Célèbre pour sa beauté légendaire, l’épouse de l’empereur Néron, fait actuellement l’objet de travaux universitaires. Personnage indissociable de l’histoire des Julio-Claudiens, la dynastie des premiers Césars, sa vie a été portée à l’écran. Ambitieuse comme son époux transi d’amour pour sa muse, elle a gravi les échelons du pouvoir et laissé son empreinte dans l’Antiquité. Pour la Revue Dynastie, expert en son domaine et futur biographe, Lucas-Joël Houllé nous plonge dans la vie fascinante de l’impératrice Poppée.

 Livie, Messaline, Agrippine, Julia Domna, Hélène, Galla Placidia… Nombreuses sont les Romaines à s’être illustrées durant l’Antiquité. Décrites comme vertueuses, confidentes, sulfureuses (voire débauchées et nymphomanes), intrigantes, avides de pouvoir, quand elles ne sont pas réduites simplement au rôle de mères d’empereurs plus ou moins fous, ou même comme saintes, elles ont contribué au façonnement du destin de Rome. Cependant, l’une d’elles, Poppée, la deuxième épouse de Néron, semble avoir été totalement délaissée par la grande Histoire. Pourtant, cette dernière n’a rien à envier à ses homologues. En effet, cette impératrice julio-claudienne a laissé à la postérité l’image d’une femme immorale, calculatrice, manipulatrice, sensuelle et sans scrupule, enfonçant encore plus son époux dans sa folie, donnant ainsi naissance à sa légende noire. Laissons-nous donc vous raconter le destin exceptionnel et méconnu de cette riche Romaine….

Pièce de monnaie romaine représentant Néron et Poppée

Une famille originaire de Pompéi

Née vers 30 après Jésus-Christ, rien ne prédestinait pourtant Poppæa Sabina, plus connue sous le nom de Poppée, à se hisser aux plus hautes sphères de l’Empire romain. Bien qu’issue de la « gens Poppæa », une riche famille originaire de Pompéi, leurs membres n’avaient guère les faveurs du pouvoir impérial, au moment de sa naissance. Son père, Titus Ollius, questeur sous le règne de l’empereur Tibère, avait suivi Séjan dans sa chute, pour avoir été trop proche du présomptueux préfet du prétoire, avant qu’il n’obtienne une charge publique. Sa mère Poppæa Sabina, une femme distinguée d’une beauté plantureuse et décrite par Tacite comme une des femmes les plus aimables de son temps, s’était suicidée en 47, victime innocente des intrigues de Messaline, épouse de l’empereur Claude et célèbre pour son appétit sexuel hors du commun, voire sa nymphomanie (ce qui lui vaudra le surnom « d’Augusta Meretrix, » qui se traduit par « putain impériale »). Jalouse de sa beauté, cette dernière, qui d’après Juvénal, se prostituait ouvertement dans les lupanars de Subure, le quartier le plus mal famé de Rome, allant jusqu’à faire un concours avec une prostituée professionnelle, l’avait accusé d’être la maîtresse de Valérius Asiaticus, lors de son procès, et avait envoyé ses sbires la diffamer et la menacer, poussant ainsi Poppaea Sabina à commettre l’irréparable.

Poppée est également la petite-fille de Caius Poppeus Sabinus, homme d’humble naissance, qui fut consul en 9 après Jésus-Christ. C’est lui qui fut à l’origine de la « Lex Papia Poppæa », une loi à visée nataliste qui sanctionnait les célibataires et les couples sans enfants, par des mesures d’incapacité testamentaire, les défavorisant ainsi lors des partages d’héritage. Ami de la famille impériale, il fut honoré par un triomphe militaire pour avoir mis fin à une révolte en Thrace en 26. La future impératrice prendra d’ailleurs comme nom, la famille de sa mère était beaucoup plus glorieuse que celle de son père.

Les membres de la « gens Poppaea », passent aussi pour avoir été les propriétaires de quatre demeures de Pompéi, dont la Maison de Ménandre et la Maison des Amours dorés. Ils possédaient également une somptueuse villa à Oplontis, retrouvée en 1964, lors des fouilles archéologiques de Torre Annunziata, près de Naples. Cette résidence, qui aurait appartenu à Poppée, présente, d’après l’UNESCO, « les peintures murales les mieux préservées de l’époque romaine ».

La plus belle femme de Rome

Réputée pour son incroyable beauté, jamais une impératrice romaine n’a autant pris soin de l’entretien de son corps que Poppée. En effet, la souveraine est célèbre pour ses bains de lait d’ânesses, qu’elle prend régulièrement afin d’entretenir la beauté et la jeunesse de sa peau. D’ailleurs, elle ne se déplaçait jamais sans un cortège de cinq cents de ces animaux. D’après Pline l’Ancien, elle aurait aussi inventé, à partir de ce même lait, une sorte de cataplasme pour effacer les rides du visage, rendre la peau plus douce et la blanchir, à condition d’être toutefois appliqué sept fois par jour, nommé la « Pinguia Poppaena »… Ce secret de beauté, hérité de Cléopâtre, et repris plus tard par Agnès Sorel, Diane de Poitiers et Pauline Bonaparte, lui était envié par toutes les Romaines.

