Perché sur les hauteurs de Mexico, le château de Chapultepec incarne à lui seul l’histoire du Mexique. De demeure vice-royale en palais impérial, de champ de bataille en musée national, il demeure le témoin vivant des grandeurs et des drames d’un pays en quête d’identité.

Le mot Chapultepec vient du nahuatl, la langue des Aztèques : chapol-tepec, « la colline du sauterelle ». Bien avant l’arrivée des Espagnols, ce lieu était considéré comme sacré, abritant des sources d’eau pure et des temples dédiés aux dieux tutélaires. Après la conquête de l’Empire de Moctezuma II, la colline devient propriété de la Ville de Mexico par un décret de l’Empereur Charles Quint en 1530. Il ne prendra jamais la peine de venir la voir.

En 1785, le vice-roi Bernardo de Gálvez, futur gouverneur de Louisiane, fait édifier une élégante résidence de campagne sur ce promontoire dominant la vallée. Cette construction, conçue pour être un havre de repos, deviendra l’un des plus beaux témoignages de l’architecture coloniale de la Nouvelle-Espagne. Le témoin d’une histoire coloniale, le symbole de l’oppression pour les indiens.

Mais l’histoire du château, comme celle du Mexique, ne cessera d’être mouvementée : abandonné après l’indépendance (1810), puis transformé en académie militaire, il devient un symbole de résistance nationale lors de la guerre contre les États-Unis en 1847. La bataille de Chapultepec, où périrent de jeunes cadets – les célèbres Niños Héroes –, dont certains ont à peine 13 ans, entre définitivement dans la mémoire collective. Alors que la forteresse est sur le point de tomber, 6 jeunes cadets vont refuser de quitter les lieux et se battre avec courage. Ils tombent les uns après les autres jusqu’au dernier qui se drape d’un drapeau mexicain avant de se jeter dans le vide.

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Maximilien et Carlota, les souverains éphémères du Mexique

C’est pourtant sous le Second Empire mexicain (1864-1867) que Chapultepec entre dans la légende. Restauré sous la présidence de Miguel Miramón (1859-1860), redevenu caserne militaire, lorsque l’archiduc Maximilien d’Autriche, frère de l’empereur François-Joseph, accepte la couronne offerte par Napoléon III, il cherche une résidence digne de son nouveau rang. Avec son épouse, l’impératrice Carlota (Charlotte) de Belgique, il choisit ce château dominant la capitale, qu’il rebaptise « Alcázar de Chapultepec ».

Le couple impérial y apporte une touche européenne : terrasses à la française, jardins à l’anglaise, salons de style Louis XV, parquets marquetés, soieries importées de Vienne et pianos venus d’Anvers. La terrasse orientée vers la vallée, depuis laquelle Maximilien contemplait Mexico et les volcans Popocatépetl et Iztaccíhuatl, est toujours là, baignée d’une lumière d’or au coucher du soleil.

Sous leurs mains, Chapultepec devient un palais impérial digne de Versailles, symbole d’une monarchie moderne rêvée au cœur du Nouveau Monde. Hélas, cette utopie monarchique tourne court : abandonné par Napoléon III, trahi par les libéraux, Maximilien est fusillé à Querétaro en 1867 après 3 ans de règne tumultueux. L’ombre de ce drame plane encore sur les jardins du château, où Carlota, femme trompée et résignée, devenue folle de chagrin, ne revint jamais.

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De la résidence présidentielle au temple de l’histoire

Après la chute de l’Empire, Chapultepec entre dans une nouvelle ère. Sous le président Manuel González, en 1882, il devient résidence officielle des présidents mexicains. Le général Porfirio Díaz, figure emblématique du Porfiriato, en fait un lieu de faste et de représentation : électricité, verrières, observatoire et nouveaux jardins à la française modernisent l’ensemble.

Mais c’est en 1939 que le destin du château se fige dans la mémoire nationale : le président Lázaro Cárdenas (1934-1940) décide de le transformer en Museo Nacional de Historia, inauguré en 1944. Depuis, plus de trente salles racontent les grandes étapes de l’histoire mexicaine, de la conquête espagnole à la révolution.

Les visiteurs peuvent admirer les uniformes des Niños Héroes, les portraits de Benito Juárez, les drapeaux de l’indépendance, mais aussi le mobilier original de Maximilien et Carlota, soigneusement restauré, la couronne impériale sous bonne garde. Une salle entière  est dédiée au couple réhabilité : miroirs, horloges viennoises, lits de velours et tentures brodées évoquent l’élégance mélancolique de cet empire perdu que l’on peut apercevoir dans l’émission Secrets d’Histoire .de Stéphane Bern. En 2019, le spécialiste français des têtes couronnées a consacré un portrait entier au dernier couple impérial du Mexique.

Un patrimoine vivant, entre fierté et nostalgie

L’ensemble dégage un charme singulier : celui d’un lieu à la fois cosmopolite et profondément mexicain, où les styles se superposent comme les époques.

Chaque pièce de Chapultepec semble raconter une histoire. Le salon de musique, offert par Napoléon III au couple impérial, est un bijou de style Louis XV ; le salon des ambassadeurs, aménagé sous Díaz, servait aux réceptions diplomatiques ; la terrasse panoramique, devenue emblématique, offre une vue à couper le souffle sur la mégapole de Mexico. Les galeries extérieures, bordées de colonnades et de balustrades de marbre, rappellent les palais européens tout en s’ancrant dans le paysage américain.

Aujourd’hui, le château de Chapultepec est un passage obligé pour tout visiteur de Mexico. C’est aussi un lieu de mémoire, à la fois glorieux et douloureux. Pour les Mexicains, il incarne la résilience d’un pays traversé par la guerre, les ambitions impériales et la quête d’identité.
Selon l’historien mexicain Javier Garciadiego, « Chapultepec est le miroir du Mexique : un lieu où cohabitent la grandeur, la tragédie et la reconstruction ».

Un témoin privilégié de la complexité mexicaine : un monument où le passé, loin d’être figé, continue de dialoguer avec le présent


Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

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