Censée être officiellement éteinte depuis 1903, date à laquelle elle a été violemment renversée par ses rivaux, la dynastie des Obrénovitch a pourtant perduré. Aujourd’hui, son représentant, le prince Pedrag, tente de réhabiliter une maison qui a occupé le trône de Serbie et dont le nom est associé aux plus grandes heures de la lutte pour l’indépendance. Il laisse le choix à ses concitoyens de choisir quelle dynastie doit remonter sur le trône en cas de restauration de la monarchie. 

C’est au prix d’une lutte héroïque, qui va même impressionner Napoléon Ier, que les Serbes obtiennent leur indépendance en 1804. Deux familles, les Obrénovitch et les Karageorgévitch, alliés dans leur combat contre les turcs ottomans, qui vont finir par se déchirer et occuper le trône d’une principauté dans un vaste « Game of Thrones ». Tout au long du XIXème siècle, chaque héritier renverse, fait tuer son concurrent avec l’appui de l’Autriche-Hongrie ou de la Russie.

Les Obrénovicth En Haut, de gauche à droite : Milos Ier et Michel III En Bas, de gauche à droite : Alexandre Ier Milan Ier @Dynastie /CommonsWiki

Une pièce de théâtre sanglant en trois actes

Lorsque le prince Michel III Obrénovitch est assassiné en 1868 au cours d’un complot dont on suspecte fortement son prédécesseur, le prince Alexandre Karageorgévitch, d’en être l’instigateur, c’est son cousin Milan qui monte sur le trône. Il a à peine 14 ans et ramené promptement à Belgrade depuis Paris où il étudiait. Il va se former très rapidement aux arcanes de la diplomatie et renforcer son alliance avec la Russie. Un choix qui permet une décennie plus tard à son pays de couper définitivement ses liens avec la Sublime Porte et de s’ériger peu après en royaume. S’il modernise considérablement le pays, l’augmentation récurrente des impôts va le rendre de plus en plus impopulaire. Sa guerre contre la Bulgarie (1885)  est un désastre et le mécontentement gagne en augmentation. Parallèlement, sa vie de couple avec la reine Nathalie est un désastre et étalée sur la place publique. Les deux époux se déchirent dans le lit comme sur le plan politique. Milan soutient désormais une alliance avec Vienne quand Nathalie souhaite le maintien avec Saint-Pétersbourg. Leur fils, Alexandre (né en 1876), devient le sujet d’une lutte qui achève de discréditer les Obrénovitch. Son abdication en 1889 est le premier coup de théâtre d’une pièce en trois actes qui va se terminer dans un bain de sang.

Un assassinat qui met fin au règne des Obrénovitch

Nathalie régente, Milan ronge son frein en exil, complote et c’est Alexandre qui finit par surprendre ses parents en prenant directement le pouvoir en 1893. Il a tout juste 17 ans et gagne ses galons de monarque auprès d’une population épuisée par les rivalités de cours. Le trône serbe ne supporte pas la faiblesse et le nouveau souverain va vite l’apprendre à ses dépens. Il met en place une constitution conservatrice, nomme des ministres radicaux, surfe sur la vague de sa popularité naissante même si sa mère reste tapie dans l’ombre, maîtresse femme et lionne maternelle qui ne saurait souffrir de contestation. Son obsession à le marier à une princesse européenne va être contrariée par une de ses dames de compagnie dont son fils s’est entiché. Draga Mašin est de douze ans son aînée et la veuve d’un colonel. Le projet de mariage rencontre de vives oppositions. En échange de ses épousailles, il consent à rendre la monarchie plus parlementaire mais n’arrive pas à faire taire les rumeurs qui affirment que son beau-frère a été nommé héritier au trône. Alexandre perd, sans le savoir, le soutien de l’armée dont certains officiers se rapprochent des Karageorgévitch. En avril 1903, il opère un nouveau coup d’état avec l’appui de l’Autriche-Hongrie dont l’omniprésence agace les nationalistes. Celui de trop. Son destin est scellé. Le 11 juin 1903, des comploteurs prennent d’assaut le palais de Belgrade et assassine le couple royal retrouvé, tous deux cachés dans la garde-robe et que l‘on va défenestrer du balcon. La violence du putsch est telle qu’elle fait la une de la presse européenne et horrifie toutes les monarchies. Francophiles, les Karageorgévitch remontent sur un trône qu’ils vont occuper sans interruption jusqu’en 1945.