Poppée était également d’une coquetterie époustouflante. Dotée d’une magnifique chevelure flamboyante (qui, selon les historiens, était blonde vénitienne ou rousse), la belle Romaine n’hésitait pas jouer de cet atout. Il fut dit qu’afin de paraître pudique, elle ne sortait uniquement en public, couverte de nombreux voiles, chose qui ne se faisait plus du tout à Rome depuis des siècles, car elle adorait l’effet qu’elle produisait en dévoilant sa longue chevelure, aux témoins de la scène, une fois arrivée à destination. D’ailleurs, dans un des poèmes qu’il avait composé, Néron fait l’éloge en vers des cheveux de sa belle et tendre, qu’il comparait à de l’ambre.

Buste controversé de Poppée (Musée du Louvre)

La marche vers le trône

Néanmoins, si Poppée était dotée d’une conversation fort agréable, elle était aussi dotée d’un certain amoralisme. En effet, la belle romaine avait de nombreuses aventures adultérines, ne faisant aucune distinction entre ses maris et ses amants. Elle a convolé en justes noces, trois fois. Mariée d’abord en 44, à Rufrius Crispinus, un membre de l’ordre équestre, chef de la garde prétorienne durant le règne de l’empereur Claude, il sera néanmoins démis de sa charge, en 51, sur la demande d’Agrippine la Jeune, alors épouse de Claude et impératrice. Son crime ?  Être resté fidèle à la mémoire de Messaline et un soutien trop public à ses enfants Octavie et Britannicus. Cette chute fera perdre le peu d’estime que Poppée portait déjà à son époux et elle n’hésitera pas à tout faire pour provoquer sa répudiation. Sans jamais révéler ses ambitions secrètes, celles de se rapprocher au plus près du pouvoir. Issu de ce mariage, un fils prénommé comme son père et au destin tragique. Enfant, il sera assassiné sur ordre de Néron, selon Suétone, après le décès de sa mère, pour avoir trop joué à… l’empereur.

Une fois divorcée de son premier époux, elle épousa ensuite Othon, favori de Néron. Les écrits de l’époque rapportent que les deux hommes participaient à des expéditions nocturnes, au cours desquelles, ils dépouillaient et battaient les passants dans les rues de Rome. D’après les mauvaises langues, les deux hommes s’adonnèrent même à des jeux dits « contre-nature ». Un détail ne posa pas un problème à Poppée, puisque ce mariage lui permit d’être admise à la Cour impériale en 58 après Jésus-Christ.  C’est à ce moment que l’empereur tomba éperdument fou amoureux de la femme de son meilleur ami. Au grand dam d’Agrippine qui la considéra très rapidement comme une rivale dans tous les sens du terme. Faut-il rappeler que le père de Poppée avait également appartenu à une faction opposée à celle d’Agrippine l’Ancienne et de Germanicus, parents de l’impératrice-mère, faisant ainsi des deux femmes, des ennemies par nature ?

La nouvelle favorite de Néron comptait bien se débarrasser de l’encombrante impératrice-mère. Victime des intrigues de Messaline et d’Agrippine, qui avaient toutes les deux, introduit à la cour impériale, des rivalités et des tensions sans précédent, Poppée nourrissait sa propre rancœur. On dira souvent qu’elle poussera son amant à tuer sa mère. Il est difficile cependant de savoir si l’on peut réellement lui imputer un tel crime, étant donné, qu’au moment où Poppée intègre la cour, l’harmonie qui régnait au sein de la famille impériale n’était plus au beau fixe. Néron était un homme accompli et voulait s’émanciper de l’influence de sa mère, qui ne l’entendait pas de cette oreille. Il était soutenu par ses deux conseillers Burrus et Sénèque, pour qui, l’idée de voir Agrippine diriger les affaires de l’État, et donc une femme, leur était insoutenable. De plus, éprouvant une aversion pour son épouse Claudia Octavia, Néron souhaitait une descendance avec une femme qu’il avait choisi lui-même. Poppée remplissait parfaitement ce rôle. Face à l’attitude rebelle de sa mère et ne supportant plus son autorité, Néron, choisira finalement de l’écarter du pouvoir en supprimant sa garde personnelle, de la condamner à l’exil puis au printemps 59, de l’assassiner en camouflant le meurtre en naufrage car à Rome. Il convenait d’éviter un matricide public, crime suprême à Rome.

