C’est la nuit de toutes les horreurs, l’ikiza en kirundi. Le 29 avril 1972, Bujumbura est sous le feu d’une rébellion déclenchée par les hutus. Tout ce qui est tutsi, l’ethnie minoritaire au pouvoir, est irrémédiablement et méthodiquement exécuté dans tout le pays. Parmi les nombreuses victimes qui gisent sur le sol, le roi Ntare V, dernier monarque constitutionnel du Burundi, assassiné dans d’étranges conditions. Son corps n’a jamais été retrouvé et l’Afrique des Grands Lacs attend toujours de lui rendre un dernier hommage.

C’est au XVIIème siècle dans un continent peu exploré par les européens, objet de tous les fantasmes des lettrés de ce siècle, que la dynastie des Ntare va s’établir près des Grands Lacs, principale source du Nil. Au sein d’un royaume ganwa hiérarchisé, parlant la même langue, deux peuples vont cohabiter, les tutsis et les hutus, sans que rien ne puisse réellement les distinguer. La colonisation européenne va bientôt perturber cet équilibre afin d’accaparer les richesses de cobalt et de cuivre de cette monarchie. En racialisant son histoire et ses classes sociales, les allemands puis les belges vont jeter ces deux ethnies les unes contre les autres afin de mieux contrôler cette partie de l’Afrique. Les Grands Lacs s’embrasent très rapidement sous les yeux du mwami (roi) Mwambutsa IV incapable de stopper les démons de la haine qui s’installent progressivement. Une royauté devenue le jouet de Bruxelles. Tout va alors très vite s’enchaîner.

Le roi Ntare V lors de son couronnement @Dynastie

Fin de la monarchie

Dirigé par le prince Louis Rwagosore, l’Union pour le progrès national (UPRONA) remporte les élections législatives de 1961. Le fils du roi n’aura pas le temps d’occuper son poste. Un mois après sa victoire, en novembre de la même année, il est la victime d’un complot mêlant des colons belges et des membres d’une branche rivale de la maison royale. L’indépendance proclamée, le Burundi sombre dans un chaos ponctué de tentatives de coups d’État et de massacres ethniques. L’année 1965 est particulièrement violente et le pays se couvre d’un lourd manteau tâché de sang. Incapable de résorber la situation, le souverain décide pourtant en juillet 1966 de partir en villégiature en Suisse. C’est ici qu’il apprend sa destitution lors d’un putsch organisé par son second fils de 19 ans, le prince Charles Nidyeze Ntare V, et le capitaine Michel Micombero. Le nouveau Mwami ne profitera pas plus de ce trône devenu fragile.  En novembre suivant, Micombero décide de se passer de Ntare V. Ce dernier est absent de la capitale, invité à la fête d’anniversaire du président zaïrois, Mobutu Sese Seko, à Kinshasa. Il doit s’enfuir en Allemagne, passe par la France où il rencontre Charles de Gaulle, puis la Belgique.  Un exil qui pèse sur les épaules du jeune monarque pressé de revenir au Burundi sauver son pays d’une dictature clanique.

De gauche à droite : Le roi Mwambutsa IV, le roi Ntare V, le capitaine Micombero@dynastie

L’enlèvement du roi Ntare V

En mars 1972, il débarque en Ouganda, à Kampala, reçu avec tous les honneurs par le président Idi Amin Dada. Dans sa suite, des politiciens qui sont tous acquis à sa cause, prêts à soulever le peuple. Le régime est impopulaire, les humeurs de Micombero sont incontrôlables, principalement dues à son addiction à l’alcool. Ntare V est venu réclamer un appui militaire au dirigeant ougandais, lui-même arrivé au pouvoir par le biais d’un putsch, tombeur de la monarchie bougandaise.  Fidèle à lui-même, Idi Amin Dada joue double-jeu et a averti Bujumbura de la présence du roi. Le gouvernement burundais s’empresse d’envoyer les membres de ses services secrets et son chef de la diplomatie, le 21 mars. Un complot est mis en place et il va aboutir à l’enlèvement du mwami huit jours plus tard. Croyant qu’on allait le mettre en sécurité, Ntare a la surprise de découvrir qu’il a été amené dans son ancienne capitale.

Le mwami est assassiné 

Assigné à résidence, les burundais apprennent que le roi a été capturé « alors qu’il tentait de s’emparer du pouvoir avec l’aide de mercenaires blancs ». Les tensions politiques et ethniques sont palpables. Limogé le 29 avril 1972, le gouvernement a passé la veille à disserter sur le sort du monarque, certains ministres demandant qu’il soit exécuté, d’autres refusant, craignant de graves répercussions. Le soir, entre 20 et 21 heures, Bujumbura raisonne de tirs. Les hutus se sont rebellés et ont investi la ville avec l’aide d’anciens rebelles mulelistes venus du Zaïre voisin. Le massacre des tutsis a commencé. Sortis de leurs maisons, on les tue à la kalachnikov et à la machette, tout comme dans d’autres villages du pays. A 22 heures 45, un commando fait irruption dans les dépendances du palais de Gitega où Ntare V est assigné. Le lieutenant Nyabenda Charles dirige l’unité militaire, aidé par les milices de la Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore (JNR), les plus radicaux de l’UPRONA. Sorti brutalement de son lit, le monarque est sorti du palais sans qu’on lui explique pourquoi. Il est soudain saisi de terreur lorsqu’il s’aperçoit qu’un peloton d’exécution les accompagne. Il implore ses bourreaux de l’épargner. Un claquement de doigt, le signal est donné. Trois baïonnettes lui transpercent le corps. Gisant sur le sol, le roi n’est pas mort, il agonise, le sang s’échappant de sa bouche. Vingt minutes vont s’écouler avant le coup fatal. Trois balles lui sont tirées dans le front dessinant une étoile, le grade de son assassin. Il est 23 heures 15  (ou minuit et demi selon une autre source) et la monarchie burundaise vient de rendre son dernier soupir.

