Les rapports entre les hommes et les femmes ont constamment évolué au cours des siècles. Ces dernières années, le féminisme a pris, sans conteste, énormément d’importance dans la sphère publique. Un mouvement qui n’hésite pas à dénoncer les différentes inégalités qui persistent entre les deux sexes. Ce conflit « vieux comme Hérode » a amené la Revue Dynastie à jeter un regard sur la condition des femmes sous la Rome antique, berceau du monde latin.  

Scène de vie d’une Romaine à Rome

 

Les femmes dans la société romaine

La société romaine était réglée comme du papier à musique, hiérarchisée jusque dans le rôle que devait tenir la femme. Née libre, elle était appelée à devenir une matrone, c’est-à-dire une femme mariée et honorable. Sa fonction première se résumait avant tout à élever ses enfants et de perpétuer ainsi la lignée. Cependant, contrairement à la femme grecque, qui restait le plus souvent à la maison, son alter ego romain profitait d’une plus grande liberté de mouvement. Elle pouvait donc posséder des biens en propre, parfois même de véritables fortunes, des esclaves lui permettant de se libérer des tâches domestiques, flâner dans les boutiques, se rendre au théâtre, se donner rendez-vous entre amies, assister à des rites religieux et aux jeux, se rendre aux thermes (établissements dans lesquels elle avait la possibilité de pratiquer la gymnastique, ou éventuellement rechercher les plaisirs de la chair, ce qui provoquera un grand débat sur la mixité des bains) ou encore hériter de son père. Elle restait toutefois dépendante d’un homme sur le plan juridique. Ce qui faisait d’elle, comme le dit si bien, Virginie Girod, une « éternelle mineure » soumise à quelques restrictions. Certaines femmes du peuple exerçaient même un métier : elles pouvaient tenir un commerce, être sage-femme ou même médecin, tisseuse de laine ou de lin, couturière… Enfin, celles issues de familles patriciennes pouvaient devenir vestales, des prêtresses qui jouissaient d’un immense prestige dans la Rome antique.

Mariage d’une Romaine (ou accession à la prêtrise ?)

Mariage, vie de famille et divorce

Comme aujourd’hui en France, les Romains reconnaissaient deux formes de mariage : une union religieuse et une autre, plus populaire, qui permettait le divorce. Dans l’Antiquité, c’était la noce rituelle, qui était reconnue comme officielle, puisque sacrée. Chez les patriciens, le mariage était généralement arrangé pour des raisons sociales et économiques. La loi autorisait les époux à se marier très jeunes, douze ans pour les filles, et quatorze ans pour les garçons. La monogamie était, bien sûr, de règle. Les noces suivaient un rite très précis. Le « jour J », la mariée, dont les cheveux étaient coiffés en six tresses, à la manière des vestales, était apprêtée d’une tunique droite, serrée à la taille par le nœud d’Hercule, que seul le mari pouvait enlever une fois la journée terminée, et d’un voile orangé, symbole du mariage, qui lui couvrira la tête et sur lequel est posé une couronne de fleurs. La cérémonie débutait par un sacrifice, suivi du consentement des époux qui joignaient symboliquement leurs mains droites. Le contrat de mariage était ensuite scellé par l’échange de tablettes devant témoins. Le repas de noces réunissait parents et amis. Dès l’apparition de la première étoile, un simulacre d’enlèvement de la jeune fille mettait fin aux festivités. Le marié la conduisait alors dans sa nouvelle demeure et lui faisait passer le seuil en la portant dans ses bras, en hommage à « l’enlèvement des Sabines » [épisode légendaire ou les premiers Romains enlevèrent les femmes des Sabins pour renouveler leur génération-ndlr] et dans le but d’éviter un mauvais présage.

Un processus qui a donné l’origine de ce fameux cliché, véhiculé par les comédies romantiques actuelles. Pour conclure cette journée, près du foyer domestique, la jeune épouse prononce alors la formule rituelle :« Où tu seras Gaius, je serai Gaia. », passant ainsi de la tutelle paternelle à celle de son mari.  Bien que son nouveau statut ne la fît pas changer de gens pour autant.

