Que serait devenue l’Europe si Hitler n’avait pas existé ? Une question digne d’une uchronie qui trouve pourtant son origine dans un fait historique controversé.  En 1918, caporal dans l’armée allemande, Adolf Hitler aurait été sauvé d’une mort certaine par deux sujets de sa Gracieuse Majesté : un Anglais et un Irlandais. La Revue Dynastie s’est penchée sur ce chapitre méconnu de la Première guerre mondiale.

Au cours de l’Automne 1918, l’Europe est fébrile. Acculée, l’Allemagne du Kaiser Guillaume II ne va pas tarder à rendre les armes. Avec la rage du désespoir, son état-major de casques à pointe pousse pourtant encore l’empereur Hohenzollern à poursuivre la lutte contre l’ennemi. Au Royaume-Uni, on continue d’enrôler pour le front. Henri Tandey est âgé de 27 ans quand il est envoyé à Marcoing près de Cambrai, dans le Nord de la France. Ce n’est pas un novice. Orphelin, il est entré dans l’armée en 1910 et a été blessé à la bataille de la Somme (1916) et à celle de Passchendaele (1917). On l’a même décoré de la Victoria Cross et il a eu les honneurs de la presse britannique. Mais en ce mois de septembre 1918, sans le vouloir, il va entrer par la petite porte de l’Histoire comme l’homme qui aurait pu changer le visage de l’Europe. Alors que son régiment mène une charge à la baïonnette, dans sa ligne de mire, un soldat allemand. Les deux hommes se fixent, hésitent. Tandey remarque qu’il boite et qu’il est blessé. Du sang s’écoule de sa redingote militaire salie par la boue des tranchées. Le soldat britannique a soudain un geste de compassion, renonce à appuyer sur la détente ou embrocher son adversaire, finit par l’éviter. L’allemand le remercie d’un geste de la tête et s’écroule à terre, sauvé. Le bruit des armes finit par s’éteindre le 11 novembre suivant, laissant le sous-officier allemand entre les mains des infirmiers venus le secourir.

Henri Tandey et le caporal Hitler en 1918 @Dynastie

Henri Tandey, le britannique qui a sauvé Hitler ?

L’affaire aurait pu en rester là si elle n’avait pas rebondi deux décennies plus tard. Au cours d’une rencontre avec le dirigeant du IIIème Reich au Berghof, le Premier ministre britannique Chamberlain apprend avec surprise qui était l’allemand sauvé lors des combats. Ni plus ni moins que le Chancelier Adolf Hitler qui lui demande alors de remercier Tandey de lui avoir laissé la vie sauve. « Cet homme a failli me tuer, j’ai pensé que je ne reverrais plus jamais l’Allemagne. La Providence m’a sauvé d’un tir aussi diaboliquement précis que ces garçons anglais nous visaient » explique l’ancien caporal bavarois. Chamberlain téléphonera à Tandey pour lui narrer cette histoire mais c’est seulement à la fin de la seconde guerre mondiale que l’intéressé exprimera des regrets. « Si seulement j’avais imaginé ce qui se passerait ensuite. Quand j’ai entendu le nombre de personnes qu’il a tué, je suis désolé » confessera Tandey dont la ville, Coventry, sera ravagée par un intense bombardement allemand en novembre 1940.

Le tableau du peintre italien Fortunino Matania représente l’unité de Tandey au soir de la bataille d’Ypres @Green Howards Museum Painting

Quelle est donc la part de vérité dans cette histoire ? L’écrivain David Johnson (qui a consacré une biographie sur Henri Tandey) doute de la véracité des faits. Selon lui, lors d’une interview accordée à la BBC en 2014, la légende urbaine a pris le pas sur la réalité des faits. Hitler a apparemment vu un article de journal sur l’attribution d’une médaille à Tandey et a coupé l’article qu’il a précieusement conservé, croyant reconnaître le soldat britannique qui l’avait sauvé. Des années plus tard, il est mis au courant d’une peinture commandée par le Green Howards Regiment à un artiste italien, montrant un soldat censé être Tandey portant un homme blessé au carrefour de Kruiseke en 1914, au nord-ouest de Menin. Persuadé que cet événement est le sien, faisant fi de toute chronologie, le chancelier allemand obtient généreusement une photo géante de l’œuvre qu’il exposera dans son nid d’aigle et qu’il présente à tous ses invités. Très curieusement, aucun enregistrement de la rencontre entre Chamberlain et Hitler ne mentionne Tandey une seule fois. Pas plus ne trouve-t-on trace d’un appel du Premier ministre au soldat dans les registres de communication de cette époque. Même du côté allemand, on remet largement en doute cette histoire. Le carnet militaire de Hitler montre très clairement qu’il était en congé au moment de cette bataille. Comment aurait-il pu donc se trouver à deux endroits différents au même moment ? Le mystère demeure d’autant que Tandey est décédé en 1977, sans enfants, laissant peu de documents sur cette histoire.

