C’est un prince humaniste et aux multiples facettes, explorateur de talent et visionnaire. Le 25 janvier, le prince Albert II de Monaco a rendu un hommage au prince Albert Ier, son arrière-arrière-grand-père, dont on fête cette année le centenaire de sa disparition. L’occasion pour la Revue Dynastie de revenir sur le portrait d’un homme qui a accordé à sa principauté une constitution, la sauvant ainsi d’une révolution, et qui a été marqué par une soif insatiable de connaissance tout au long de sa vie.
« (…) On oublie trop souvent qu’en plus d’avoir donné à Monaco, selon sa propre expression, « un relief hors de mesure avec les limites de son territoire », le prince Albert Ier a aussi été un souverain de terrain engagé pour ses sujets et doté d’une profonde vision modernisatrice du pays ». Face aux membres du Conseil national, parlement monocaméral de la principauté de Monaco, le 25 janvier dernier, le prince Albert II a jeté un regard attendri, empreint de fierté sur le bilan de son trisaïeul. C’est en novembre 1848 que naît le prince Albert Honoré Charles Grimaldi, fils de Charles III et de la comtesse Antoinette de Merode, une amie intime de l’impératrice Eugénie Montijo. Enfant unique, Albert est un garçon espiègle. Le château de Marchais, en Picardie, acquis grâce à l’importante dot de sa mère, est un royaume à la taille du jeune prince qui fait preuve d’une curiosité pour la nature qui l’entoure et les exercices physiques. Il reçoit les meilleurs précepteurs, étudie au Collège Stanislas et reçoit même les enseignements de Monseigneur Félix Dupanloup, un défenseur acharné de l’enseignement catholique. Du Rocher sur lequel il est destiné à régner, il ne voit que l’horizon de la mer Méditerranée.
Un coup de génie
Il a suivi avec intérêt les tensions qui ont éclaté avec la France. Napoléon III a jeté son dévolu sur Menton et Roquebrune, au cœur d’un différend avec les sardes. Un référendum va finalement rattacher les deux villes à la France et Paris accepte enfin de reconnaître l’indépendance de la principauté. Une catastrophe pour le prince Charles III qui perd en février 1861 les trois-quarts de son territoire, le réduisant à 150 hectares. Autant dire, la taille d’un gros rocher. Si Monaco a réussi à négocier la construction d’un chemin de fer vers Nice afin de la désenclaver, Charles III va avoir un coup de génie qui va assurer la richesse et la réputation de sa principauté. S’inspirant des villes germaniques, il autorise l’implantation d’un premier casino. Les débuts sont infructueux mais sa rencontre avec François Blanc va changer le visage de la principauté. La Société des Bains de mer va bientôt naitre et avec elle, la naissance d’un quartier prestigieux : celui de Monte Carlo.
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Une vie dédiée à l’exploration
Prince héritier, Albert de Monaco s’engage dans la Marine impériale française en 1865 avant d’intégrer celle de l’Espagne. Depuis qu’il a visité la frégate cuirassée Normandie dans le port de Cherbourg, il sait que ce sera la voie qu’il doit emprunter. Sa première expérience maritime (il aura le grade d’enseigne et de lieutenant de vaisseau) va le mener vers Cuba où il découvre, effaré, les ravages de l’esclavage. Elle va aussi forger son caractère politique alors que débute la course à la colonisation, faisant d’Albert, un apôtre de la tolérance, un humaniste au service de son prochain. La guerre Franco-prussienne à laquelle il participe va lui laisser un souvenir amer. La légion d’honneur qu’on lui remet n’arrive pas à effacer les horreurs du conflit ni cette germanophobie qui va le suivre toute sa vie. « Je donnerais dix ans de ma vie pour n’avoir pas quitté la marine et me trouver dans un fort de Paris ; c’est un regret qui me poursuivra jusqu’à la fin de mon existence. Avec quel bonheur j’aurais coopéré à l’écrasement complet de toutes ces hordes de sauvages » écrit alors le prince Albert.
Il se réfugie dans ses rêves d’exploration océanographique qu’il nourrit secrètement depuis des années. Albert cherche autant un sens à sa vie que celui de l’Humanité. Il est fasciné par les théories de Charles Darwin, fréquente quantité de savants et de scientifiques. Dès 1885, il finance et organise des campagnes scientifiques, océanographiques et cartographiques (notamment en Arctique) à bord de l’Hirondelle I et II ou du Princesse Alice, qu’il a fait construire et aménagé de laboratoires avec des tables anti-roulis. Pas moins de 28 campagnes jusqu’en 1915, complétées par la parution de livres, de découvertes en tout genre, par l’édification du Musée Océanographique et par la participation de la principauté à l’Exposition universelle de Paris de 1889. Membre de diverses sociétés prestigieuses, comme la Société de géographie, la British Academy ou la Société des Amis du Muséum national d’histoire naturelle et du Jardin des plantes, Albert de Monaco n’en oublie pas moins ses devoirs.
