Les Qing ont régné pendant trois siècles sur l’Empire céleste avant de chuter brutalement de leur trône lors de la révolution de 1911. Si aujourd’hui, les descendants de ces souverains ne jouissent d’aucun statut dans la Chine communiste, il existe toujours un intérêt curieux dans le pays lorsqu’on évoque la famille d’Aisin Giorio Pu Yi. Dernier empereur de Chine, sa vie a été portée sur grand écran par le réalisateur Bernardo Bertolucci en 1987. La Revue Dynastie vous invite à rencontrer les héritiers ordinaires au trône du Dragon.
« C’était un homme doux, bien qu’un peu confus. Il ne savait pas gérer son argent ni même prendre le bus, mais il jouait et riait beaucoup avec les enfants » se souvient Zheng Shuang Interviewé par le Los Angeles Times qui a rencontré les descendants de la dernière maison impériale de Chine au cours d’une de leur rare réunion familiale, il avait accepté d’évoquer la figure de Pu Yi, son grand-oncle. Peintre à la retraite, Zheng Shuang a connu les dernières heures du Mandchoukouo, cet état fantoche créé par les Japonais en 1932, quatre ans avant sa naissance. Entouré de ses souvenirs, il jette un regard pensif sur l’histoire de sa maison qui a dirigé la Chine entre 1644 et 1911.
Le dernier empereur
Héritier d’une dynastie tricentenaire, Aisin Gioro Pu Yi est encore un enfant quand il est privé de son trône par une révolution en 1911. Du moins sur la Chine car il règne encore sur la Cité interdite, un vaste complexe de 72 hectares où il va grandir, coincé entre deux mondes, seul face à l’histoire tumultueuse de son pays. En 1924, il en est chassé par les nationalistes qui ne veulent plus voir « cette vermine mandchoue » à Pékin. Il va quitter un palais aseptisé, mué par une profonde amertume et une rancœur qui le précipite dans les bras des Japonais, la puissance militaire montante de l’Asie. Couronné pour la troisième fois de sa vie (il a été brièvement restauré en 1917), Pu Yi n’aura aucun pouvoir au Mandchoukouo durant ses 11 ans de règne. Capturé par les soviétiques en 1945, rééduqué par les maoïstes, il décède finalement deux décennies plus tard dans la peau d’un jardinier, sans enfants.
En Chine, des gens ordinaires
Privés de leurs derniers privilèges, les membres de la famille impériale vont apprendre à se fondre dans la masse comme l’avoue Guo Manruo. « Très rapidement, j’ai voulu prouver que je faisais partie de la nouvelle Chine rouge, pas de la Chine impériale » explique la nièce de Pu Yi. Elle a épousé un homme du peuple, issu de trois générations de paysans. Une fierté pour elle comme un bon nombre de frères, cousins, neveux de l’empereur, qui ont adhéré au Parti communiste chinois (PCC). « Nous souhaitons être des gens ordinaires » précise Guo Manruo acquise à la bible marxiste. De l’empire, elle ne connaît que les souvenirs racontés au sein sa famille et de ce qui en a été dit dans les livres actuels d’Histoire. « Être empereur est très triste. Tu perds justement la chance de vivre une vie ordinaire » renchéri Zheng Shuang qui va dans son sens.
Un prétendant communiste au trône du Dragon jaune
Jin Yuzhang est l’aîné de la maison impériale. Selon les lois de succession, il est aussi le prétendant au trône depuis 2015, date à laquelle est décédé son père, le prince Pu Ren. A 80 ans, ce neveu de Pu Yi n’a aucune nostalgie pour la période impériale. Diplômé de l’université géologique de Pékin en 1968, c’est un enfant de la révolution, envoyé comme ouvrier à Quinghai. Pourtant, il n’a jamais souhaité adhérer au PCC. Ce qui ne l’a pas empêché de faire une courte carrière politique et d’épouser une Han, chose impensable sous l’Empire. Conseiller municipal de Chongtwe, il a obtenu un poste de directeur adjoint de la commission des affaires ethniques en tant que représentant des mandchous. Une ascension qui ne doit rien à son ascendance. « Je suis aujourd’hui fonctionnaire à la retraite et je poursuis mon idéal qui est de bien servir le peuple » explique au Quotidien du Peuple , le petit-fils du prince Zaïfeng Chun, dernier régent de l’Empire.
