fils en mars 1928 va grandement l’affecter. Nicolas meurt de tristesse la même année.
Le titre des Leuchtenberg-Beauharnais est aujourd’hui assuré par la branche morganatique allemande, porté par Nicolas Alexandre Frédéric de Leuchtenberg. Il a fait sa carrière comme ingénieur du son à la télévision ouest-allemande. Père de deux garçons, il est la mémoire de sa famille, régulièrement invité à des commémorations ou conférences sur l’histoire de sa dynastie.
Frederic de Natal