En ce début d’année 1917, la Russie est au bord de l’insurrection populaire. Grèves auxquelles s’ajoutent la famine ou la lassitude de la guerre, les régiments se mutinent les uns après les autres. Les rapports se multiplient sur le bureau du Tsar Nicolas II qui réside au Quartier Général de Moguilev, sur le Dniepr. A la Douma (parlement), les esprits s’échauffent et on réclame la démission du gouvernement. Les événements vont alors s’enchaîner à une vitesse folle et précipiter la chute des Romanov, cette dynastie qui dirige la Russie depuis trois cents ans. A Petrograd (le nom pris par Saint-Pétersbourg), la journée internationale de la femme va être le point de départ d’une première révolution qui va contraindre Nicolas II à abdiquer le 15 mars en 1917. Une fois la République installée, un million de russes va fuir vers l’ouest de l’Europe et se réorganiser. Avec un seul objectif : la restauration de la monarchie.

L’amiral Alexandre Koltchak

Chez les Romanov, c’est la débandade. On fuit les palais, se mêlant à toutes les composantes de la société russe qui ne se reconnaissent pas dans ce nouveau régime. Direction Paris, Berlin, New York, Londres.  En Russie, l’anarchie politique qui s’est installée va bientôt profiter aux bolchéviques qui s’emparent du pouvoir en octobre 1917. L’ordre rouge exécute sans pitié tout ce qu’elle juge comme étant réactionnaire. A commencer par les monarchistes qui entendent bien restaurer le tsar sur son trône légitime. La Russie sombre rapidement dans la guerre civile et le rapport de force profite d’abord aux « Blancs » qui vont même bénéficier d’une aide militaire internationale. L’amiral Alexandre Vassilievitch Koltchak restera une des figures emblématiques de la résistance au bolchévisme. Auréolé de hauts-faits militaires, il va s’emparer de la Sibérie où il installe son gouvernement. Une lutte héroïque qui va durer de 1918 à 1920. Finalement abandonné par les Alliés, son chemin de croix va brutalement s’arrêter devant un peloton d’exécution. Progressivement les bolchéviques vont reprendre le contrôle du pays qu’ils vont diriger jusqu’en 1991.

« Le monarchisme russe, une mouvance éclectique »

Le grand-duc Cyrille Romanov

Dans le reste de l’Europe, les émigrés russes fondent des mouvements politiques et certains ne seront pas insensibles aux sirènes du nazisme. Avec l’assassinat de la famille impériale en juillet 1918 à Ekaterinbourg, c’est le grand-duc Cyrille Romanov qui est devenu le curateur du trône. Il va tenter de rassembler autour de lui, en dépit de fortes oppositions, ces mouvements à la vie plus ou moins éphémère. L’Union générale des combattants russes dirigée par le général Piotr Wrangel va compter pas moins de 40000 membres et cette organisation (dissoute en 2000) va se faire remarquer durant la Seconde guerre mondiale tant sur le Front de l’Est qu’en Yougoslavie aux côtés des Tchetniks, les royalistes serbes. De quoi inquiéter les soviétiques qui vont mener des actions d’infiltrations des mouvements monarchistes encore présents sur le territoire russe. La plus retentissante sera l’opération « Confiance » (Trust) qui met fin aux activités de l’organisation de combat du général Koutepov, enlevé et assassiné en 1930. 80% des membres du mouvement seront tués lors de combats ou passés par les armes.

Le grand-duc Dimitri Romanov avec les mladorossis

Autre mouvement, les Mladorossis (« Jeunes russes ») dirigé par Alexander Lvovich Kazem-Bek, à l’idéologie éclectique allant du monarchisme au fascisme en passant par le corporatisme ou le bolchévisme et qui sera dissous en 1943 afin de laisser ses membres le choix de rejoindre les volontaires russes partis se battre contre les communistes aux côtés des nazis ou la résistance française (parmi lesquels le prince Wladimir Romanovsky -Krasinsky). Encore faut-il citer le Conseil Monarchique Suprême (qui existe toujours) soutenant les droits au trône de la branche Kirillovitch (avant de rallier après-guerre les Nicolaïevitch) et qui tentera (en vain) de fusionner durant l’Entre-deux-guerres tous les mouvements monarchistes russes disséminés en Europe.