Prince régnant de Monaco
Prince héréditaire en septembre 1889, ce polyglotte a failli ne pas monter sur le trône. Irrité par la constante campagne de presse initiée contre lui, Charles III a menacé la République française de céder ses droits à la branche héritière la plus proche de la succession, celle des duc d’Urach. Elle ne sera pas mise en exécution mais cette lignée wurtembergeoise se rappellera au bon souvenir des français lors de la Première guerre mondiale. Lorsque l’affaire Dreyfus éclate, le prince prend la défense du capitaine et n’hésite pas à réagir aux fameux « J’accuse » d’Emile Zola. « Votre déclaration contient les plus beaux sentiments qu’une âme puisse exprimer, elle honore l’humanité, elle ajoute un rayon à la gloire de la France […] » écrit-il au célèbre écrivain. L’esprit va-t-en-guerre du Kaiser Guillaume II l’inquiète. Il décide de le rencontrer sur son yacht à Kiel, le jour même de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg-Lorraine. Il a proposé d’être médiateur au président Raymond Poincaré qui a accepté, trouvant toutefois quelques « candeurs » au projet. Un pacifisme qui se heurte à l’esprit patriotique de ses sujets. Il est même persuadé que « l’Empereur […] a été entraîné par les militaires et presque menacé par le Kronprinz et le Grand état-Major. Je suis même disposé à croire qu’un véritable complot a été sourdement conduit. […] Il n’est pas excusable pour cela, assurément et il a fait preuve d’un manque de caractère très condamnable […]. Ma tristesse est profonde quand je pense au recul certain de notre civilisation, par un tel crime contre l’Humanité » confie Albert Ier. La principauté reste officiellement neutre dans ce conflit mais le souverain n’hésite pas à mettre à la disposition du gouvernement français ses bâtiments. « Le jugement de l’Histoire » fera son œuvre.
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Révolution dans la principauté
Souvent absent de sa principauté, le mécontentement grandit. Avec le chômage qui s’accroît en raison du manque de terres agricoles et d’usines, les casinos qui ont reçu l’interdiction d’embaucher ses sujets, Monaco est considérée alors comme le « cloaque moral de l’Europe » par les autres nations. Des manifestations organisées par le Comité monégasque éclatent bientôt. Les contestataires exigent une constitution et la mise en place d’un parlement, menaçant même de renverser la monarchie et de proclamer la République. Monaco connaît sa révolution. Ils exigent même l’élection au suffrage universel du Conseil communal. C’est bientôt l’escalade. Face aux tergiversations, le palais princier est pris d’assaut et pillé par une foule en colère en décembre 1910. Albert Ier doit s’enfuir et passer la frontière. Un gouvernement provisoire est mis en place. Il n’a plus le choix. Il accepte d’accorder une constitution à son pays, mettant fin à la monarchie absolue. Elle sera promulguée le 5 janvier 1911. « Cette monarchie instituée par la libre volonté du Prince ne ressemble à aucune autre, tant ses principes sont inhérents à ce que j’appelle l’identité constitutionnelle monégasque (…) où les Monégasques sont liés depuis toujours à leurs Princes par une union personnelle » explique le professeur Dominique Chagnollaud. Dans son discours, Albert II va d’ailleurs rappelé que son trisaïeul a mis en place un « précieux équilibre entre l’élection au suffrage universel des représentants des Monégasques d’une part, et l’autorité souveraine, fédératrice et inaltérable du Prince, d’autre part ». Avant d’ajouter : « cet équilibre a été le garant de la stabilité de notre état » .
Un mariage désastreux
En amour, ce n’est guère non plus la panacée. Une légende tenace affirme que les mariages des princes de Monaco sont tous maudits. Au cours du XIIIème siècle, Rainier Ier fait enlever une jeune flamande qui se venge en jetant une malédiction sur le Rocher. « Jamais un Grimaldi ne trouvera le bonheur dans le mariage » crie-t-elle au prince. Albert Ier a épousé Lady Mary Victoria Douglas-Hamilton au château de Marchais en 1869. Un mariage arrangé, objet de tractations. C’est un second choix. Antoinette de Mérode rêvait de voir son fils prendre femme dans la famille royale britannique mais une telle perspective avait été repoussée brutalement par la reine Victoria. Le mariage est désastreux. Enceinte de 5 mois, du prince Louis, Lady Mary Victoria Douglas-Hamilton s’enfuit au Grand-duché de Bade en 1869. Il faudra attendre 10 ans pour qu’Albert rencontre enfin son héritier. Divorce à la clef. Il se remarie en 1889 avec la duchesse douairière de Richelieu, Alice Heine, une Américaine catholique d’origine française et allemande. « Albert Ier épouse une blonde américaine de 32 ans, Marie Alice Heine (qui) a tenu à Paris un salon où elle a reçu ce qu’il y avait de plus brillant dans le monde et parmi les écrivains et les artistes. Elle va attirer les uns et les autres sur le Rocher […] Le moment est venu où elle s’est lassée de voir son mari voguer toujours plus loin sur les mers et les océans. Le 30 mai 1902, un jugement a séparé officiellement les époux » résumera de cette relation l’historien Alain Decaux.
A son décès le 26 juin 1922, Albert Ier laisse un bilan édifiant derrière lui. Il a considérablement modernisé la principauté en introduisant l’électricité et le téléphone, amélioré la salubrité et l’hygiène publique, introduit une usine d’incinération des déchets domestiques, goudronné toute la ville, érigé des hôpitaux et des lycées…L’œuvre d’une vie, que l’on peut retrouver en bande dessinée chez Glénat, teintée d’explorations que n’a pas manqué de saluer le prince Albert II. « Le prince Albert Ier a été aussi un souverain de terrain, engagé pour ses sujets et doté d’une profonde vision modernisatrice du pays » a déclaré le prince. Un souverain qui dirige Monaco depuis 2005 et qui poursuit l’œuvre passionnée de son arrière-arrière-grand-père en se plaçant dans ses pas.
Frederic de Natal