Blason des Obrénovitch

Un légitimisme qui perdure

Ce renversement des alliances ne plait guère à Vienne qui va s’employer à déstabiliser cette dynastie dont l’ambition est de réunir tous les slaves du Sud sous son seul sceptre. Autant dire qu’elle menace directement l’intégrité territoriale de l’Autriche-Hongrie. Les Habsbourg refusent de reconnaître les Karageorgévitch et négocient avec le demi-frère adultérin du roi Alexandre, la possibilité de le restaurer. Le prince Georges Milan (1890-1925) devient le prétendant au trône d’une maison qui compte encore des partisans en ce début de XXème siècle. Mais ses droits se perdent dans le vaste concert de voix diplomatiques qui s’empressent de venir saluer le nouveau souverain, Pierre Ier, conscient que sa couronne est encore fragile. Milan n’est d’ailleurs pas le seul prince à lorgner ce trône bicéphale. Au Monténégro, le prince Mirko Petrovitch-Njegos, qui lui aussi du sang Obrénovitch, entend faire valoir sa légitimité à occuper un siège décidément bien convoité. Entre ces deux familles, une rivalité qui perdure  également encore de nos jours. Qui se soucie du prince Georges-Milan. Il perd progressivement ses soutiens au fur et à mesure que Pierre Ier s’impose. Entre deux tentatives mystérieuses d’assassinat (entre 1906 et 1907) et une tentative des allemands de le mettre sur le trône serbe en 1916 (thèse controversée) lors de la Première guerre mondiale, il survit financièrement grâce à des petits « boulots » qui le mèneront comme portier dans le fameux Orient-Express. Sa mort dans le dénuement total (1925) relègue une nouvelle fois cette famille royale dans les pages jaunies de l’histoire et met fin aux espoirs de ses derniers partisans.

Georges-Milan Obrénovitch @@Dynastie /CommonsWiki

 

Un retour inattendu

Pendant un siècle, les Obrénovitch ne font pas parler d’eux. Pour tous les serbes, il n’existe plus aucun membre de cette famille. Pourtant, alors que le régime du Président Slobodan Milosevic s’effondre lors d’une révolution qui est à deux doigts de restaurer au pouvoir les Karageorgévitch (1999), les descendants du fondateur de la dynastie Obrénovitch font subitement leur réapparition sur le devant de la scène publique. Ils sont issus de la lignée de Jakov Obrénovitch, le demi-frère de Milos Ier Obrénovitch par sa mère, et qui avait changé son nom de famille en Jakovljevitch afin d’échapper aux rivalités sanglantes entre leur famille et les Karageorgévitch. Ils entendent prendre leur revanche sur l’histoire qui les a privés de leur destin royal. En 1982, le régime du maréchal Tito les a autorisés à séjourner brièvement dans le pays à la seule condition que leur voyage soit discret. Après une longue procédure judiciaire, ils récupèrent en 2004, une propriété de la reine Nathalie décédée en 1941, se dotent d’un blason officiel et d’un prétendant, le prince Pedrag. La cinquantaine fringante, celui-ci vit dans un modeste appartement, au troisième étage d’un immeuble de la banlieue de Belgrade. Curieusement, il revendique sans revendiquer, trouve toujours aussi inhabituel qu’on s’adresse à lui avec des prédicats comme il l’expliquait au quotidien Novosti en 2013.

Le prince Pedrag Obrénovitch/facebook

Le choix de leur retour sur le trône laissé à la Serbie

La réconciliation entre les deux familles rivales ? Lorsque le prince héritier Alexandre de Serbie est venu se recueillir sur la tombe du roi Alexandre Obrénovitch pour le centenaire de son assassinat, le prince Slobodan, un cousin de Pedrag, n’y a vu qu’un « coup de publicité ». Pour autant, ils assurent que de l’eau a coulé sous les ponts et qu’il n’y pas de rivalités avec les Karageorgévitch.  « J’ai un grand respect pour le prince Alexandre et les autres descendants du prince Paul. Ce sont des gens très éduqués, quoique mondains, qui pourraient certainement faire beaucoup pour leur pays. Je ne vis pas personnellement les injustices et les cadres historiques. Chaque époque a ses victimes et ses conflits et cela devrait être laissé à l’histoire et aux historiens » explique le prince Slobodan.  En 2016, Karageorgévitch et Obrénovitch se sont finalement serrés la main devant les photographes. Pourtant les différents subsistent. Un point de vue minoré par le Conseil de la couronne serbe (favorable aux Karageorgévitch) qui, de son côté, a déclaré « qu’il ne pourrait y avoir aucune réconciliation officielle entre les deux familles ». Dont acte !

Ils ont créé un fond qui porte le nom de la maison royale qui répertorie tous les membres de la famille et qui est également une association caritative. Ce qui n’a pas été sans provoquer de vastes polémiques, certaines branches exigeant des titres alors qu’elles ne pouvaient y prétendre.  Petit-fils de Georges Obrénovitch, le fils illégitime du roi Milan Obrenovic et de sa maîtresse grecque Artemiza Hristic, le prince Panka en a été le président jusqu’à son décès en 2002. « Nous avons vécu des moments difficiles, nous avons même fait face au danger d’extinction biologique » rappelle le prince Pedrag qui a redécouvert ses origines cachées avec l’éclatement de la Yougoslavie. Ses ancêtres étaient enterrés en Roumanie et ils ont été progressivement ramenés dans leur pays en 1994. Les descendants du second souverain de Serbie ne jouissent d’aucun soutien, d’aucun parti qui se réclame d’eux (il est à peine suivi par un millier de personnes sur les réseaux sociaux).  Ce qui ne n’empêche pas le prince Pedrag de se poser la question du choix dynastique en cas de rétablissement de la monarchie. « La Serbie devrait d’abord bien réfléchir à ce qu’elle gagnerait et à ce qu’elle perdrait en rétablissant la monarchie. Trop souvent, nous avons été imprudents. Et si un jour le peuple décide qu’il est temps de rendre la couronne au pays, alors il sera temps à ce moment de décider quelle dynastie doit occuper le trône » affirme-t-il.

Frederic de Natal