De Philippe Egalité, l’Histoire a surtout retenu qu’il avait voté la mort de son cousin, le roi Louis XVI, en 1793. Un geste qui ne lui épargnera pourtant pas la guillotine la même année. Mais quel fut donc le vrai rôle du duc Louis-Philippe d’Orléans durant la Révolution française ?
Prince de sang, il est né en 1747 sous les astres de la contrariété. Louis-Philippe d’Orléans, tour à tour duc de Montpensier, duc de Chartes, puis duc d’Orléans à la mort de son père, grandit sous les ors de Versailles. Il descend directement du roi Louis XIII. L’histoire de sa famille est éloquente. Elle a donné des chefs de guerre et un Régent à la France. Très orgueilleux de cette ascendance, Louis-Philippe d’Orléans sera toute sa vie, avide de popularité. Il brûle d’inscrire son nom au firmament des étoiles et ne tarde pas à entretenir une coterie autour de lui au Palais-Royal. Son mariage avec Marie-Adélaïde de Bourbon a suscité bien des commentaires. Les mauvaises langues de l’époque affirment que le jeune prince s’était rué cette « mademoiselle de Penthièvres » afin de « trousser » son fabuleux héritage, fruit des amours de Louis XIV et de Madame de Montespan. Louis-Philippe d’Orléans est calculateur, ambitieux et son anglomanie agace tout particulièrement Versailles. Très rapidement, il entre en politique. Le début d’une carrière qui va asseoir son destin aux accents tragiques.
Leader d’une nouvelle fronde
Il est indépendant. Comme nombre de princes de la maison Bourbon, il s’oppose frontalement au ministre d’État René de Maupeou qui souhaite réformer le système judiciaire (1771). Le parlement refuse de siéger pour entériner les textes d’autant qu’ils représentent une menace directe pour leurs privilèges. La monarchie française vient de changer de route et se dirige dès lors vers un futur entaché de sang. Cette fronde vaut un exil à Louis-Philippe d’Orléans, sur ses terres de Villers-Cotterêts, à quelques encablures de Paris. Son acte de défiance va en faire un chef de l’opposition et on se presse autour de lui comme les abeilles sur les fleurs. Les relations avec Louis XVI, son cousin devenu roi en 1774, vont devenir exécrables. Lorgnant sur la charge de Grand Amiral, il est nommé chef d’escadre. La bataille d’Ouessant (1778) contre les anglais, dont la victoire est remportée au prix de l’indécision de Louis-Philippe d’Orléans, va achever de fracturer les liens de famille qu’il entretient avec son aîné. Louis XVI lui reproche ses fautes tactiques, lui va reporter sa frustration sur la reine Marie-Antoinette qu’il accuse d’avoir favoriser sa disgrâce. Le duc d’Orléans ne cessera de la calomnier par la suite et un désamour que lui rendra volontiers la reine de France, née archiduchesse d’Autriche.
Un antagonisme public avec Louis XVI
C’est la duchesse du Devonshire qui résume bien l’ambiance électrique qui règne à Versailles. Dans ses mémoires, Elizabeth Foster rapporte que le duc de Dorset aurait suggéré à Marie-Antoinette d’avoir un autre enfant. La réponse de l’épouse de Louis XVI est cinglante : « Et pourquoi donc ? Afin que Monsieur d’Orléans me le fasse tuer ». Le duc d’Orléans fut le seul qui montra une résistance absolue aux volontés du Roi et protesta, en sa présence, contre tout ce qui était fait. Il en fut puni par l’exil, et reçut ordre de se retirer à Villers-Cotterets. ( … ) Rien n’est comparable à la fureur que cet exil fit éprouver à ce prince. Il haïssait déjà le Roi, et surtout la Reine : il n’avait pu leur pardonner la perte de ses espérances pour la charge de grand amiral ; et cette dernière mesure de rigueur exaspéra de telle sorte, qu’il n’était pas maître de garder le secret de la vengeance qu’il méditait. On assure que, dans le premier moment, il jura la perte de ceux dont la puissance s’éloignait du centre des intrigues : mais, peu à peu, il reprit le plan qu’il s’était formé d’en imposer par un calme apparent, et ne chercha plus qu’à se populariser en province, affectant une affabilité et une gaieté qu’il était loin d’avoir …. » écrit de son côté la baronne de Méré, femme de lettres.
