C’est l’histoire d’un véritable succès qui ne se dément pas. Avec toutes ses déclinaisons, le jeu « Assassin’s Creed » (littéralement : Le credo de l’assassin) pourrait bien entrer un jour dans les salles des collèges ou des lycées français et devenir un matériel d’étude en Histoire.  

« L’Animus », une machine capable de lire l’acide désoxyribonucléique (ADN) des humains, notre mémoire génétique, permet aux joueurs mués en un assassin de la confrérie du même nom de voyager à travers le temps, explorer divers lieux de notre passé et déjouer les complots orchestrés par les templiers. Deux ordres qui s’affrontent depuis un millénaire. Viking, croisade, Renaissance, guerre d’indépendance américaine ou encore révolution française, les thèmes ne manquent pas et font mouche à chaque fois, touchant un large public qui ne se lasse pas de cette création « made by Ubisoft ». Un travail de reconstitution historique qui a même étonné les historiens par l’ampleur des détails visuels qui sont offerts (par exemple, la création de la cathédrale de Paris a pris deux ans de travail intensif). Même si parfois quelques anachronismes s’y glissent, chaque jeu à le mérite de faire (re-)découvrir des pages oubliées ou parfois caricaturalement écrites de notre Histoire. C’est à l’historien Maxime Durand que l’on doit cette « success story » qui assume certaines petites erreurs volontaires. Ainsi dans celui qui est consacré à la Révolution française, on trouve pêlemêle tricornes et hauts de forme sur chaque tête des personnages, « une variété stylistique qui doit aider le joueur et qui répond à une attente de ceux-ci en termes de réalisme et de précision historique qui maintient le jeu à un niveau élevé ». Maxime Durand est un historien chevronné qui a largement fait ses preuves dans le Game-design animé et qui revendique un qualificatif d’enseignant. Interrogé par Brut Media, il expliquait récemment « qu’apprendre l’histoire de manière traditionnelle ne plait pas forcément » à tous, car les « gens préfèrent vivre l’histoire et c’est ce que leur offre justement Assassin’s creed ».

Extrait d’Assassin’s Creed Unity. ScreenshotYoutube/ Dynastie/récitUnivers social

Une réinterprétation de l’histoire ?

Le mensuel « Historia » a consacré pas moins de cinq articles sur ces différents opus qui permettent de développer « l’esprit critique des élèves ». Manga, roman, bande-dessinée, film sur grand écran, il est devenu au fur et à mesure de la décennie écoulée, une franchise et une véritable porte d’entrée ludique dans l’histoire pour des millions d’aficionados.  « Nous exploitons les petits manques de l’Histoire. Par exemple, lors de la prise du Palais des Tuileries [en 1792], Napoléon Bonaparte était présent, mais l’Histoire n’explique pas pourquoi. Nous si » renchérit Maxime Durand dans une interview à Télébobs. Mais c’est aussi un jeu qui ne plaît pas forcément à tout le monde. Lorsque sort en 2014 le jeu « Assassin’s Creed Unity », qui plonge les joueurs dans le Paris révolutionnaire de 1789, le député de la France Insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, va jusqu’à dénoncer « une vaste propagande (réactionnaire) qui instille davantage de dégoût de soi et de déclinisme aux Français ». Même constat chez son collègue Alexis Corbière, qui évoque une vidéo qui « reprend à son compte tous les poncifs contre-révolutionnaires forgés depuis plus deux siècles, (présentant) le peuple de Paris comme une cohorte brutale et sanguinaire, qui produit la violence, toujours lui qui de façon aveugle fait couler le sang, notamment du bon roi débonnaire ». Ancien professeur d’Histoire, il confessera cependant à Radio Canada n’avoir jamais joué au jeu, s’étant juste contenté de regarder la bande-annonce.  Laurent Turcot, professeur à l’Université du Québec, prend le même chemin que les élus de LFI puisque selon lui « le problème avec les jeux vidéo, c’est qu’on n’a pas le temps de faire la nuance ». Ce qui ne l’empêche pas pour autant de l’utiliser pour rendre ses cours plus interactifs.

Faut-il s’émouvoir de cette réinterprétation de l’histoire pour autant ? « Assassin’s Creed » n’est d’ailleurs pas le seul à avoir joué avec le balancier du temps. Dans son film « Les Chouans », Philippe Broca avait permis à ses deux héros de s’enfuir à bord d’un ULM à vapeur, engin inconnu à l’époque de la Révolution française. Ou encore Victor Hugo qui, dans son « Quatrevingt-treize », transpose l’épisode sanglant de la Commune de 1871 dans une Bretagne insurrectionnelle, un siècle plutôt. « Il convient de prendre ce jeu avec détachement et recul et éviter de de le surinterpréter » explique de son côté l’historien Jean-Clément Martin à Paris Match. A consommer sans modération.

Frederic de Natal