Une fois mariée, la femme romaine devait enfanter au plus vite. Mais la grossesse était une épreuve redoutée à Rome tant les naissances étaient souvent fatales pour la mère. Également redoutées les fausses-couches ; la mère craignait qu’on ne l’accuse d’avortement, pratique considérée comme un véritable crime aux yeux des Romains et lui fasse perdre ce respect obtenu au moment de la délivrance. Pis, en raison de la mortalité infantile très élevée à cette époque, les parents évitent de s’attacher à leur enfant, une fois celui-ci né. Il faut donc attendre les premières années franchies pour que les parents daignent s’intéresser à leur progéniture. Bien qu’étant initialement l’apanage des hommes, les matrones avaient le droit de demander le divorce, tout en récupérant leur dot. Du moins jusqu’à la fin de la République. Des lois imposées par les empereurs Auguste et Domitien n’autoriseront uniquement le divorce que lorsqu’il y avait consentement mutuel et faute grave, comme l’adultère ou le proxénétisme.

Vestales imaginées par le peintre Constantin Hölscher (1861–1921)

Mode et beauté

Les femmes romaines étaient très coquettes. Afin de soutenir leur poitrine, elles portaient sous leur tunique, une « fascia pectorali », équivalente des soutien-s gorge d’aujourd’hui. Une bande d’étoffe que l’on peut voir sur de nombreuses mosaïques de la Villa del Casale, à Piazza Armerina, en Sicile. À chaque corps son ajustement. Ainsi, les femmes de forte corpulence s’enroulaient des bandes d’étoffes autour de leur torse, dans le but d’affiner leur taille, sorte de corset avant l’heure. Sur leurs tuniques, les matrones portaient la « stola », une longue robe resserrée à la taille accompagnée d’une sorte de manteau drapé, la « palla », avec lequel elles se couvraient la tête lorsqu’elles sortaient de chez elles. Bien que ce vêtement ne fût plus à la mode sous Néron, l’impératrice Poppée continua de le porter, car elle affectionnait l’effet qu’elle produisait sur les hommes lorsqu’elle dévoilait sa magnifique chevelure. À l’image des femmes étrusques, les riches romaines portaient toujours des bijoux, de plus en plus précieux, comme les diadèmes, des boucles d’oreilles, des colliers, des pendentifs et des bracelets, composés de pierres précieuses et de perles, qu’elles appréciaient énormément. Une grande attention est également accordée à la coiffure. Connues pour leur complexité, la mode capillaire changeait environ tous les dix ans. Une esclave spécifique, « l’ornatrix », était chargé de teindre, de friser et d’élaborer ces coiffures compliquées, tenues par des résilles ou de longues épingles. Si le résultat n’était pas à la hauteur de ce qui était attendu, elle pouvait être battue. Les Romaines raffolaient également des cheveux blonds. Il n’était d’ailleurs pas rare que les Romaines se rajoutent des extensions provenant de cheveux d’esclaves gauloises et germaines. Ultime coquetterie, redoutant le soleil pour leur teint qui devait rester pâle, les femmes faisaient grand usage de cosmétiques et d’huiles parfumées, n’hésitant pas à utiliser des produits très toxiques, comme le blanc de céruse en guise de fond de teint, de la mine de plomb pour farder leurs yeux, ou encore de la résine, qui servait de crème épilatoire.