Caldarium de la villa de Poppée à Oplontis

Selon Tacite, c’est Poppée, qui l’aurait convaincu de passer à l’acte, exigeant que le cordon ombilical soit coupé totalement.  D’après Suétone, Néron tenta d’abord de l’empoisonner par trois fois, mais en vain. Sa mère était immunisée contre le poison, en raison de sa prise quotidienne d’antidotes et ses serviteurs difficiles à soudoyer. Il fut donc décidé d’utiliser un bateau truqué qui s’ouvrirait en pleine mer, puis se refermerait, après avoir laissé tomber les victimes désignées, comme si un accident, chose banale en mer, était arrivé. Néron et Poppée en eurent l’idée, après avoir vu cette machine durant une représentation théâtrale où était mis en scène un naufrage. C’est ainsi que le subtil stratagème pour tuer Agrippine fut mis en place. Tacite raconte ainsi la scène : en mars 59 après Jésus-Christ, l’empereur attira sa mère à Baïes, où il célébrait les fêtes de Minerve. Lors de ce banquet, Néron fit semblant de se réconcilier avec sa mère, afin qu’elle ne puisse se douter de rien. Sur le chemin du retour, alors que le navire n’avait point encore fait beaucoup de chemin, le plafond de la chambre de l’Impératrice-mère s’écroula sous une énorme charge de plomb, tuant sur le coup, Crépéréius Gallus, un membre de la cour d’Agrippine. Cette dernière fut sauvée grâce à sa servante Acerronie dont les côtés du lit s’élevaient au-dessus d’elle. S’ensuit le drame. Le vaisseau s’ouvre, la mère de Néron et sa servante tombent dans l’eau, rouées de coups de crocs, de rames et d’autres instruments qui tombaient sous la main. Bonne nageuse, Agrippine réussit à s’en sortir et à rentrer chez elle. Mais ne pouvant croire qu’un tel ordre pouvait émaner de son fils, elle décida d’envoyer son affranchi Agérinus, prévenir Néron qu’elle avait survécu à un simple accident. Par peur de représailles de la part de sa mère, qui aurait souhaité se venger, l’empereur fit tuer le messager de sa mère, sous prétexte qu’il était venu l’exécuter, et envoya alors une délégation funeste, achever Agrippine. Lorsque celle-ci arriva chez elle, l’Impératrice-mère, seule, comprit qu’elle ne s’en sortirait point vivante. Toujours, selon Tacite, lorsque le centurion tira son glaive pour lui donner la mort, elle s’écria : « Frappe ici ! », en lui montrant son ventre, et elle expira percée de plusieurs coups, comme si elle souhaitait punir cette partie de son corps qui l’avait trahie en portant le fils qui la faisait périr. En contemplant le cadavre de sa mère, Néron se serait exclamé : « Je ne savais pas que j’avais une mère aussi belle ! ». L’empereur fit brûler sa dépouille, mais ses cendres furent enterrées sans tertre, ni clôture. Ce n’est qu’après le décès de son fils que l’Impératrice-mère fit ériger un petit tombeau sur la route de Misène. Bien qu’ enfin libéré de l’autorité de sa mère castratrice, il ne put jamais étouffer ses remords. Suétone nous raconte que l’empereur affirmait souvent être poursuivi par le fantôme de sa mère, ainsi que par les fouets et les torches des Furies.

Agrippine n’étant plus, il restait néanmoins un autre obstacle dans l’ascension de Poppée. Populaire, dotée d’une lignée,  Claudia Octavia résista encore quelques temps à l’ascension de sa rivale, mais elle fut écartée définitivement dès la première grossesse de sa remplaçante. Sur les instances de cette dernière, Néron la fit accuser de stérilité, la répudia et l’exila en Campanie en 62. Rappelée toutefois par Néron, sous la pression du peuple, elle fut accusée d’adultère avec un joueur de flûte alexandrin, nommé Eucaerus. Un complot organisé de main de maîtresse par Poppée qui avait payé grassement le serviteur à l’origine de de l’accusation. Et pour confirmer le tout, Tigellin, son homme de main, fera torturer les servantes de l’ancienne épouse impériale, qui défendirent bec set ongles, l’intégrité de leur maîtresse. Claudia Octavia sera exilée à nouveau sur l’île de Pandataria, où le 9 juin 62 après Jésus-Christ, quelques centurions l’aideront à s’ouvrir proprement les veines à l’âge de 22 ans. Sa tête sera séparée de son corps. Poppée avait donc enfin pu venger sa mère, en se débarrassant de la fille de celle qui fut responsable de ses malheurs. Désormais, plus aucun obstacle ne se dressait sur sa route vers le pouvoir.

(A suivre….)

Lucas-Joël Houllé