La revanche taïwanaise des Qing
Contrairement à un de ses cousins, Jin Yuzhang a choisi de rester dans son pays, de ne pas suivre les nationalistes qui se sont réfugiés à Taïwan avec le général Tchang Kaï-chek. Un homme dont les troupes avaient pourtant pillé les tombes impériales. Un acte qui avait fait basculer une partie de la maison impériale dans la collaboration avec les Japonais. King Pu-tsung est le représentant de cette branche de la dynastie qui a touché le trône du bout des orteils. Il est le cousin du prince Pu Ru (1896-1967) qui fut un temps pressenti pour monter sur le trône de dix mille ans. Finalement c’est Pu Yi qui sera choisi par l’impératrice Ci Xi. L’ancien héritier condamnera le ralliement de l’empereur à Tokyo et s’engagera auprès de Tchang Kaï-chek. Il devient membre de l’Assemblée nationale constituante en 1947 avant de s’enfuir à Taiwan deux ans plus tard lorsque les communistes s’emparent de Pékin. King Pu-tsung est un de ses cousins. Il a adhéré au Kuomintang, le parti nationaliste qui va imposer sa férule sur toute l’île. Un parcours politique hors norme, Vice maire de Tapeï de 2004 à 2006, secrétaire général du parti de 2009 à 2011, il est nommé ambassadeur aux États-Unis jusqu’en 2014. Ses détracteurs lui reprochent une généalogie incertaine, lui en a cure car il incarne la revanche de la maison impériale. Lors d’une visite officielle en Chine, il n’a pas hésité à venir sur la tombe de Sun Yat-sen, le tombeur des Aisin Gioro, et dire tout le mal qu’il pensait du personnage.
L’ultime témoin du Mandchoukouo
Non loin de là, Aisin-Gioro Husheng coule des jours heureux à Nishinomiya, au Japon. C’est une nièce directe de Pu Yi. Fille du prince Pu Ji et d’Hiro Saga, une cousine de l’empereur Hiro Hito, le mariage de ses parents reste le symbole de l’amitié entre le Mandchoukouo et le Japon. Princesse impériale, sa vie bascule alors qu’elle est âgée de 5 ans. Avec la défaite japonaise, c’est la fuite en avant avec sa famille. Capturées par les Russes puis livrées aux chinois qui les emprisonnent, ce n’est qu’en 1947 qu’elle et sa mère sont autorisés à partir vers le Japon. Pu Jie restera dans une cellule jusqu’en 1961. Libéré, le PCC autorise sa famille à le retrouver à Pékin. Entre temps, elle a vécu un drame en 1957. Sa sœur, qui porte quasiment le même nom qu’elle, à une voyelle près, a connu un destin digne de l’histoire de Roméo et Juliette. Huisheng avait imploré sa mère de la laisser épouser son camarade de classe, Ōkubo. Mais pressentie pour épouser le prince héritier Akihito, Hiro Saga avait opposé un refus net. Affligés, les deux amoureux de 19 et 20 ans s’étaient retrouvés en haut d’une colline, portant un anneau d’or à leurs doigts respectifs, et s’étaient suicidés. Désormais fille unique, Husheng prend la décision de repartir en 1964 au Soleil Levant, de s’y marier et d’adopter le nom de Kosei Fukunaga. « Je prie simplement pour que l’amitié entre la Chine et le Japon continue à se développer, que les échanges culturels prospèrent entre nos deux pays » a déclaré en 2008 lors d’une inauguration, cette ultime témoin de l’histoire du Mandchoukouo qui compte encore de nombreux partisans. Pour autant, elle a fait don des archives de sa famille à une université japonaise.
Les Qing sont divisés mais demeurent immuables, encore l’objet de tous les fantasmes. Interrogé sur les possibilités d’un retour de sa dynastie sur le trône du Dragon, Jin Yuzhang balaye tous les espoirs sur ce sujet. « Notre histoire moderne prouve que l’impérialisme est condamné à être aboli et qu’il ne sera jamais restauré en Chine » lâche-t-il d’un ton lapidaire. La monarchie a vécu, les leçons de Mao sont passées par là.
Frederic de Natal