Le château de Chambord est sans contexte celui qui incarne le mieux le génie de l’architecture française. Symbole Renaissance par excellence du règne de François Ier, il est l’un des plus visité et admiré de France. La Revue Dynastie vous invite à remonter le temps et (re-)découvrir son histoire.
« Si l’on se préoccupe trop de l’achèvement des choses, on n’entreprendrait jamais rien » a dit François Ier de son vivant. Un roi issu de la branche capétienne des Valois à qui on doit la construction de 11 châteaux (même si à sa mort, en 1547, celui de Fontainebleau est encore en chantier). Mais de tous, c’est bien Chambord qui va s’imposer indéniablement comme le plus illustre de son règne et de la Loire. Chambord, tel qu’on le connaît, n’est pourtant pas la première construction du site. Il s’agissait avant tout de la place forte des comtes de Blois au Xe siècle pendant le Haut Moyen-Âge. Ce château fortifié va surtout servir à Thibault VI de Blois de lieu de signatures de chartes en tout genre entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle . Avant de passer entre les mains de la Maison de Châtillon lors du mariage entre Marie d’Avesnes, comtesse de Blois et Hugues Ier de Châtillon. Généalogie oblige, Chambord échoit finalement entre celles des ducs d’Orléans en 1397, lui permettant d’être inclus dans les domaines royaux lorsqu’un de ses représentants devient roi sous le nom de Louis XII en 1498.
Une œuvre de François Ier
Chambord est donc déjà un site historique lorsque François Ier décide d’y construire son château. Situé au cœur des terres marécageuses de la Sologne, il est le seul château royal à être resté intact depuis sa construction. Alfred de Vigny dans son roman Cinq Mars situe le château « à quatre lieues de Blois, à une heure de la Loire, dans une petite vallée fort basse, entre des marais fangeux et un bois de grands chênes, loin de toutes routes ». Monté sur le trône le 1er Janvier 1515 à la mort de Louis XII, il entend faire valoir ses droits sur le trône de Naples. Lors de campagne d’Italie, immortalisée par la célèbre bataille de Marignan en septembre suivant, il va ramener sans ses bagages une idée folle. Celle de surpasser la magnificence architecturale italienne C’est d’abord en 1517, à son retour de Milan, que le roi a l’idée d’une reggia italienne, empruntant l’image du belvédère de Rome, de 400m de long pour 180m de large à Romorantin, la ville d’origine de sa mère, Louise de Savoie. Il souhaite confier le projet à Léonard de Vinci mais le décès du maître en 1519 ne permet pas de lui donner une suite.
Un projet titanesque
Un autre projet titanesque va alors émerger dans l’esprit du roi qui rêve d’éblouir : faire sortir une nouvelle fois Chambord de terre. Ainsi, plus de 220000 tonnes de pierres et plus de 2000 ouvriers vont être nécessaires pour sa construction, environ 22 ans, pour 282 cheminées, 77 escaliers, 32km de clôture, 800 chapiteaux, 440 pièces et 5440 hectares. Les premiers plans ont été attribués à l’architecte italien Dominique de Cortone bien que cela soit sujet à controverse chez les historiens. Il est même possible que Léonard de Vinci ait été impliqué puisque que dans ses carnets existent des croquis montrant des altérations de la figure de l’octogone et du plan en croix du château. il a pu donc être également un des instigateurs des plans. L’historien Jean Guillaume parle d’ailleurs du « succès [de] l’idée de l’influence posthume de Léonard de Vinci sur Chambord » comme l’exceptionnel escalier à double vis. Le château va suivre le modèle du plan centré en croix grecque avec en son centre l’escalier à double révolution. Le donjon est cantonné de 4 tours d’angle et ce n’est qu’en 1526 (au retour de captivité de François Ier) que le donjon sera complété par deux constructions latérales et d’une enceinte.
