C’est une rencontre qui a fait le buzz dans la presse turque. Fin juillet, le président Recep Tayyip Erdoğan a officiellement invité les membres de la maison impériale Ottomane au palais présidentiel de Çankaya. Parmi lesquels le prince Harun Osman Osmanoğlu, actuel prétendant au trône d’un empire qui a été aboli il y a presque un siècle. La Revue Dynastie vous révèle les coulisses de cette rencontre qui est loin d’être anodine et qui réintroduit la maison impériale dans l’ordre protocolaire.

C’est un nom qui divise profondément les turcs. Entre admiration et détestation, il est pourtant indissociable de l’histoire de la Turquie et a inspiré la peur à des générations d’Européens durant des siècles. Le 29 juillet 2022, l’œil de la presse turque a été attirée par une photo publiée, largement partagée, sur les comptes Twitter des membres de la maison Osmanoğlu. Sur le trône ottoman, sans interruption, entre 1453 et 1924, ils ont été officiellement reçus par le président Recep Tayyip Erdoğan au palais présidentiel de Çankaya, un vaste complexe situé à Ankara, la capitale de la Turquie. Très rapidement, tous les médias locaux se sont emparés de cette information et l’ont relayé tant l’événement est historique. Parmi les invités, le prince (Şehzade) Harun Osman Osmanoğlu (90 ans) actuel prétendant au trône, son fils, le prince Ohran ( 59 ans) et sa sœur la princesse Nurhan (’49 ans).

Le retour du néo-ottomanisme en Turquie

Si rien n’a filtré de cette rencontre au sommet, le rendez-vous n’a rien eu d’anodin. Depuis qu’il est à la tête de la Turquie, d’abord comme Premier ministre de 2003 à 2014, puis comme Président depuis 2014, Recep Tayyip Erdoğan a initié une politique de réhabilitation de l’héritage ottoman. Élaborée par son ancien ministre des Affaires étrangères (2009-2014), Ahmet Davutoğlu, elle se traduit par différents plans. Retour de l’islam au centre des préoccupations turques, tranchant avec la vision laïque imposée par Mustafa Kémal Atarturk, le tombeur des Ottomans, activisme d’ingérence politico-économique dans les anciens territoires de l’empire (Moyen-Orient, Afrique du Nord et Europe), réintroduction de la notion de nationalisme à travers les grands symboles politiques et culturels de l’Empire défunt- comme avec son alphabet ou son histoire (la prise de Constantinople par le sultan Mehmet II, le 14 mai 1453, donnant lieu chaque année à de grandioses festivités sur fond de reconstitution)-, retour de son influence en Europe en raison de sa position stratégique, carrefour entre Orient et Occident, et réhabilitation de la maison impériale des Osmanoğlu (un projet de loi concernant un éventuel statut officiel est toujours en attente d’être voté). Dernier acte de cette politique, le décret du 10 juillet 2020 qui a re-transformé la Basilique orthodoxe Sainte-Sophie en mosquée. Une décision qui avait été publiquement et chaleureusement bien accueillie par les partisans de la maison impériale et les Osmanoğlu eux-mêmes mais très critiquée par l’Europe.

Un retour en grâce qui irrite les partis politiques

Un néo-ottomanisme qui a largement remis en selle la maison impériale, longtemps ostracisée, autorisée à revenir en Turquie en 1973 avec l’assouplissement de la Loi de Bannissement. Sans que pour autant le président Recep Tayyip Erdoğan n’envisage de céder à sa place à un des descendants des divers chefs de la maison impériale qui se sont succédés depuis la mort du calife Abdülmecid II, dernier souverain ottoman décédé en 1944. Un retour en grâce des Osmanoğlu qui n’est d’ailleurs pas du goût de tous les partis politiques, y compris au sein du Parti de la justice et du développement (AKP) du président Erdogan qui commence à s’irriter de cette montée en puissance de ses anciens princes :

