Indissociable de l’Histoire du Premier Empire, c’est un duché qui vient de draper son prestigieux blason d’un voile noir. Âgée de 83 ans, la duchesse douairière Christina Fouché d’Otrante s’est éteinte le 9 août 2022. Mère de l’actuel duc d’Otrante, un titre qui doit son existence à Napoléon Ier et dont le premier détenteur fut Joseph Fouché, son ministre de la Police. La Revue Dynastie revient sur cette dynastie exilée en Suède, nostalgique du Premier Empire et au cœur d’une controverse nobiliaire.
Doté d’un sang-froid remarquable et d’un aplomb peu égalé dans l’Histoire de France, Joseph Fouché était aussi fidèle qu’infidèle en amitié. Rien ne prédestinait pourtant ce Nantais de naissance à son extraordinaire destin. Ses origines sont modestes. Né le 21 mai 1759, il est le fils de Marie-Adélaïde Croizet (1720-1793) et de Joseph Fouché père (1719-1711). C’est la mer qui prédomine dans cette famille bretonne. Du côté maternel, on fabrique des poulies pour les navires, du côté paternel, on est marin avec des notions de charpenterie. Une famille qui va connaître une ascension sociale grâce au commerce triangulaire. Marin sur un brick négrier, son père accumule des revenus qui vont lui permettre d’acheter une plantation à Saint-Domingue, dans la région de Léogane. Le jeune Joseph découvre alors les délices des tropiques. Une vie qui s’achèvera brutalement avec la mort de son père alors qu’il n’a que 12 ans. Il rêve de suivre les pas de son géniteur, mais son état de santé ne permet pas à l’adolescent de réaliser une carrière de marin.
Fouché, un révolutionnaire zélé
Sa famille décide de le faire entrer au séminaire de l’Oratoire de Nantes dont il ressort athée. Joseph Fouché se sent imprégné par l’esprit des Lumières. Bon professeur de Sciences, il voyage au gré de ses affections. L’Histoire est en marche. C’est à Arras, où il officie, qu’il va rencontrer Maximilien de Robespierre en 1788. La France s’agite, la Révolution française ne va pas tarder à éclater. Il adhère à la loge Sophie-Madeleine-Reine de Suède, du nom de cette souveraine nordique, mère sulfureuse d’un souverain de la dynastie Vasa. Il restera toute sa vie fidèle aux principes de la franc-maçonnerie et va mettre ses compétences au service de l’anti-monarchisme dont il est un chantre convaincu. Député Girondin de la Convention, pour Nantes, élu en 1792, il est un de ceux qui condamnent à mort Louis XVI. Son amitié pour Robespierre le fait progressivement basculer vers les bancs des Montagnards qui ont rapidement compris quel intérêt il pouvait tirer de ce Breton républicain. Envoyé dans l’Ouest de la France, Fouché est un zélé révolutionnaire qui va mettre en place une politique efficace de déchristianisation, bien au-delà de ce qui est attendu par ses amis. C’est encore lui que l’on retrouve lors de l’insurrection de Lyon et qui y gagne le surnom de « mitrailleur » après avoir ordonné l’exécution en masse des habitants de la capitale des Gaules (1793-1794). Quitte à effrayer ses propres amis à la Convention, suspecté également de s’enrichir illégalement et d’agir dans les intérêts des esclavagistes.
Un ministre de la Police ambitieux
Sentant le souffle de la guillotine s’approcher trop près de son cou, il se rallie au complot qui fait chuter l’incorruptible Robespierre et son régime de Terreur en 1794. En dépit de la protection dont il bénéficie de la part du Directeur Barras et bien qu’il soit nommé en République Cisalpine (Italie), Fouché entreprend une courte traversée du désert. Nommé à la tête du ministère de la Police en juillet 1799, il comprend tout l’intérêt qu’il a de suivre l’aventure du général Bonaparte. Après l’avoir rencontré et lui avoir promis qu’il n’entreprendrait rien contre lui, il laisse le futur empereur s’emparer du pouvoir 4 mois plus tard, conforté à son poste par un Napoléon devenu Premier Consul. Opportuniste, cynique, manipulateur, Fouché est aussi un brillant administrateur et le père de la police moderne qu’il réorganise avec efficacité. Diverses affaires vont le compromettre, mais il va toujours réussir à convaincre Bonaparte du bien-fondé de son innocence. Un Consul loin d’être dupe et qui s’inquiète de tant de pouvoirs concentrés entre les mains tachées de sang d’un homme qui va faire fusiller le duc d’Enghien afin de protéger certains de ses amis jacobins, compromis dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise en 1800.
Entre fidélité et infidélité à l’Empereur
Son ministère supprimé en 1802, il retrouve grâce aux yeux de Napoléon deux ans plus tard. Sénateur, comte d’Empire puis duc d’Otrante en 1809, en raison de sa gestion de l’État durant les campagnes de Napoléon Ier, il entre en rivalité avec un autre grand personnage de l’épopée impériale. Charles-Maurice de Talleyrand soupçonne Fouché de double jeu, de vouloir sa place, de comploter. Ironie de l’Histoire, les deux hommes, qui ont fait leur carrière grâce à la Révolution française vont se retrouver associés à une tentative de négociation séparée avec le Royaume-Uni. Lui, qui fut un anti-royaliste acharné, va devenir un royaliste convaincu sans ne rien laisser transparaître de ses nouvelles convictions. Entre deux disgrâces et retours, il est parmi ceux qui donneront le coup de grâce à Napoléon en 1814 en offrant la lieutenance-générale au comte d’Artois, futur Charles X et frère de Louis XVI. Le reste de sa vie est synonyme d’ambiguïtés à tous les étages. Royaliste, républicain, bonapartiste, il retrouve étonnamment un rôle de ministre de la Police durant les Cent-Jours (mars-juin 1815). Il va pourtant payer cher son ancienne attitude durant la période révolutionnaire.
