Jeanne d’Arc est devenue au fil des siècles un véritable modèle d’héroïsme, une figure épique, une sainte patriotique ou encore le symbole de la résistance française à l’envahisseur. Une épopée portée à plusieurs reprises sur grand écran et qui trouve ses sources dans les multiples textes qui nous sont parvenus. Pourtant depuis peu, certains historiens tentent de revisiter toute la légende construite autour de la Pucelle d’Orléans, loin de la doxa historique actuelle. 

Lorsque sort en librairie « L’affaire Jeanne d’Arc » en 2007, co-écrit par Roger Senzig et Marcel Gay, le livre provoque un buzz avant de se transformer en vaste polémique. A travers 300 pages, publié aux éditions Florent Massot, les deux auteurs s’emploient à déconstruire toute la légende qui a été forgée autour de la Pucelle d’Orléans et affirment que « l’histoire a été falsifiée ». Selon Marcel Gay, plusieurs fois interrogé sur cette question, la figure de Jeanne d’Arc aurait été créée grâce aux talents de comploteuse de Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou, n’hésitant pas à lier la Sainte au sang Capétien. Remettant en cause la naissance et la mort de Jeanne d’Arc, ses origines, ses actes comme on les connaît aujourd’hui, le livre fait fi des nombreuses sources que l’on possède sur la Pucelle d’Orléans. Ce qui peut paraître paradoxal quand on sait que c’est la femme la plus documentée de l’époque médiévale. Si très peu d’historiens soutiennent cette thèse aujourd’hui, elle nous contraint de jeter un œil plus averti sur la véritable vie de la Sainte.

Jeanne d’Arc à cheval. Enluminure du manuscrit d’Antoine Dufour, Les vies des femmes célèbres, Nantes, musée Dobrée, 1504.

Deux traditions qui s’opposent

Car s’il ne faut pas croire à ces « mythomanes », pour paraphraser la médiéviste Colette Beaune, il ne faut pas plus tomber dans le mythe opposé qui présenterait Jeanne comme la plus pauvre des bergères de sa région, unique actrice de la victoire contre la famille des Plantagenets. « Tout mythe comporte une part de vérité et une part de fable ». Dans son livre, « Jeanne d’Arc, Vérités et légendes », publié aux éditions Tempus, Colette Beaune nous éclaire sur la manière d’aborder la vie historique de la Sainte, tiraillée encore de nos jours par deux traditions qui remontent à l’époque même de Jeanne d’Arc : celle des textes provenant des Armagnacs (partisans de la Maison d’Orléans)  et celle de ceux rédigés par les Bourguignons (partisans du duc de Bourgogne). Si pour les premiers, elle est la petite bergère sauveuse de la France au nom de Dieu, elle est pour les seconds la putain et la sorcière qui a permis à la famille des Orléans de justifier leur prise du pouvoir.

Jeanne capturée par les Bourguignons à Compiègne. Peinture murale au Panthéon, Paris, vers 1886–1890

Tout est dans la symbolique pour un royaume ravagé

Pour autant, ces écrits d’époque sont-ils eux-mêmes objectifs ?  Il est coutume pour un historien de ne travailler qu’à partir d’une source : celle des Armagnacs qui soutiennent que la Sainte a été une bergère afin de mieux la relier à l’Ancien Testament où selon les écrits,  les rois ont été approchés par les plus pauvres bergers pour recevoir le message de Dieu. Tout est dans la symbolique pour un royaume ravagé par une guerre civile et en partie occupé par les anglais. Entre la fille de sang royal et la pauvre bergère, ce sont les sources du village de Domrémy qui nous informe sur la provenance de la famille de Jeanne d’Arc, issue une famille de paysans aisés, possédant une charrette et des animaux. Milieu modeste certes mais sans aucune noblesse ni quelconque lien généalogique avec le roi Charles VII ou fusse t-elle le dixième enfant caché de Louis d’Orléans (1372-1407) et de la reine Isabeau de Bavière (1370-1435). Des affirmations relevant d’une véritable manipulation historique . D’ailleurs une fois que l’on a mis en doute la naissance de Jeanne d’Arc, l’on peut facilement aussi remettre en doute toute son décès, en prétendant qu’elle n’est pas morte brûlée mais qu’elle aurait été relâchée pour mieux réapparaître quelques années plus tard. Deux sources nous évoquent ce qui a été plus une imposture qu’une réalité.

Une Sainte manipulée par l’Histoire ?

La première est celle d’un chroniqueur de la ville de Metz,  le Père Jérôme Vignier, qui affirme que les membres de la famille d’Arc auraient mal accepté la mort de la Sainte, accusant le pouvoir royal de n’avoir rien fait pour la sauver des flammes en 1431.  C’est à ce moment qu’apparaît, un peu plus tard, entre 1436 et 1440, une femme affirmant être Jeanne, échappée de sa prison et qui aurait épousé un Robert des Armoises. Ce personnage reste mal connu,  aurait côtoyé Gilles de Rais mais  les textes relatifs à ce chapitre de l’Histoire de France reste « mal documenté et difficile à interpréter ».  D’autres sources affirment même qu’elle aurait été reconnue par Charles VII. L’imposture ne tiendra pas longtemps mais marquera ses contemporains qui cherchent tous les signes démontrant que la bergère de Domrémy a survécu. La seconde provient du journal d’un bourgeois de Paris, partisan des bourguignons,  confirmant le décès de Jeanne d’Arc et que Claude ne fut en rien la Pucelle d’Orléans . Ors, c’est très curieusement en lisant de manière erronée cette source, pourtant assez claire, que certains sont arrivés à établir ce mythe de la « résurrection de Jeanne ». Encore faut-il  noter que cette réapparition de Jeanne d’Arc ne fut pas la seule. Il y a eu une multitude personnes se faisant passer pour Jeanne d’Arc comme dix ans plus tard à Sermaize-les-Bains ou encore celle de 1640 au Mans qui n’hésitera pas à se faire passer anachroniquement pour la Pucelle d’Orléans, tentant de convertir tout un chacun et réclamant une baisse des impôts.

Légende mystique de son vivant, Jeanne d’Arc va pourtant tomber dans l’oubli avant d’être remise sur son piédestal fin du XIXème siècle comme symbole d’unité puis d’être glorifiée par la IIIème République. Les factions bourguignonnes et Armagnacs ont créé le mythe qui persiste jusqu’à nos jours. L’Histoire en est devenue sa première victime. Jeanne d’Arc n’a pas échappé aux théories du complot en vogue dans notre siècle ni aux récupérations en tout genre. Parfois les plus saugrenues (elle est dernièrement devenue une icône queer transgenre).  Mais « c’est en les prenant en compte que les historiens doivent travailler. Réduire la vie de Jeanne d’Arc à un autre Da Vinci Code ne nous semble pas la meilleure façon de faire progresser la recherche. Entre Dieu et la pure et simple manipulation, il y a bien d’autres possibles » rappelle à ce propos le Figaro  Il appartient aux vrais historiens de replacer la vérité historique dans son contexte afin d’éviter de faire tomber Sainte Jeanne d’Arc dans de vulgaires travers faussés et sans pertinence pour nos prochaines générations 2.0.

Antoine Bottineau