C’est un voyage sans retour que le prince Gaston d’Eu a entamé en août 1922. Prince de France, époux de la Rédemptrice Isabelle de Bragance, à la fois aimé et détesté, c’est un personnage incontournable de l’histoire du Brésil. Les Brésiliens ont salué sa mémoire à quelques jours des commémorations du bicentenaire de l’indépendance. La Revue Dynastie revient sur le destin de l’ancêtre du prince Jean d’Orléans, comte de Paris.
Pair de droit, son nom figure toujours en bonne place au Sénat. Pourtant, il n’a jamais occupé un tel siège de sa vie. Gaston d’Orléans voit le jour au château de Neuilly, le 28 avril 1842. Fils du pince Louis d’Orléans, duc de Nemours, et de la princesse Victoire de Saxe-Cobourg-Kohary, une cousine de la reine Victoria, il est immédiatement titré comte d’Eu par son grand-père, le roi Louis-Philippe Ier d’Orléans. Un titre qui est passé entre les mains de diverses maisons, notamment celle des Lusignan et des Lorraine-Guise avant de tomber dans l’escarcelle des Bourbons. Il reçoit l’éducation réservée à tous les princes de France dès son plus jeune âge, mais la révolution de 1848 va rapidement bouleverser cette enfance heureuse. La monarchie de Juillet renversée, les Orléans doivent prendre le chemin de l’exil, le même que celui emprunté par Charles X dix-huit ans plus tard et qui avait permis à Louis-Philippe de le remplacer sur le trône de France.
Un exil entre Angleterre et Espagne
Direction l’Angleterre où le comte d’Eu s’installe avec ses parents dans un hôtel particulier situé à Claremont, dans le sud du Royaume-Uni. Il a deux précepteurs, Julius Gauthier et l’historien Auguste Trognon, déjà précepteur d’un de ses oncles. Un prince français, même exilé, se doit d’apprendre l’histoire de son pays. Un credo que l’on retrouvera d’ailleurs dans toutes les branches de la Maison Bourbon qui associent leurs noms à celui de la France. Gaston d’Eu montre des talents linguistiques, une rapidité d’esprit qui est très appréciée au sein de sa famille. En attendant de pouvoir reposer pied sur la terre de ses ancêtres, Gaston d’Eu, qui fait déjà preuve d’un solide caractère, décide de prendre le chemin de l’armée. Il n’a que 13 ans. IL a assisté à un cours d’artillerie et l’adolescent en a pris plein les yeux. Il sera militaire. Un choix logique pour cet Orléans dont les ancêtres ont brillé sur les champs de bataille d’Europe et d’Afrique du Nord. C’est son oncle, Antoine de Montpensier, qui va le prendre sous son aile et qui le fait incorporer à l’école militaire de Ségovie dont il sortira capitaine. Élève discipliné et sérieux, il suit les événements tumultueux de l’Espagne sans s’en mêler, constate les manœuvres du duc de Montpensier qui complote pour succéder à sa belle-sœur, la reine Isabelle II. C’est sous l’uniforme espagnol que le prince va brillamment faire ses preuves contre le Maroc (1859 et 1869). Une guerre qui permet à Madrid de s’emparer de ses enclaves actuelles de Ceuta et Mellila. La couronne espagnole peut être fière de cet Orléans qui lui a permis d’agrandir son territoire colonial et qui revient à Madrid, auréolé de gloire.
Mariage impérial
Vient le temps des mariages. Tout est une histoire de négociations entre familles royales. Le cœur n’entre pas en ligne de compte. C’est le roi Ferdinand II du Portugal qui va jouer les entremetteurs. Il entretient de bonnes relations avec le comte d’Eu et arrive à le persuader d’épouser une des deux filles disponibles de l’Empereur Dom Pedro II. Un trône de plus pour cet Orléans qui manifeste une certaine ambition. Par mariage, le souverain brésilien est aussi un oncle de Gaston. On reste donc en famille. Mais le comte d’Eu veut d’abord les rencontrer avant de prendre une décision. « (…) Il est robuste, grand, de bonne taille, de bonne humeur, très aimable, très savant, studieux, et, de plus, il a désormais une petite renommée militaire » n’hésite pas à vanter le prince François de Joinville qui écrit au monarque. Et tant qu’à faire, il partira avec le prince Auguste de Saxe-Cobourg-Kohary, un de ses cousins. Chacun fera son marché une fois sur place, à Rio de Janeiro où les deux célibataires débarquent le 2 septembre 1864. Pour Dom Pedro II, les choses sont actées. Gaston épousera sa cadette Léopoldine, Auguste, son aîné Isabelle, héritière au trône. La rencontre de Gaston avec ses deux cousines reste conviviale, mais le prince a du mal avec le physique de ses promises qu’il trouve fort laid. Le destin devait frapper à la porte du comte d’Eu. Car en lieu de choisir lui-même son épouse, ce sont les filles de l’Empereur qui vont décider à la place des deux cousins, en accord avec leur père, ravis de ce choix. Gaston d’Orléans épousera Isabelle de Bragance le 15 octobre 1864, donnant naissance à la branche capétienne des Orléans-Bragance.