La faction d’Orléans
Louis-Philippe d’Orléans est une puissance que la monarchie ne peut négliger. C’est l’influenceur du moment, pour reprendre une expression actuelle. Grand-maître d’une loge maçonnique, il incarne pour ses partisans, un espoir de changement. On parle alors de « faction d’Orléans » et la rumeur publique affirme que le duc ambitionne une Lieutenance-générale, une régence d’une monarchie qui associerait bourgeoisie et aristocratie, un nouveau manteau royal que l’on poserait sur les épaules du Dauphin de France. Il n’est d’ailleurs pas plus question de république qu’il ne le sera lors des événements d’août 1792 avant que la Révolution française ne soit prise en otage par une minorité de sans-culottes. On dit que le duc est sous l’influence de Choderlos de Clos (1741-1803), officier du génie, qui a écrit un roman resté dans les annales : « Les Liaisons dangereuses ». Engagé dans la Ligue des aristocrates, il est à la manœuvre de tous les complots qui lui permettent de tromper son ennui. Dans la réalité, Louis-Philippe d’Orléans est populaire mais bien incapable de gérer un mouvement de révolte, drapé dans une sempiternelle inconstance.
Président éphémère de l’Assemblée nationale
Elu député de la noblesse aux états généraux de mai 1789, il fera partie de ces 47 membres de la noblesse qui vont rallier le tiers-état et former la nouvelle Assemblée nationale. Les événements vont s’enchaîner, sont même favorables au duc d’Orléans porté le 3 juillet suivant à la tête de cette assemblée (553 voix sur 660) qui met à mal les pouvoirs de la monarchie française. Bien que cette décision répondait alors aux attentes de la population française, Louis-Philippe décline le poste dans la journée même de son élection. « En lui déférant cet honneur, les représentants de la Nation semblaient cautionner les troubles du Palais-Royal et répondre aux vœux populaires. Si la démission du prince, le lendemain de son élection, prouve la modestie de ses ambitions politiques, on doit cependant s’interroger sur ses intentions et sur son rôle au cours de ces journées pendant lesquelles, à Versailles, il encourage les députés, ses collègues, à élaborer une constitution le plus rapidement possible. De toute évidence, le duc d’Orléans, comme la majorité de l’Assemblée, voulait mettre fin au règne de l’absolutisme et instaurer une monarchie constitutionnelle. Il pensait que des manifestations populaires bien orchestrées pousseraient les députés à réaliser ce profond changement et contraindraient le Roi à céder » écrit l’historienne Evelyne Lever dans une biographie qu’elle a consacré à Philippe Egalité.
Un rendez-vous manqué avec les français
Le 14 juillet, la forteresse de la Bastille va accentuer toutes les crispations parisiennes. Symbole de la monarchie absolue, on y embastille tous les opposants, fils de nobles, paysans endettés sur simples lettres de cachet. On croit fermement que la prison, vouée à la destruction sur ordre de Louis XVI, est remplie d’opposants (en fait 7 personnes à peine, quelques fous et des voleurs). Que fait le duc d’Orléans au moment des émeutes ? Il reçoit des amis dans sa chambre, Jean-Sylvain Bailly (maire de Paris), le général Gilbert du Motier de Lafayette (héros de la guerre d’indépendance des États-Unis, député bientôt commandant de la Garde nationale). On discute de la situation quand le son des canons vient briser la réunion. Le vicomte Louis Marie Antoine de de Noailles, beau-frère de Lafayette, acquis aux idées nouvelles, presse le duc d’Orléans de se rendre auprès de Louis XVI. Il refuse. L’heure est à la prise de décision mais la tournure des événements inquiète le duc d’Orléans lui-même. Il rate là l’occasion de jouer le rôle de médiateur que les français attendaient de lui.
