Sauf dans des situations spécifiques où il est possible de lui octroyer certains pouvoirs, le Yang di-Pertuan Agong (roi) de Malaisie est tenu d’agir sur l’avis du Premier ministre. Élu pour 5 ans par ses pairs, treize chefs d’états qui constellent cette monarchie élective, son rôle est devenu de plus en plus important en raison d’un déficit de confiance, qui s’est amplifié d’années en années, entre les malaisiens et leur gouvernement. De nombreux appels ont été lancés à ces monarques pour qu’ils reprennent leurs régalia perdues afin de devenir un contrepoids aux institutions politiques discréditées. Un vœu qui semble avoir été entendu.
Durant toute leur histoire, les différentes royautés de Malaisie ont été des monarchies absolues dont le pouvoir a été réduit à un rôle cérémoniel tout au long de l’occupation coloniale britannique. La fin de la Seconde guerre mondiale va provoquer l’émergence du nationalisme malais qui s’oppose à l’Union voulue par Londres. Cette dernière tentant de garder le contrôle de sa colonie. Les sultans qui ont collaboré avec les japonais sont destitués, le rajah blanc du Sarawak est contraint d’abdiquer afin que son état soit rattaché à l’Union et Singapour est soigneusement mise à l’écart pour d’autres ambitions plus économiques. Cette tentative de marginalisation des rois locaux va lever un bouclier de protestations et pousser finalement les anglais à donner son indépendance à la Malaisie en 1957. Afin d’éviter tout risque de conflit, il est conclu que la monarchie sera élective et tournante, équilibrant les pouvoirs du roi et celui du Premier ministre, constitutionnelle (largement inspirée de la monarchie britannique) et dotée de lois qui protègent l’institution royale comme son souverain que l’on ne peut critiquer. Il faut attendre l’arrivée au pouvoir du Premier Ministre Mahathir Mohamad (1983-2003) pour qu’une crise éclate entre les deux pouvoirs, accrue par les nombreux amendements constitutionnels qui réduisent les pouvoirs existants du monarque (notamment l’article 66 qui permet de passer au-dessus des décisions royales) .
Renforcement du pouvoir royal
La crise du Covid-19 qui précède une crise gouvernementale ayant abouti à la chute du gouvernement en février 2020, les tensions ethniques vont permettre aux Yang di-Pertuan Agong de revenir au premier plan et de revenir incontournables. Parlements suspendus, échecs de coalition gouvernementale (démission de deux Premiers ministres en moins de 18 mois), le roi Abdullah Shah (élu en 2019) a décidé sortir de ses prérogatives pour se rendre à l’Assemblée nationale et forcer les députés à nommer un Premier ministre qui ferait consensus. Un geste qui n’a pas été sans critiques, le monarque accusé de s’emparer illégalement des pouvoirs, mais qui a été jugé « admirable » par l’ensemble des partis politiques qui ont fini par s’accorder sur un nom. Très rapidement, l’équilibre s’est renversé et il est apparu que c’était le roi qui gouvernait désormais le pays en lieu et place du Premier ministre, n’hésitant pas à refuser « les lois d’urgence » (octobre 2020) ou mettre la pression sur le gouvernement si nécessaire. Pis, le palais royal se passe désormais de consulter le Premier ministre et publie lui-même ses communiqués où les souhaits de gouvernance du roi sont rendus publics.
Monarque religieux
Outre des pouvoirs exécutifs renforcés, les monarques malaisiens sont aussi les féroces gardiens de l’islam. On ne badine pas avec cette religion d’état dans la monarchie. Ainsi en 2013, le sultan de Selangor s’est appuyé sur une loi de l’État de 1988 pour décréter que les non-musulmans ne pouvaient pas utiliser le mot Allah dans leurs livres saints. En 2014, le gouvernement du Johor a déclaré le vendredi et le samedi comme jours fériés afin de faciliter la prière du vendredi pour les musulmans. En 2019, la Malaisie a ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) mais a été contrainte d’annoncer son retrait le mois suivant la ratification en raison de la forte opposition du souverain qui a fait remarquer qu’il portait atteinte à l’islam, aux Malais et à la monarchie. Pour autant, tout extrémisme islamiste est interdit et combattu, la tolérance prônée et le souverain regardé comme un rempart à l’ethno-sectarisme malais très présent dans la fédération.
Symbole d’unité
Une particularité, la Conférence des souverains. Lorsqu’il s’agit de questions constitutionnelles ou de politique nationale, le monarque réunit ses pairs au Palais royal afin de délibérer. Cette prérogative recèle un énorme potentiel. Il investit la Conférence d’un rôle fédérateur et consultatif unique qui bénéficie d’un large soutien public chez les malaisiens. Ils la considèrent comme la seule institution constitutionnelle restante qui peut assurer le contrôle et l’équilibre du gouvernement face à des dirigeants nationaux et étatiques dont la qualité politique a considérablement faibli depuis 2020. Les rois de Malaisie sont devenus des chefs d’état légitimes et dont l’autorité reste inébranlable. Reste à savoir s’il s’agit aujourd’hui d’un phénomène temporaire en réponse aux défis politiques et économiques de ces dernières années ou d’un renforcement des pouvoirs qui, bien que plébiscité, va s’inscrire dans la durée afin de garantir l’unité de la monarchie.
Frederic de Natal