Un héros pour les Brésiliens
Lune de miel en Europe achevée et quelques décorations de circonstances, Gaston d’Orléans a dû renoncer à ses droits au trône de France. Un crève-cœur pour le nouveau prince impérial, lui qui est si attaché à sa patrie de naissance. Pourtant, il va vite s’adapter au Brésil dont il apprécie les charmes, la douceur de vivre. « (…) Il l’aime avec intensité et désintérêt » écrit le vicomte de Taunay à ce propos. Tant et si bien, qu’il brûle de briller aux yeux de l’Empereur et la guerre contre le Paraguay est l’événement qu’il attendait. Ici encore, il dépasse son cousin Auguste à qui on reproche une certaine oisiveté. Gaston « montrait, en toutes occasions, un grand intérêt pour les choses du Brésil, observant, demandant, visitant tout et essayant de recueillir des informations minutieuses et exactes, l’autre, Auguste de Saxe, n’en montrait que détachement et indifférence » rapporte toujours le vicomte de Taunay dans ses mémoires. Il demande l’autorisation au souverain de se battre, mais le Conseil d’État refuse par deux fois qu’il soit sur le champ de bataille, en raison de sa position d’héritier et parce qu’il serait aberrant qu’un prince impérial soit sous le commandement de leurs alliés argentins. Au-delà du fait que le gouvernement craint que sa présence ne soit vue comme une tentative d’annexion du pays. Quand finalement, il est autorisé à rejoindre l’état-major, c’est trop tard. Gaston est lassé. Le Brésil a remporté la guerre et si elle se poursuit, c’est bien en raison de l’entêtement des officiers qui court après le dictateur Francisco Solano Lopez. Il obtempère finalement et va faire preuve « d’une grande habileté stratégique, d’une patience de capitaine expérimenté, d’un courage et d’un sang-froid indiscutables », n’hésitant pas à faire arrêter officiers et soldats qui pillent. La guerre se terminera en mars 1870 et si le prince a été miné par la dépression, faisant face à tant de pertes humaines inutiles, il est reçu triomphalement dans la capitale brésilienne.
Un simple Français pour ses détracteurs
« Je n’ai jamais vu de couple plus passionné et plus uni, ils s’aiment comme s’ils étaient de bons bourgeois » écrit de Gaston et d’Isabelle leur médecin privé, le docteur Depaul. La naissance de leur premier enfant, Pierre d’Alcantara en 1875, est une vraie joie. Dix ans que tous deux s’escrimaient à répondre à leurs obligations. Cette naissance permet d’oublier la mort prématurée de leur première fille, un an auparavant, et qui leur avait causé tant de douleurs. En 1878, naissance de Louis suivie en 1881 du prince Antoine rapidement surnommé « Toto ». Un surnom plus chanceux que celui de Pierre qui aura droit à « bébé » jusqu’à son adolescence. Chez les Orléans-Bragance, rien n’est pompeux, on vit simplement et on entend éduquer ses enfants avec les idées de l’époque, une dose de conservatisme par ici, une plus libérale par là. Le couple est heureux et voyage, se fait mécène, développe des orphelinats, des écoles. Gaston s’investit là où on le lui permet. L’Empereur Dom Pedro II lui refuse toute ingérence politique ce qui frustre le comte d’Eu et provoque sa colère. Pis, voilà le prince dans l’œil du cyclone républicain qui a émergé en 1870. On le rend responsable de tous les problèmes du pays. « La mentalité européenne de Gaston le stigmatisait comme un étranger incapable de s’adapter à la culture de sa femme. Les Brésiliens l’appelaient « le Français » et dénonçaient sa participation à la conduite des affaires publiques » écrit Roderick J. Barman dans une biographie consacrée à Isabelle. Tant et si bien que la cour elle-même le prend en grippe et multiplie les actes de mesquinerie à son encontre. Ainsi, lors des prestations de serment comme régente de son épouse, on lui demande de rester en retrait derrière elle. Des attaques incessantes qui vont pousser le couple à éviter toutes cérémonies ou engagements publics.