Le duc d’Orléans porté en triomphe
Deux jours plus tard, on avait pourtant porté son effigie en triomphe dans une manifestation. « Le peuple, las de désirer, de demander d’Orléans, perdit enfin patience ; et ne pouvant avoir le prince, il voulut au moins avoir son image (…). Un groupe considérable se porte sur le boulevard : on enlève d’un cabinet de figures de cire les bustes de Necker et de d’Orléans ; on les porte en triomphe dans Paris, et on se rend à la place Louis XV. Là, il engage une sorte d’action entre un détachement de Royal-Allemand et ceux qui escortaient les bustes. L’image du prince roule dans la fange, et celui qui la porte tombe blessé. On traîne ce malheureux au Palais-Royal. La vue de ses blessures excite le peuple ; un jeune homme amoncelle des chaises à côté du blessé, et, du haut de cette tribune, parle ainsi : Notre intention est de déclarer M. Necker ministre inamovible de la nation ; et comme notre roi n’est pas en état de nous gouverner, nous nommons monseigneur le duc d’Orléans lieutenant-général du royaume. Nous allons nous rendre à l’hôtel des Invalides, où nous prendrons les armes qu’on y a fait rapporter de la Bastille » rapporte Christophe Félix Louis Ventre de la Touloubre Montjoie dans un livre à charge paru en 1832. Le voilà compromis malgré lui.
Naissance et mort de Philippe Égalité
Lors des journées d’octobre 1789, qui ramènent le roi et sa famille à Paris, on accusera le duc d’Orléans d’avoir orchestré ces manifestations. Rien ne permet cependant d’étayer ces affirmations mais pour la cour du roi, Louis-Philippe est celui qui est désigné comme responsable de ce désastre pour la monarchie. Sa participation reste sujette à caution et pour le comte de Mirabeau, le prince de sang fait preuve de « lâcheté ». Si le duc est au sommet de sa popularité, elle va décliner au moment où il va préférer les douceurs de Londres durant quelques mois. L’aristocratie commence à émigrer. Avec la fuite du roi arrêté à Varennes (1791), on évoque l’abdication du roi et la mise en place d’une régence que prendrait le duc d’Orléans. Encore une fois, il va décevoir son quarteron de partisans. Le 28 juin 1791, il renonce par un courrier à cette couronne qu’on lui tend. L’Histoire est en marche, la suite est connue. Il démissionne de sa position de Grand-maître de sa loge maçonnique, affirmant s’y être fourvoyé, devient Philippe Égalité, député de la Seine (1792). Proche de Danton (une amitié qui sera fatale à ce héros de la Révolution française) et du général Dumouriez, bien que ses amis Montagnards lui demandent l’indulgence, le cousin de Louis XVI va voter la mort du roi. La caricature affirme toujours qu’il fut le vote décisif mais il n’en fut rien comme le montre le procès-verbal établi. Il ne sera pas le dernier à déclarer dans un mélange de réprobation générale et d’applaudissements nourris : « Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous ceux qui ont attenté ou attenteront par la suite à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote la mort ».
Un geste que le duc d’Orléans va amèrement regretter par la suite. A un de ses fils, le duc Antoine de Montpensier, qui a tout fait pour le convaincre de s’abstenir, il décide de se confier : « Je ne conçois plus comment j’ai pu être entraîné à ce que j’ai fait », avouant « qu’une fois assis sur son banc, il a été tellement entouré, obsédé, assailli, menacé qu’il n’a plus su ce qu’il faisait ». Il ne votera pas pour autant le sursis à l’exécution du roi mis au vote 5 jours plus tard (il assistera à la mort de Louis XVI derrière les rideaux de son carrosse) et son geste ne le sauvera pas de ses amis qui ne voient en lui qu’un comploteur. La tentative de prise de pouvoir du général Dumouriez en avril 1793 va accentuer cette défiance. Arrêté par les Montagnards qui dominent la Convention, il est condamné à mort, sans preuves, en novembre de la même année. La suspicion seule aura suffi pour glisser le cou de Philippe Égalité sous le couperet de la guillotine. En expirant, il laisse à son fils, un héritage, le soin de donner à la maison d’Orléans une couronne que l’Histoire lui avait tant de fois refusée.
Frederic de Natal