Chambord passe de mains en mains
Cédric Michon, professeur à l’Université de Rennes II, qualifie le château de « fils du Moyen-Âge français par sa silhouette et ses fortes tours, et de la Renaissance par ses façades, son plan savant et extraordinaire ». Chambord incarne un caractère unique mêlant nostalgie des châteaux, la chevalerie et une architecture innovante où l’omniprésence des initiales et des symboles royaux du roi (le F et la salamandre) restent très importants tant il est impossible de ne pas les remarquer. Cela détonne avec le nombre de nuits que le roi a passé en ses murs : 62 seulement. Cette architecture fait même des envieux en Europe comme le fait remarquer Cédric Michon : la régente des Pays-Bas, Marguerite d’Autriche souhaite avoir main mise sur les plans, Charles Quint démarre un chantier à Grenade et Henri VIII fait sortir de terre le château de Nonsuch (Le « Sanspareil »), la concurrence est en marche. Certain séjournent à Chambord comme Charles Quint. Autorisé à traverser la Loire pour rejoindre l’Espagne, IL y passe une nuit et rentre émerveillé, comme il l’écrit à sa sœur : il n’a « jamais rien vu de plus beau ».
Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, reçoit le domaine en apanage , fait rénover les terrasses, la tour lanterne et termine la construction de la clôture. Louis XIV termine l’aile de la chapelle et l’enceinte en les dotant d’un toit et établi un nouvel appartement dans le donjon. Le roi de Pologne déchu, Stanislas Leszczyński, beau-père de Louis XV, y est invité en 1725. Il entreprend de faire des travaux et termine certains d’entre-eux entamés sous Louis XIV avant de quitter le château en août 1733. Le maréchal de France, Maurice de Saxe reçoit à son tour le château, en récompense de ses faits d’armes, et continue d’y faire des travaux. Enfin, le dernier héritier direct du roi-Soleil, Henri, duc de Bordeaux et comte de Chambord, le reçoit à sa naissance. Il ne vas pas en jouir longtemps. La révolution de 1830 contraint cet enfant à l’exil et il devra gérer son domaine à distance, le sauvant de l’abandon par des rénovations. Le château va être ouvert pour la première fois au public peu de temps après.
Un joyau de résistance artistique
Lors de la Seconde Guerre Mondiale, le château sert de centre de triage et de protection des œuvres des musées nationaux et de certaines collections particulières. Il devient une sorte de musée clandestin où conservateurs, gardiens, habitants, invalides de guerre et résistants tiennent la barre. Lucie Mazauric, membre de l’équipe et historienne de l’art, décrit leur motivation comme « indéfectible ». En effet, dès 1932, lorsque les Nazis gagnent les élections législatives en Allemagne, les Musées Nationaux mettent en place un programme de secours d’urgence des œuvres ainsi que des listes d’œuvres prioritaires qui seront répertoriées, triées et emballées avec soin. L’avenir va leur donner raison. En août 1939, peu de temps avant l’invasion, les œuvres commencent à être envoyées au château dont on interdit désormais l’accès. Ainsi, la Joconde est évacuée du Louvre pour Chambord où elle y restera quelques mois, tout comme Clouet ou Renoir. Les dernières œuvres quittent le musée en décembre 1939. Chambord devient un dépôt permanant des œuvres. Plus de 2000 caisses y sont entreposées en 1940. Le château reste durant tout le conflit un musée de l’ombre où 4000m2 de caisses de trésors dormiront jusqu’à la Libération. Deux épisodes malheureux ont pourtant failli détruire le château et ses trésors cachés à la barbe et au nez des nazis. En effet, en 1944, un avion B-24 américain tombe sur les terrasses du domaine manquant de le détruire. Un incendie éclate le 7 juillet 1945 détruit les combles de la tour sud du donjon avant d’être maîtrisé.
Le château ré-ouvre enfin ses portes le 13 avril 1946 avec pour seule collection les plans-reliefs. La campagne et le plan de retour des œuvres dans leurs collections et musées d’origines vont durer de 1945 à 1948. Chambord a ainsi servi de bouclier et d’asile pour ces dernières où leurs protecteurs ont contribué à « une aventure avant tout humaine qui aura permis de sauver un peu de la beauté du monde », écrit Rose Valland dans le Front de l’Art en 1961. A ce jour, Chambord est un des sites touristiques les plus visités de France. L’année 2021 a marqué l’anniversaire des 200 ans de l’ouverture du domaine au public. Son inscription en 1981 au patrimoine mondial de l’UNESCO illustre les propos d’Alfred de Vigny décrivant Chambord : « un château magique » qui continue de nous faire rêver et de nous transmettre une histoire… celle de la France.
Sasha Lechauve