Michael Keogh et Adolf Hitler @Dynastie

Michael Keogh, la Führer de vivre

Un événement qui est aussi revendiqué par un Irlandais du nom de Michael Keogh mais avec un décalage dans le temps. Indépendantiste déclaré, il émigre à 16 ans avec sa tante à New York (1907). Étudiant, il aurait obtenu un diplôme d’ingénieur sans que l’on ne trouve trace de son passage dans les archives de l’Université de Columbia. Il ne reviendra dans son pays natal qu’en 1913 après avoir été démobilisé, blessé avec son détachement lors d’affrontements avec la guérilla mexicaine à la frontière texane. Au déclenchement de la Première guerre mondiale, il s’engage aux cotés des allemands qui cherchent à déstabiliser le Royaume-Uni en provoquant un soulèvement en Irlande. Ce sera un échec. Honoré de plusieurs médailles, Michael Keogh est placé à la tête de la compagnie de mitrailleuses de la XVIè division d’infanterie bavaroise en 1918. C’est ici qu’il affirmera avoir rencontré plus tard le caporal Hitler. Ce dernier reposait sur une civière après une blessure à l’aine. Adolf Hitler aurait déclaré toujours selon ce que soutient Keogh, que cette blessure l’aurait « rendu inapte à procréer ». A la fin du conflit, l’officier reste en Allemagne et se joint aux Corps Francs de Munich afin de barrer la route aux marxistes qui tentent de s’emparer du pouvoir (1919). C’est là qu’il va gagner le sobriquet « d’homme qui a sauvé Hitler ».

Officier en service dans une caserne située dans la Turken Strasse de la capitale bavaroise, il est en poste quand, selon ses ses mémoires, il est averti qu’une émeute a éclaté dans le gymnase de l’établissement militaire Une allocution de deux orateurs, appartenant à des mouvements de droite, a dégénéré en bataille rangée. Keogh réussira à stopper l’émeute avec l’aide d’un sergent et de six soldats, évite au responsable de cette situation d’être écharpé. « Le type à moustache a rapidement donné son nom : Adolf Hitler. C’était le lance-caporal de Ligny. Je ne l’aurais pas reconnu. Il avait été hospitalisé pendant cinq mois à Pasewalk, en Poméranie. Il était maigre et émacié à cause de ses blessures. Nous serions arrivés quelques minutes plus tard, avec tous les coups de pied reçus ses vieilles blessures, les baïonnettes sorties, il serait mort ! » raconte t-il. Michael Keogh, démobilisé une nouvelle fois,  repartira en Irlande pour participer à la lutte armée contre les britanniques avant de revenir avec sa famille entre 1930 et 1936 à Berlin où il sera traducteur aux Jeux Olympiques.

Des versions peu crédibles mais qui posent une seule question

Quelle crédibilité donner à cette seconde version des faits  ? A la fin de sa vie, en 1964, ses mémoires disparaissent mystérieusement à l’hôpital où il réside. Il accuse un mystérieux prêtre que personne ne semble avoir aperçu dans les couloirs. Il faut attendre 2005 pour que son petit-fils retrouve son manuscrit dans la cave du département d’histoire de l’University College de Dublin. D’après les archives, il aurait été donné par un ancien commandant de l’IRA dont on ne sait pas comment il l’obtenu. Une partie des pages est d’ailleurs manquante, correspondant à la période 1920-1964. Des historiens ont mis en doute les affirmations de Michael Keogh, démontrant qu’il avait tendance à se surestimer auprès de ses camarades Irlandais. Aucun document ne semble par ailleurs étayer les faits tels qu’il les décrit, excepté la présence réelle du Führer nazi à Munich.

Deux versions différentes, loin de s’accorder, dont on n’arrive toujours pas à en distinguer le vrai du faux. Mais qui néanmoins ajoute un peu plus de mythe  au régime nazi mis en place lors de son arrivée au pouvoir en 1933 . Une question demeure pourtant, que l’on ne peut s’empêcher de se poser :  Que serait-il passé si Hitler n’avait pas été sauvé par la main providentielle supposée de ces deux britanniques ?

Frederic de Natal