-Pour des raisons politiques. Lors des dernières festivités nationales (Fetih), la maison impériale n’a pas été invitée comme de coutume. : « Le fait que notre État célèbre la conquête d’Istanbul avec beaucoup de soin a une grande place dans les yeux de notre peuple. Descendant du sultan Mehmet, nous nous attendions à ce que mon père, Harun Abdülkerim Osmanoğlu, le chef de la famille de la dynastie, nous représentant, soit invité à cette célébration » s’est indignée la princesse Nuhran. Une apostrophe qui n’a pas plu à l’avocat Mücahit Birinci qui leur a vertement rappelé leur place. « Vous êtes des citoyens égaux de la République de Turquie. Vous avez également la liberté de voyager. Vous êtes invités aux cérémonies d’ouverture, juste comme tous nos citoyens. Mais Fethi est le symbole de toute notre nation et ce n’est pas la propriété d’une famille » a répondu ce député de l’AKP. L’arrivée des Osmanoğlu sur la scène politique a fait crisper également la présidence. Le prince Abdulhamid Kayıhan Osmanoğlu a refondé le parti d’extrême-droite Refah en 2019, profondément nationaliste et europhobe. Si ses résultats locaux sont encore mineurs, un incident à fait monter la tension entre le palais de Çankaya et les Osmanoğlu, déjà très échaudé par une tentative de putsch impliquant militaires et membres de la société civile (2016). En février 2021, une manifestation contre gouvernementale a tourné en faveur de la maison impériale avec l’apparition (orchestrée) du prince Abdulhamid Kayıhan Osmanoğlu qui a pris la tête de la marche comme le rapporte le quotidien Cum Hurriyet.

-Pour des raisons culturelles. Les films et les séries télévisées à la gloire ne manquent pas en Turquie. « Fetih 1453 » (ou Constantinople), produit en 2012, a été le plus gros budget de l’histoire cinématographique turque et a connu un très vif succès populaire en dépit de sa vision très pan-turque des événements de cette époque. La série « Payitaht: Abdülhamid », cinq saisons diffusées entre 2017 et 2020, a fait un carton à la télévision, glorifiant largement la période de règne de ce monarque moderne, pourtant caractérisée par le déclin de l’Empire. Une série qui a tenu en haleine des millions de turcs et pour laquelle les Osmanoğlu ont été étroitement associés. Un héritage que ne cesse de revendiquer et glorifier le prince Ohran sur le site d’information Ogun Haber entre deux tweets politiques aux accents très patriotiques, suivi par 250 000 personnes sur les réseaux sociaux. La princesse Nilhan Osmanoğlu, petite-fille du prétendant, influenceuse célèbre dans le pays, a créé une entreprise qui vend des bijoux, des vêtements et d’autres articles ménagers de style ottoman. Elle est devenue une entrepreneure à succès, faisant régulièrement les couvertures des magazines locaux. Elle a même tenté de récupérer l’île de Galatasaray en 2017, propriété de la maison impériale du temps de l’Empire et qui appartient aujourd’hui au club de football du même nom. Une OPA qui a échoué, mais en dit long sur le pouvoir retrouvé des Osmanoğlu.

Une rencontre historique et un droit de protocole octroyé

C’est dans ce contexte que la réunion a eu lieu. « À la demande de la maison impériale » comme l’a révélé le prince Ohran au micro d’ODAT TV4  et sur Ogun Haber. « Récemment, nous avons demandé un rendez-vous à notre président. Dieu merci, il nous a répondu dès que possible. Chaque fois que notre président a rencontré notre père depuis les années 90, il l’a traité avec beaucoup d’amitié, le qualifiant de frère aîné. Ils ont établi et maintenu cette proximité de cette manière depuis lors » a déclaré le fils du prétendant au trône. « Nous avons été emmenés dans la salle de réunion et notre président nous attendait à une table spéciale avec le drapeau turc derrière lui » a poursuivi le prince Orhan. Une rencontre qui n’a pas excédé une heure trente. « Notre Père Harun Efendi a longtemps réclamé cette rencontre afin de montrer à quel point il était bouleversé par les insultes et les injustices faites à notre Président sur les réseaux sociaux et à la télévision. Il est essentiel en tant que dynastie Osmanoğlu, que nous le soutenons et restons derrière lui » a souhaité préciser le prince. En filigrane de la rencontre, les excuses de la maison impériale concernant les événements de février 2021. « Nous avons clarifié cette question et déclaré que mon frère n’était là qu’en tant que consultant, qu’il n’avait aucune exigence politique, comme être élu au parlement » a affirmé Orhan au quotidien Cum Huriyet.

Aucune revendication n’a été faite auprès du leader de l’AKP. Toutefois, celui-ci aurait toutefois assuré que le prétendant au trône avait désormais un droit protocolaire à toutes les cérémonies, poussant la maison impériale à poursuivre ses activités caritatives à l’étranger afin de promouvoir la culture turque. Une mise au pas qui en dit long sur l’influence des Osmanoğlu dans le pays et la volonté de Recep Tayyip Erdoğan à démontrer qu’il demeure le seul homme du pays à se rêver en nouveau sultan de Turquie.

Frederic de Natal