C’est une couronne qui a été longtemps la proie de meurtres violents ou de coups d’État. Il faut attendre l’avènement de Paul Ier pour qu’un décret fixe définitivement les règles fondamentales de succession au trône. Bien que les Romanov ne règnent plus sur la Sainte Russie, elles restent toujours en vigueur au sein de la Maison impériale. Trois branches se disputent actuellement un trône balayé par une révolution et dans le sang. Que ce soit le prince Andreï Andreïevitch, la Grande-duchesse Maria Wladimirovna ou le prince Charles Emich de Leiningen, chacun d’entre eux avancent des arguments en leur faveur, affirmant respecter scrupuleusement les articles relatifs à la loi Pauline. Si demain la monarchie revenait au pouvoir, qui serait alors le légitime héritier au trône ?
Une succession régie par la Loi Pauline
« Les sexes ont le droit de succession au trône. Mais ce droit appartient au sexe masculin de préférence au féminin, par ordre de primogéniture. En cas d’extinction de la dernière ligne masculine, la succession au trône passe à la lignée féminine par droit de remplacement ». Lorsqu’il entreprend de réformer code de succession au trône en avril 1797, le tsar Paul Ier garde encore en mémoire la tentative de sa mère de l’écarter du trône, le jugeant incapable de diriger la Russie. Afin de faire valoir sa décision, Catherine II s’était basée l’ordonnance du 5 février 1722. Editée par Pierre le Grand, elle stipule que le souverain régnant à le droit de désigner son successeur et lui donner la possibilité de destituer l’héritier légitime. En mettant fin à cette règle, Paul entend également renforcer le pouvoir autocrate des empereurs de Russie et assurer une succession paisible au trône. Il va d’ailleurs plus loin puisque les articles 183 et 188 exigent que les membres de la maison impériale contractent des mariages égaux, orthodoxes et seulement autorisés par le Tsar. Dans le cas contraire, les Romanov concernés perdraient tous droits au trône, pour eux et leur descendance.
Avec la chute de l’empire en 1917, les membres rescapés des atrocités bolchéviques vont essaimer aux quatre coins de la planète. Certains vont se marier en dehors des lois Paulines. Pour une majorité de monarchistes, la branche Kirillovitch est celle qui se rapproche le plus du trône impérial. Descendant d’Alexandre II, le grand-duc Cyrille Romanov (1876-1938) s’est proclamé curateur du Trône, six ans après l’exécution de la famille impériale à Ekaterinbourg et dirige alors le mouvement monarchiste. Représentée aujourd’hui par la grande-duchesse Maria Wladimirovna (67 ans), cette lignée est contestée dans ses droits par celle des Nicolaïevitch qui descendent de l’empereur Nicolas Ier, généalogiquement l’aînée. Entre les deux rameaux Romanov, une opposition irréconciliable et une dispute dynastique qui divise profondément les monarchistes.
Un nom, deux lignées qui s’opposent
Pour les Nicolaïevitch réunis au sein d’une association fondée en 1979 et qui porte le nom des Romanov, la descendance du grand-duc Cyrille n’a aucun droit sur le trône vacant. Ils évoquent son attitude controversée durant la révolution de février 1917, notamment quand il est entré dans la Douma en portant un ruban rouge autour de son bras et pour faire allégeance au nouveau gouvernement. Son second mariage avec sa cousine Victoria-Mélita de Saxe-Cobourg-Gotha n’a pas reçu d’autorisation impériale d’autant que la mariée n’a pas plus souhaité se convertir à la religion orthodoxe. De quoi le disqualifier et peu importe s’il a fini par être pardonné par Nicolas II, rien ne prouve qu’il aurait été remis sur la lignée de succession avec la conversion de son épouse. Pour Evgeny Pchelov, historien russe, son fils et successeur Wladimir Romanov (1917-1992) s’est mis hors-course lui-même en usurpant son titre de « Grand-duc » puisque celui-ci « ne peut être porté que par les petits-fils d’un empereur uniquement ». Selon ce spécialiste des Romanov, il ne pouvait pas plus le transmettre. Les descendants du Tsar Nicolas Ier ajoutent même que le mariage de Wladimir avec Léonida Bagration-Moukhrani n’avait rien d’égal en dépit de son appartenance à la maison royale de Géorgie. Evgeny Pchelov rappelle d’ailleurs à ce sujet que ce royaume a été incorporé au sein de l’empire russe en 1801 et a cessé d’être royal. Pour les contradicteurs des Kirillovitch, toutes ces revendications au trône restent « une farce ». Dernier argument avancé, le mariage en 1976 de la Grande-duchesse Maria Wladimirovna avec le prince Franz-Wilhelm de Prusse qui aurait sorti de facto cette lignée de la succession au trône.
Des allégations que réfute naturellement la grande-duchesse Maria Wladimirovna, reconnue par le gouvernement du Président Vladimir Poutine et soutenue dans ses droits par le Patriarche Kirill, haute autorité orthodoxe de Russie. Depuis 1989, il ne reste plus aucun prince impérial répondant aux critères exigés par la loi Pauline. Considérant que la maison de sa mère est bien royale (confirmée par un décret en 1946), que son grand-père a été réintégré 1909 sur la demande du dernier tsar, rien ne saurait donc l’empêcher de monter sur le trône. Les Kirillovitch restent la dernière branche légitime des Romanov (le prince Andreï Andreïevitch (98 ans), son principal contradicteur, ayant fait un mariage morganatique) pour une majorité de monarchistes. Une succession qui se poursuivra avec son fils, le grand-duc Georges (40 ans), élevé dans la foi orthodoxe, portant le nom illustre d’une dynastie quadricentenaire (inscrit sur son passeport russe) et récemment marié à Victoria-Rebecca Bettarini Romanovna.
Une troisième voie ?
Quoi que. Ce n’est pas l’avis du prince Charles-Emrich de Leiningen (69 ans) qui se fait appeler « Nicolas III » par ses partisans depuis sa conversion à l’orthodoxie. C’est en 2013 qu’il a fait acte de prétention, poussé par un milliardaire russe qui rêve de recréer l’empire russe défunt, quelque part sur un des cinq continents de la planète. Quitte pour cela à ridiculiser l’idée monarchiste. Il y a peu, Anton Bakov a proposé de situer cet empire en…Gambie, en pleine Afrique de l’Ouest. Si la grande-duchesse Maria a condamné les agissements de ces monarchistes, le prince Charles-Emrich de Leiningen a pris le train en marche et s’est laissé séduire par les déçus des deux branches qui continuent de s’affronter à coups de communiqués. Selon lui, il est dernier descendant masculin de la maison impériale en tant que petit-fils du grand-duc Kirill Vladimirovich, issu de mariages égaux et serait de fait le seul à pouvoir prétendre au trône de Russie. Epuisés par ces « guéguerres » dynastiques, une minorité de monarchistes a décidé de trancher dans le vif. Puisque Nicolas II a failli à sa mission protectrice, les Romanov ont donc perdu tous droits de prétendre un trône qu’ils avaient juré de protéger. Solution proposée pour mettre d’accord tous ces prétendants, la convocation une nouvelle assemblée nobiliaire, un zemsky sobor, qui désignera la prochaine maison régnante de Russie.
Frederic de Natal