Depuis que le quotidien « Der Spiegel » a révélé que les héritiers du Kaiser Guillaume II négociaient secrètement la restitution de leurs biens nationalisés en 1945 avec le gouvernement de Berlin, la question monarchique agite l’Allemagne. Un pays qui jette sur les Hohenzollern un regard à la fois passionné et méprisant. Abolie au lendemain de la fin de la Première guerre mondiale, ils sont encore des milliers de nostalgiques à espérer le retour de l’institution impériale à l’origine de l’unité allemande.
Les monarchistes, force parlementaire de poids
C’est un peu par surprise que l’Allemagne s’est retrouvée du jour au lendemain en république. En octobre 1918, la situation est confuse. Une partie de l’état-major allemand veut poursuivre la lutte alors que l’armée ne cesse de reculer, d’autres pressent le Kaiser Guillaume II de signer un armistice et rendre le régime plus parlementaire afin de sauver la monarchie au bord de l’implosion dans un pays épuisé par quatre ans de conflit mondial. Une fièvre révolutionnaire secoue l’empire qui est vite acculé. La mutinerie des marins de Kiel va donner le ton d’une pièce tragique qui va s’achever avec le départ de Guillaume II en novembre suivant. Contrairement à ce que l’on pense, les allemands de cette époque demeurent attachés à l’ordre établi et c’est bien parce que les spartakistes (communistes) tentent de proclamer une république des conseils à Berlin et que les monarchistes restent passifs face au désordre ambiant que le député social-démocrate Philipp Scheideman en profite pour proclamer la République de Weimar depuis la fenêtre de son bureau.
Il faut peu de temps aux mouvement monarchistes pour sortir de leur torpeur. Le Parti du peuple allemand (DVP) et le Parti national allemand populaire (DNVP) vont s’imposer peu à peu sur la scène politique allemande, humiliée par le traité de Versailles qui possède déjà les germes en lui du prochain conflit mondial. On espère que la fuite de Guillaume II aux Pays-Bas sera de courte durée et on n’hésite pas à soutenir tout militaire qui souhaite renverser le régime. Le putsch de Wolfgang Kapp va rester dans les annales de l’histoire allemande de l’Entre-deux-guerres. Six mille Corps francs (Freikorps) investissent Berlin en mars 1920 et occupent tous les quartiers gouvernementaux de la capitale. On hisse le drapeau impérial, on crie « Vive l’empereur ». Le gouvernement, en fuite, envoie la Reichswehr mais celle-ci refuse de tirer sur ses camarades. Acculée, réfugiée à Dresde, la République finit par mandater les milices communistes et socialistes pour mater cette rébellion. Faute de soutiens de la bourgeoisie, trop attentiste, la tentative de restauration échoue après cinq jours de batailles rangées dans les rues de la capitale. C’est pourtant loin d’être un échec, les monarchistes vont s’imposer aux élections de 1924. Sur 472 sièges, le DVP envoie 45 élus et le DNVP 95 députés. C’est un raz-de-marée. Les monarchistes représentent alors (si on associe les monarchistes bavarois du BVP et leurs 16 élus) la première force d’opposition (avec le Zentrum) face aux sociaux-démocrates. Assez pour que l’on envisage la restauration du système impérial. Malgré tout, les divisions internes de la droite monarchiste profitent au parti national-socialiste d’Adolf Hitler qui ne cesse de gagner du terrain.
Entre Hitler et les Hohenzollern, une relation ambigüe
La relation entretenue entre les nazis et les Hohenzollern va demeurer ambigüe. Si certains vont s’engager (même se faire élire député sous les couleurs hitlériennes), d’autres vont demeurer dubitatifs et inquiets sur l’avenir qui se dessine. Le Kronprinz Guillaume (1882-1952) pense manipuler le futur Führer en le ralliant, espérant qu’il restaurera la monarchie une fois au pouvoir. Ses apparitions en uniforme nazi aux côtés de Goering ou Hitler font sensation. Depuis son lieu d’exil, Guillaume II ne décolère pas. Entre frustrations et jalousies, le Kaiser ne supporte pas que l’héritier soit mis en avant et s’agace de voir la proximité de sa famille avec les dignitaires nazis. Les mêmes qu’il reçoit pourtant et qui l’entourent d’attention à la grande joie de son épouse, Hermine, qui se rêve déjà en impératrice. Le reste n’est qu’une série d’illusions pour les Hohenzollern. Une compromission qui sera lavée en 1944 lorsque le prince Louis-Ferdinand, petit-fils de l’empereur, participe à l’opération Walkyrie où l’aristocratie était largement surreprésentée dans ce complot qui échoue de peu.