Prostituée à Pompeï

Vie sexuelle 

Le droit au mariage n’existait pas pour les esclaves. C’est pour cette raison, que les prostituées étaient considérées comme des femmes non libres. Contrairement aux matrones, celles-ci étaient sollicitées pour la sexualité récréative non reproductive et considérées comme des objets sexuels. Afin d’éviter de tomber enceintes et d’être alors temporairement indisponibles, les filles de joie n’hésitaient pas à pratiquer la fellation et la sodomie, pratiques sexuelles non procréatrices qui leur étaient strictement réservées, ainsi qu’aux esclaves, quel que soit leur sexe. Les pratiques sexuelles étant très codifiées à l’époque romaine. Les clients des lupanars venaient donc tester d’autres manières de faire l’amour, différentes de la pénétration vaginale, uniquement réservée aux matrones. D’ailleurs, dans les lupanars, les travailleuses du sexe, spécialisées dans les rapports buccaux, portaient justement des rouges à lèvres très vifs, afin de préciser leurs talents. Les personnes s’adonnant à cette pratique étaient socialement méprisées. D’après Virginie Girod, dans son ouvrage Les Femmes et le sexe à Rome antique, être traité de « Lèche-vagin », de fellator ou de fellatrix étaient les pires insultes que l’on pouvait entendre à Rome. Dans les livres IX et XI de ses Épigrammes, Martial plaint un serviteur, obligé de faire un cunnilingus à sa patronne, à en vomir tous les matins, et nous conte l’histoire de Nanneius qui dut arrêter de faire cette même pratique car une étrange maladie avait infecté sa langue.

Bien que les matrones devaient jurer fidélité à leurs maris, ceci ne les empêchait nullement d’avoir une vie sexuelle intense. Ainsi, comme le raconte Juvénal dans ses Satires, certaines riches romaines possédaient des jouets sexuels vivants, c’est-à-dire, de beaux esclaves qu’elles castraient afin de bénéficier du plaisir sexuel sans risquer de tomber enceintes. L’impératrice Messaline, elle-même, n’hésitait pas à aller se prostituer ouvertement dans les lupanars de Subure, le quartier le plus mal famé de Rome, allant jusqu’à faire des concours de celle qui coucherait avec le plus d’hommes possible en vingt-quatre heures, avec des professionnelles.

Deux bandes dessinées qui traitent du pouvoir exercé à Rome par Julia Domna , mère de l’empereur Caracalla

D’illustres Romaines

Nombreuses sont les Romaines qui marquèrent l’Histoire de la Rome antique. Qu’il s’agisse de Lucrèce, forcée par le fils de Tarquin le Superbe, qui préféra la mort au déshonneur, ou de Clélie qui, otage du roi étrusque Porsenna, finit par le faire plier et parvint à faire libérer de nombreux captifs, les femmes jouissaient d’un grand respect dans la société romaine quelque peu misogyne. De nombreuses impératrices ont même joué un rôle capital dans la direction de l’Empire, telles que Livie, Galla Placidia ou Poppée. Malheureusement, les portraits que l’on a fait de ces héroïnes antiques sont à prendre avec précaution, car les pires informations s’y mêlent et les sources restent très masculines. Les Romaines étaient classées dans diverses catégories par les historiens et auteurs antiques : il y a le modèle de la femme vertueuse comme Octavie, l’intrigante avide de pouvoir comme Agrippine,  la débauchée comme Messaline, la vaniteuse tyrannique comme Poppée, lorsqu’elles ne sont pas réduites au statut de mères d’empereurs plus ou moins fous, à l’instar de Julia Domna, bien que cette dernière fut à l’origine d’une gynocratie politique exceptionnelle, donnant à l’Empire, une allure cosmopolite dans tous les domaines, ou celle élevée au rang de sainte par l’Église, comme Hélène.

Loin des caricatures

Si l’on compare la condition féminine d’aujourd’hui à celle de la Rome antique, il est bien sûr évident que les femmes ne bénéficiaient pas des mêmes droits que les hommes. Cependant, il serait simpliste et réducteur de dire qu’elles étaient opprimées. En effet, dans le monde romain, être une femme émancipée juridiquement n’était pas si important. Savoir jouer judicieusement avec les codes, les règles sociales, posséder la capacité d’exercer son influence sur les autres et à s’affranchir du poids du joug d’un père, d’un mari ou d’un tuteur, permettait largement aux Romaines de vivre librement. Enfin, même si de nos jours, on évite de recontextualiser les faits, il est un fait certain que les Romaines bénéficiaient d’une certaine aura et parfois d’une véritable puissance au sein de la société romaine phallocrate et patriarcale .

Lucas-Joël Houllé