« Avec le retour des Romanov en Russie, l’espoir renaît »

Le grand-duc Wladimir Romanov en 1991 à Saint-Pétersbourg avec son épouse. Archives maison impériale Romanov

A la chute inattendue du communisme en Russie, les partis monarchistes sont parmi les premiers à revenir sur le devant de la scène politique. Les Russes redécouvrent qu’il y a encore des descendants des tsars défunts grâce à la multiplication de conférences sur le sujet, l’aigle bicéphale est hissé sur les frontons de la mairie de Léningrad (redevenue Saint-Pétersbourg). En novembre 1991, 50000 personnes se sont réunies spontanément pour accueillir le prétendant au trône, le grand-duc Wladimir Romanov, né l’année de la révolution. Une revanche de l’Histoire qui nourrit tous les espoirs. En février 1992, il est même reçu par Boris Eltsine, le président de la Fédération de Russie qui est sensible à la cause monarchiste. Des tractations sont entamées dès 1996 entre les Romanov et le Kremlin afin de préparer le prince héritier Georges Romanov, alors âgé de 15 ans, à monter sur le trône.  Selon les accords prévus, il devait intégrer la Nakhimov Naya Academy, école réputée de la Marine nationale, et de le former aux arcanes de la politique de son pays. Le projet ne se fera pas mais la Romanov mania ne s’arrêtera pas ici. Retrouvés, l’identification ADN des restes perdus de Nicolas II et de sa famille (canonisés en 2000) permet au gouvernement d’organiser une cérémonie nationale d’inhumation (1998) qui rassemblera l’ensemble des membres de la maison impériale, toujours divisée.

« La restauration de la monarchie : hier, un projet du Kremlin. Aujourd’hui, plus sur l’agenda »

Konstantin Malofeev, dirigeant du mouvement Aigle à deux têtes. @Tsargrad

Depuis des années, la question du retour de la monarchie en Russie est un sujet récurrent bien que cela ne soit « pas sur l’agenda du Kremlin » comme l’a déclaré, il y a peu, le Président Poutine. Selon un sondage réalisé par Izvestia en 2017, 37% des Russes se déclarent en faveur du retour de la monarchie. Des chiffres qui varient cependant d’un sondage à l’autre mais qui restent stables. Quoiqu’en nette augmentation parmi les jeunes russes qui n’ont pas connu le communisme et qui idéalisent le régime impérial. Conjointement avec l’église orthodoxe, le président de Crimée, Sergei Aksyonov, a d’ailleurs proposé que l’institution royale soit restaurée et proposé d’accueillir les membres de la famille impériale russe qu’il a reçu plus d’une fois.

Le président Vladimir Poutine a réhabilité les Romanov qui ont droit à leurs statues, noms de rues ou d’aéroport. Les tentatives d’incursion en politique des monarchistes n’ont cependant pas eu de réelle influence sur la vie politique du pays, la plupart des tsaristes étant assujettis au pouvoir actuel ou membres de mouvements conservateurs. Il existe de nombreux mouvements monarchistes (certains reconvertis en milices comme le mouvement impérial russe agissant dans le Donbass) mais c’est celui de l’Aigle à deux têtes de l’homme d’affaires et proche du dirigeant russe, Konstantin Malofeev qui s’est récemment imposé dans le milieu monarchiste. Chaque année, son mouvement organise les journées de commémoration de Ekaterinbourg qui rassemble des dizaines de milliers de personnes et forme dans des écoles d’état, des russes censés être les prochains fonctionnaires tsaristes 2.0 de demain.

Frederic de Natal.