Dissous et incorporé aux diverses unités militaires sous le IIIe Reich, interdit à la Libération, le mouvement monarchiste devra attendre plusieurs décennies avant de se reconstituer. Objet de toutes les courtisaneries dans les années 1980, les Hohenzollern retrouvent peu à peu leur gloire passée au sein d’une Allemagne coupée en deux par l’antagonisme naissant Est/Ouest. On avait même évoqué un référendum sur la question de la monarchie au début de la guerre froide. Un projet avorté lorsque le magazine « Der Spiegel » révèle l’affaire (déjà) et les négociations entre un mouvement monarchiste et la chancellerie (mars 1954). Le prince Louis-Ferdinand de Prusse est populaire. En 1968, son nom est cité pour occuper la place de Président de la République. Plus de 40 % des allemands y sont largement favorables selon les sondages de l’époque et que publie une nouvelle fois « Der Spiegel « dans son édition du 18 novembre 1968. Des associations comme Tradition und Leben (toujours active, créée en 1956) ou le Bund Aufrechter Monarchisten (dissoute en 2014) voient le jour, se fédèrent afin de réintroduire l’idée impériale dans la République fédérale. Des commémorations sont organisées à Doorn où repose Guillaume II (décédé en 1941 à 82 ans). On rapatrie en grandes pompes le corps de Frédéric II le Grand au château de Postdam (1991) peu de temps après la chute du mur de Berlin. Le succès est au rendez-vous. Peut-être trop. Les monarchistes se mêlent aux mouvements nationalistes naissants dont les plus extrêmes reprennent à leur avantage la symbolique impériale. Au grand dam de l’actuel héritier de la couronne.
Retour de l’idée monarchique en Allemagne
En mars 2012, l’arrière-petit-fils du Kaiser, le prince Philippe de Hohenzollern met les pieds dans le plat. Dans une longue interview reprise par les différents médias du pays, le prince réclame la restauration de la monarchie en Allemagne, « synonyme de sauvegarde des traditions et de l’unité du pays ». Volontiers conservateur et pasteur de profession, Philippe de Hohenzollern va jusqu’à critiquer le modèle allemand prôné et défendu par la chancelière Angela Merkel. Le prince Georges-Frédéric de Prusse (45 ans), qui est le légitime prétendant au trône, est un officier de réserve de la Bundeswehr. Il ne réagira pas aux paroles du prince. Son « avènement » avait été contesté par une partie de sa famille avant qu’un tribunal ne finisse enfin par statuer en sa faveur en 2005 au prix d’un long procès.
Son mariage va être largement médiatisé en 2011. Des milliers de citoyens allemands sont rivés devant leur écran pour suivre cette cérémonie inédite dans le pays et qui accouchera de quatre enfants. Le Gotha européen s’est déplacé, des membres du gouvernement également. Avec un prince qui a récupéré la majeure de ses propriétés confisquées par les soviétiques, la machine médiatique n’a pas tardé à s’emballer. Un mouvement de jeunesse monarchiste tente même de se constituer avec peu de succès cependant. Un blog sera chargé d’expliquer aux allemands les bienfaits de la monarchie (2009). Mais alors l’idée fait-elle recette quand on sait que le prince héritier déclarait récemment (juillet 2017) ne pas être intéressé par le trône mais vouloir uniquement rester un simple gardien de la mémoire historique de l’Allemagne.
Un allemand sur cinq en faveur de la restauration de la monarchie
Un allemand sur cinq (soit 17 % en 2015 contre 13 % en 2010 pour un sondage identique) est actuellement favorable au retour de la monarchie, notamment parmi les 18-24 ans qui sont plus de 33 % à plébisciter l’idée de restauration impériale (2013). Pour Erich Postleb, 23 ans, interrogé par le blog « La sentinelle légitimiste », « la monarchie est le rempart, seule solution viable » face à « l’omniprésence de Bruxelles dans les affaires de l’Etat allemand » dit le jeune homme qui a adhéré à l’AfD (Alternative für Deutschland). L’idée monarchique serait donc en recrudescence en dépit d’un manque avéré de soutien politique. Et de rappeler que l’on dépasse aujourd’hui les 20 % (sondage Forsa en 2018) d’adhésion au retour des Hohenzollern.
Et si on retrouve quelques monarchistes et grands noms de l’aristocratie au sein de l’AfD (3e parti d’opposition au Bundestag en 2020), aucun de ses cadres dirigeants ne s’est réellement prononcé en sa faveur comme le faisait remarquer le Frankfurter Allgemeine Zeitung dans son édition datée du 19 mai. Un vote monarchiste toujours acquis à la droite conservatrice de la CDU-CSU (mais qui se veut assez eurosceptique) avec laquelle, le prince Georges-Frédéric de Prusse n’a pas hésité à apporter son soutien, en s’affichant avec la chancelière Merkel. Les extrêmes ? Il ne veut pas en entendre parler et les condamne publiquement ; Sous la porte de Brandebourg à Berlin, dans les manifestations contre l’Europe, on a ressorti les drapeaux de l’empire défunt aux bandes horizontales noires blanches rouges. Le retour de la monarchie est-il pour demain s’inquiète la presse teutonne ? « Non » répond le « Die Stuttgarter » qui rappelle que 72 % des Allemands se prononcent toujours contre tout retour d’un Kaiser dans le pays de Goethe.
Frederic de Natal