Sandrine Rousseau, Anne Hidalgo, Xavier Bertrand, Eric Zemmour…. Rêve souvent inavoué, chacun de nous, aspire à ne plus entendre tel ou tel politicien. Cet appel à la censure, intérieur ou verbalisé, revient de manière cyclique dans le débat démocratique : les exemples de Zemmour ou de Donald Trump aux Etats-Unis sont éloquents. Or, les premiers créateurs connus de la démocratie, les Grecs, possédaient eux-mêmes une procédure d’exclusion de la vie politique : l’ostracisme.

-490 avant Jésus Christ. Bataille de Marathon. Les hoplites athéniens battent les perses, débarqués tout près d’Athènes, et mettent fin à la première guerre médique. Parmi les généraux athéniens, Aristide et Thémistocle fêtent leur victoire. Les deux hommes rentrent dans leur cité, auréolés par leur réussite militaire. Dans la foulée, Aristide est nommé archonte éponyme, sorte de magistrat suprême. Mais progressivement, les deux hommes s’opposent, notamment sur la stratégie militaire. Sous la menace de Thèbes et de Sparte, Thémistocle souhaite créer une flotte militaire puissante, tandis qu’Aristide mise sur l’hoplite athénien. Or ce choix stratégique conduit à un bouleversement de la composition du peuple athénien. Les marins, appartenant à la 4e classe de citoyens et tenus à l’écart de l’armée vont alors revêtir une importance considérable dans la vie de la cité. Cette opposition frontale transforme les deux généraux en ennemis politiques.  Thémistocle décide alors d’enclencher une procédure peu fréquente et radicale : l’ostracisme.

Thémistocle

Il faut remonter quelques années, en -508 avant Jésus Christ. Clisthène entérine des réformes politiques importantes, en donnant un vrai pouvoir au peuple. Clisthène veut empêcher le parti des tyrans de reprendre le pouvoir, après avoir bataillé pour le chasser. L’outil qu’il créé, l’ostracisme, consiste à voter l’exil d’un citoyen athénien pour une période de 10 ans. Pour cela, plus de 6 000 citoyens doivent donner leur accord, soit l’accord d’une très large assemblée de citoyens. Présenté comme la garantie d’un pouvoir démocratique, face à un risque d’autoritarisme ou de pouvoir personnel, l’ostracisme sera bien souvent utilisé au sein des luttes politiques athéniennes. Comme contre Aristide en -483 avant Jésus Christ. Ou, revirement ironique, contre Thémistocle en -473 avant Jésus Christ. Cette arme démocratique, si elle a ses excès, se trouve limité par les difficultés de la mettre en œuvre, et par le recours au nécessaire vote des citoyens. De plus, l’ostracisme ne doit être enclenché uniquement lorsqu’il pèse sur la cité un risque d’accaparement du pouvoir politique par un homme. Enfin, l’ostracisme peut être levé, avant l’expiration des dix ans, par la même procédure.

Une solution radicale qui met en balance deux principes consacrés par la Révolution et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : la liberté d’expression face à la souveraineté du peuple. Eternel débat, n’est-ce pas ?

Jean-Benoît Harel