Ultime témoin de la chute de la monarchie brésilienne
Le comte d’Eu n’a jamais été en faveur de l’esclavage. Il suit les pas de son grand-père qui avait commencé à mettre fin à cette pratique et qui avait connue ses beaux-jours sous la Restauration, notamment sous Charles X entouré par un lobby colonial. Il soutient sa femme lorsqu’elle décide de mettre fin à la traite d’êtres humains qui fait la richesse des propriétaires et de l’Église. Un geste qui va inscrire la maison impériale dans le cœur des Brésiliens, mais aussi faciliter sa chute. La nuit du 14 novembre 1889, Gaston d’Orléans est occupé à préparer la visite des officiels de la marine chilienne quand on lui indique qu’un officier souhaite le voir afin de « l’avertir de choses importantes ». Trop occupé, il décale le rendez-vous à demain. Au petit matin du 15 novembre, il part faire du cheval en mentionnant dans son journal « rien d’important à faire aujourd’hui ». Revenu de sa course, il découvre dans les journaux qu’une mutinerie a éclaté à l’Académie militaire. Il ignore encore que la veille au soir, le général de division (plus tard maréchal) Deodoro da Fonseca a mis fin aux activités du gouvernement. Les informations qui se succèdent sont confuses. Tout en s’habillant de son uniforme militaire, il apprend que Dom Pedro II a été destitué. Gaston réagit rapidement et s’entoure de fidèles. Il va mener un contre-coup d’État. Trop tard, les républicains se sont emparés des voies télégraphiques et empêchent toutes les communications avec l’Empereur. Pourtant, quand lui et son épouse arrivent au palais impérial de Rio de Janeiro, Gaston comprend que la situation peut être renversée. La monarchie est encore en place, les rebelles peuvent être facilement battus. Mais Dom Pedro II reste impassible. Il refuse de donner le moindre ordre, se contentant d’attendre un gouvernement qui ne viendra pas. A 15 heures de la même journée, Deodoro da Fonseca, pourtant alité, comprend qu’il a gagné et que la royauté n’a plus de raison de continuer. A ce moment, la monarchie brésilienne est très populaire. Le putsch va abasourdir le pays.
Le pacte des Orléans
C’est de nouveau l’exil pour Gaston d’Eu et sa famille qui débarque en Normandie, au château d’Eu, en dépit de la loi d’exil qui frappe les membres de sa famille depuis 1886. Pour le petit-fils Louis-Philippe, deux objectifs : retourner au Brésil et retrouver sa place de prince de France au sein de l’arbre généalogique des Orléans. Il va faire le siège de son cousin le duc d’Orléans, Philippe VIII, lui écrit vainement de multiples lettres quand même bien, il est « empereur consort de jure du Brésil » depuis 1891. Quand son fils, Pierre, fait part de sa volonté d’épouser Elisabeth Maria Adelheid Dobrzensky de Dobrzenicz en 1909 (au grand dam de sa mère, à l’origine du schisme dynastique actuel), c’est l’occasion de relancer la question qui va enfin aboutir au « pacte des Orléans », signé le 26 avril de la même année. Les Orléans-Bragance redeviennent dynastes au trône de France, mais ne peuvent faire acte de prétention que si la Maison d’Orléans ne peut plus produire d’héritiers en sa qualité de prétendante au trône de France. Encore aujourd’hui ce pacte à ses partisans comme ses détracteurs les plus acharnés des deux côtés ennemis de la mouvance royaliste, certains faisant même curieusement disparaitre les Orléans-Bragance de la succession de France.
Tout à une fin. C’est en veuf qu’il revient au Brésil qui a aboli la loi d’exil frappant la maison impériale des Orléans-Bragance. Il n’aura pas le temps d’apercevoir les côtes de son cher Brésil. Il meurt sur le chemin du retour dans les eaux territoriales brésiliennes, le 28 août 1922. Des années plus tard, sa petite-fille, Isabelle d’Orléans-Bragance (1911-2003), comtesse de Paris, rendra un hommage appuyé à son « bon-papa » dans son livre « Mon bonheur de grand-mère », publié aux éditions Laffont en 1995. Cent ans plus tard, les Brésiliens se souviennent encore de ce prince.
Frederic de Natal