Avec le sommet du Commonwealth, tous les yeux vont être rivés vers le Rwanda durant quelques jours. Surnommé le « Pays aux mille collines », ce pays de l’Afrique des Grands Lacs a été marqué par d’importants massacres entre Tutsis et Hutus tout au long de la seconde moitié du XXème siècle. En 1961, un référendum a aboli la monarchie. Son prétendant attend toujours de remonter sur son trône.
Le prince Charles de Galles est arrivé mardi 22 juin au Rwanda afin de présider le nouveau sommet du Commonwealth, une organisation qui réunit une cinquantaine de chefs d’État et de premiers ministres sous le parapluie britannique. Plusieurs ministres du gouvernement de Boris Johnson vont faire le déplacement. Malgré tout, un absent : Emmanuel Bushayija. Il vit dans la ville de Sale, près de Manchester. Dans la rue, on le croise sans savoir réellement qui est ce personnage souriant et qui apprécie une bonne pinte dans les bars du coin. Affable, sur ses épaules, repose pourtant l’histoire tumultueuse de tout un peuple que l’Europe s’est partagée aux XIXème siècle. D’abord les allemands jusqu’en 1916, puis les Belges. Emmanuel Bushayija est un prince. Mais pour ses partisans, il est aussi le prétendant au trône du Rwanda.
Fin de la monarchie
Il n’a pas connu la colonisation. Il est né l’année où les Belges ont organisé les premières élections au suffrage indirect. Un scrutin organisé en 1961 qui va sonner définitivement le glas de la monarchie. Parallèlement, les deux ethnies du pays, tutsis et hutus doivent se prononcer sur le choix de leur institution . Ce sera à plus de 79% des votes en faveur de la République. Deux ans auparavant, le roi Kigeri V a été renversé par une révolution orchestrée par les membres du Parti du mouvement de l’émancipation hutu (Parmehutu). Un parti soutenu par Bruxelles qui n’appréciait guère le monarque. Il est au Congo-Kinshasa quand on lui apprend que son rival, le docteur Grégoire Kayibanda est le nouveau dirigeant du pays. Comme bon nombre de tutsis, membres de la famille royale craignant d’être assassinés, Emmanuel Bushayija se réfugie en Ouganda. C’est de ce pays que partiront un jour de 1990, les forces de Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, lui aussi affilié à la maison royale.
Une ascendance royale
En 1963, l’Union nationale rwandaise (UNAR), qui compte 7 députés au Parlement, tente de s’emparer de Kigali par la force afin de restaurer la monarchie. Ce sera un échec, ses leaders passés par les armes et l’occasion pour le gouvernement de Kayibanda de purger l’armée. Les militaires se vengeront en 1973 en le renversant lors d’un putsch. De l’Ouganda, Emmanuel Bushayija part au Kenya, puis pour le Royaume-Uni où il est embauché comme employé chez Pepsi Cola. Il ne se fait pas remarquer et ne partage ses souvenirs de famille qu’avec quelques intimes. Il est le petit-fils de Yuhi V Musinga qui a refusé d’obtempérer quand les belges lui ont demandé de se convertir à la religion chrétienne. Un esprit de résistance qui aura raison de son pouvoir. En novembre 1931, il est promptement destitué lors d’un coup d’État organisé par le Résident du Ruanda, par le vice-gouverneur du Ruanda-Urundi et par le vicaire apostolique Mgr Classe. Ce dernier est un prélat qui considère les Mututsis comme la classe dirigeante. Ses thèses auront une grande influence dans l’administration belge. Emmanuel Bushayija est aussi le neveu du roi Mutara III. Le souverain est mort, la gorge tranchée accidentellement par son barbier belge en 1959. On dit qu’il a été assassiné pour avoir voulu rallier les communistes.
Un prince, fantôme de son passé
Kigeri V n’aura pas d’enfants, survit grâce à une aide des États-Unis. Il crée une fondation qui entend réconcilier les deux ethnies qui se regardent en chiens de faïence. Mais sa voix va se perdre dans le concert des partis d’opposition en exil, les mêmes qui rejettent toute idée de restauration de la monarchie. Une fois au pouvoir, Paul Kagame propose à Kigeri V de revenir au Rwanda à la seule condition qu’il renonce à toute activité politique. Le monarque refuse. Une rébellion, l’Armée du Mwami (roi), éclate en 2000 mais faute de soutiens, elle n’arrive pas à ramener Kigeri V au pouvoir. Elle sera vite écrasée et ses leaders exilés en Europe. Le souverain meurt en 2016, dans le dénuement, tout juste soutenu par un mouvement mineur, le parti Vert, qui réclamait le retour de la monarchie . Emmanuel Bushayija a été nommé par la cour qui entourait Kigeri V au grand dam d’une partie de la maison royale qui conteste cette élection controversée.
A Sale, les médias ont fait le siège de sa maison, lorsqu’ils ont appris qu’il était le nouveau prétendant au trône. Cet amateur de football, qui ne dédaigne pas une bonne tarte chez son voisin et meilleur ami, a refusé de faire le moindre commentaire. Il est revenu au Rwanda pour les obsèques du roi mais ne participe pas à la vie politique de son pays. D’ailleurs, le gouvernement du FPR ne le reconnaît pas, partant du principe que la mort du roi Kigeri a également enterré la monarchie. Le site officiel de la maison royale n’est plus mis à jour depuis des mois et ses activités officielles sont réduites. Père de deux enfants, Emmanuel Bushayija est un fantôme du passé dont le rôle se borne désormais à transmettre l’héritage d’une dynastie qui aura régné plus de cinq siècles sur le Rwanda.
Frederic de Natal