Le roi Ntare V peu de temps avant son exécution. L »équipe de recherche du professeur Cassiman @Dynastie

La République autorise les recherches du corps du roi Ntare V

Officiellement, le mwami est mort, victime d’un tir durant sa fuite et on affirmera même qu’il a tenté de prendre le contrôle du pays avec ses amis hutus. Radio Publique Africaine (RPA) a publié un dossier, un enregistrement de deux heures où on peut entendre la voix en français du roi,  à charge contre le gouvernement de Micombero (renversé en 1976). Tout porte à croire selon la RPA que ce sont bien les éléments extrémistes  du gouvernement qui ont organisé l’exécution du roi bien que des questions demeurent sans réponses comme le nom des vrais commanditaires. Le massacre va se poursuivre jusqu’en août suivant, la rébellion réprimée, l’armée purgée de ses éléments progressistes, quel que soit l’ethnie, les arrestations se multiplient, parfois sur de simples dénonciations ou par vengeance personnelle. Plus de 200 000 personnes tuées en quelques semaines et dans l’indifférence internationale, toutes enterrées dans des fausses communes. Parmi elles, le corps du roi sans que l’on sache où il a été inhumé. Un mystère qui n’a jamais été résolu et que le gouvernement du président Pierre Nkurunziza a tenté de faire retrouver à la veille des festivités du cinquantième anniversaire de l’indépendance. Le but, réconcilier les burundais avec leur histoire, encore marquée par un autre génocide entre 1993 et 1994.

Contacté en 2011, le professeur Jean-Jacques Cassiman, responsable du Centre de génétique humain de l’Université catholique de Louvain, a accepté de conduire l’équipe chargée de repérer les restes du mwami et d’effectuer des analyses génétiques grâce à un prélèvement ADN avec les membres survivants de la maison royale. Ce n’est pas un inconnu, il a participé à la résolution du mystère Louis XVII en France. Il est accompagné d’une délégation de la police fédérale Belge ainsi qu’une équipe de journalistes, tous chargés de suivre l’évolution de cette affaire qui divise profondément la dynastie royale. La princesse Rosa-Paula Iribagiza, députée du parti au pouvoir, a donné son accord pour que les restes du mwami servent pour les célébrations, ce que refuse catégoriquement la princesse Esther Kamatari qui accuse le président de se servir de Ntare V à des fins personnelles. En filigrane de ce dossier, les perspectives de restauration de la monarchie,  les deux princesses étant chacune officiellement prétendantes au trône. Cassiman prévient pourtant Bujumbura. « Il y a un grand risque que les résultats ne soient pas positifs, que l’on ne trouve pas ces restes et que l’on n’arrive pas à l’identifier » explique t-il au quotidien Iwacu.

Ntare V avec le maréchal Mobutu en 1966

Le mystère demeure 

« J’étais incarcéré à la prison de Gitega. Les militaires du 3ème bataillon commando nous ont alors intimé l’ordre d’enterrer sa majesté à Tankoma en nous exigeant de ne rien révéler » affirme alors Emmanuel Sinzobahorana, un témoin de cette époque. L’équipe de recherches décide de se consacrer sur un espace clôturé de 12 mètres sur 12, près d’une route située à quelques encablures de Gitega.  « De nombreux témoignages nous ont permis de localiser où serait enterré le roi Ntare V » déclare avec optimisme Patricia Vanderlinden, inspectrice principale de la police fédérale. L’affaire est médiatisée, le gouvernement multiplie les conférences de presse. « Notre travail a suscité une réaction positive de la population. Plusieurs témoins se sont succédé et cela montre qu’on va finalement retrouver Ntare V » assure même le professeur Cassiman lors d’une interview en mai 2013.  Ce sera pourtant un échec et les os retrouvés ne coïncideront pas avec l’ADN royal, obligeant finalement toute l’équipe à repartir à Bruxelles, laissant un gouvernement sur sa faim et sans son mwami.

Aujourd’hui, les conditions de la mort et le lieu d’inhumation du roi Ntare V demeurent encore un mystère. Si la nouvelle constitution prévoit la possibilité de rétablir la monarchie, sans le corps du dernier monarque burundais, peu de chances pour que ce pays des Grands Lacs puisse véritablement se réconcilier et faire le deuil de son histoire tumultueuse.

Frederic de Natal