Un duché à la titulature contestée
Bien que son titre soit reconnu par la Restauration, qu’il ait été conservé encore quelques mois à son poste, le roi Louis XVIII comme les ultra-royalistes n’ont pas oublié son vote régicide. Le 12 janvier 1816, il est prié de quitter le royaume avec sa famille pour ne plus revenir en France. C’est d’ailleurs ici que commence la controverse qui entoure le duché d’Otrante. Frappé de nullité et ayant perdu sa nationalité française, ses descendants ne devraient plus pouvoir prétendre à ce titre comme le rappelle le Catalogue de la noblesse, mais que contredit l’Almanach du Gotha. D’autant plus que la dynastie va faire allégeance aux ducs autrichiens de Rohan-Chabot puis à une autre maison royale, celle des Bernadotte de Suède. Aujourd’hui encore les généalogistes et spécialistes de l’héraldique s’affrontent sur ce sujet qui n’a pas trouvé de consensus. Fin de parcours en 1875 à Trieste. Parmi ceux qui accompagnent son dernier soupir, le prince Jérôme Bonaparte, ancêtre de l’actuel prétendant au trône impérial de France. Il va fidèlement appliquer les dernières volontés de Fouché qui lui demande de brûler une partie de ses documents, certains compromettants.
Otrante, le duché le plus suédois de la France napoléonienne
Issu de son mariage avec Bonne-Jeanne Coiquaud (1763-1812), Fouché a eu 5 enfants. Joseph Liberté (1796-1862), second duc d’Otrante, n’a pas laissé une réelle empreinte dans l’histoire de sa famille. Il ne revendique pas son titre lui préférant celui de comte. Son mariage avec la fille du ministre du Commerce de Napoléon Ier, la comtesse de Sussy, ne sera pas fructueux et finira par un divorce. Connu pour son étrange personnalité, mais aussi comme un homme érudit, généreux et gentil, il fut, toute sa vie, accablé par l’héritage politique paternel dont il était le dépositaire. Revenu à Paris, il prit soin de se tenir loin des affaires du Second Empire. Sans enfants, c’est son frère Paul-Athanase Fouché (1801-1886) qui reprend également le titre de comte d’Otrante. C’est en Suède qu’il va faire carrière, comme gentilhomme de la Chambre et Grand Veneur du roi Oscar Ier. Tant et si bien que le duché d’Otrante fut ajouté au calendrier de la noblesse suédoise. Passionné de musique d’opéra, celui qui doit une partie de son prénom à un évêque d’Alexandrie du IVe siècle, choix de Fouché pour symboliser le Concordat signé entre le Vatican et le Consulat, fera don en 1858 à l’Académie royale de musique de Stockholm de plus de 200 partitions rarissimes. Trois mariages, celui avec la baronne Adélaïde (ou Amélie) von Stedingk sera le plus prolifique avec deux enfants.
Une dynastie européenne admirative de l’Empire
Gustave Fouché d’Otrante (1840-1910) est le premier membre de cette maison à reprendre le titre de duc. En poste au sein des écuries royales de 1867 à 1890, il devient le premier maître de l’écurie de la cour et devient par mariage avec la baronne Augusta Bonde, un cousin du roi d’Angleterre. La vie de la Maison Fouché d’Otrante se confond dès lors avec celle de la cour royale de Suède. Son fils Charles-Louis Fouché d’Otrante (1877-1950) reprit la charge de son père, très intime avec le roi Gustave V et fit un mariage tout aussi prestigieux, le faisant cousiner avec d’autres maisons princières telle que celle des Bade. C’est Charles-Louis Fouché d’Otrante, son petit-fils de 36 ans, qui est l’actuel titulaire du duché. Le descendant du ministre de la Police de Napoléon est devenu en 1995 le gardien de la mémoire de son ancêtre mais il n’a plus rien de Français. Il a bien fait quelques études en France, à l’American University, mais préfère plus volontiers le suédois ou l’anglais à la langue de Voltaire. Il vit au château d’Elghammar, un domaine de 2000 hectares près de Stockholm, sans ostentations. Aucune armée de domestiques, il gère lui-même l’exploitation agricole et forestière dont les revenus servent à entretenir le château familial.
Il n’ignore rien de l’histoire de Joseph Fouché. « Je suis fier de ma famille. Du côté Fouché comme du côté von Stedingk, mes ancêtres ont fait de grandes choses » affirmait-il en 2015 au journal Le Figaro venu l’interviewer. « Napoléon a changé la face du monde. Il a bouleversé l’Europe, ébranlé les vieilles monarchies, imposé partout une administration efficace. C’était un petit Corse venu de nulle part qui a dominé l’Europe. Avec son armée, son sens de l’Etat, il a mis la méritocratie au pouvoir » déclare le duc d’Otrante qui ne cache pas une certaine nostalgie de l’Empire. Pour autant, il ne sortira pas le sabre pour le restaurer. Il est européen, la France lui semble loin même s’il ne dédaigne pas une bonne baguette et du camembert de temps en temps.
Frederic de Natal