Son visage s’affiche partout depuis 1952. Billets de banques, pièces de monnaies, journaux, timbres .., la reine Elizabeth II incarne la permanence d’une monarchie solidement ancrée dans le cœur des britanniques. En dépit d’une forte popularité, il existe pourtant un mouvement qui réclame la fin de l’institution royale, accusant la fille du roi George VI de n’être qu’une « potiche » ou « de ne servir à rien ». Souveraine constitutionnelle, la « Queen » jouit pourtant d’une influence et de regalia insoupçonnés que la Revue Dynastie vous propose de découvrir.
La reine Elizabeth II représente la quintessence même de la monarchie. Son attitude réservée, sa constance face à toutes les adversités, ses tenues chatoyantes, ont fait de cette souveraine, une véritable icône mondiale et culturelle. A 96 ans, elle jouit toujours d’une forte popularité (70% selon le dernier sondage en date). Pourtant, parmi ses sujets, une minorité d’entre eux soutient l’idée qu’elle ne joue aucun rôle majeur dans la gestion de l’état monarchique, accusant la famille royale « d’oisiveté », de n’être là que pour « couper les rubans » ou de représenter un système qui coûte cher aux britanniques.
D’après la constitution du Royaume-Uni (en réalité, un ensemble de règles constitutionnelles non codifiées qui trouvent sa source dans la Magna Carta (charte) imposée au XIIIème siècle et l’Habeas Corpus adopté au cours du XVIIème siècle), le pouvoir législatif est entre les mains des deux chambres du Parlement (Lords et Communes) et le pouvoir exécutif exercé par le Premier ministre, élu par le bais d’un vote au suffrage universel. L’influence de la reine Elizabeth ne se limite pourtant pas à la promotion d’organismes de bienfaisance, à des discours ou incarner la fierté nationale. Elle a une véritable autorité gouvernementale. Si elle reste le chef des armées (elle est la seule à pouvoir déclarer la guerre à un autre pays) et le chef de l’Église anglicane (elle nomme les évêques et archevêques sur la recommandation du Premier ministre et ouvre le Synode quinquennal de l’Eglise d’Angleterre , institution séparée de Rome depuis 1534), elle peut « s’opposer à des lois, accepter ou refuser la dissolution du parlement » comme nous le rappelle le magazine Le Point dans une de ses éditions de 2012. Un pouvoir législatif qui a été récemment renforcé en mars dernier puisque la Loi sur les parlements a été abrogée et modifiée afin d’accroître les pouvoirs constitutionnels du monarque. C’est d’ailleurs la signature royale – royal assent – qui valide tout projet de loi voté par le parlement.
Le droit « d’inviter » qui elle veut à former un gouvernement
Jusqu’à présent, la « Queen » n’a jamais tenté de bloquer la moindre loi, y compris celles qui ont pu la faire crisper à titre personnel tout comme ses prédécesseurs avant elle. A quelques exceptions près : le roi George V avait fait part de son opposition au vote de la loi reconnaissant l’indépendance de l’Irlande du Sud avant de signer la loi de séparation des états. La reine Elizabeth II entend rester impartiale en toute circonstance, au-dessus de toute querelle politicienne. « Cette position d’arbitre et de conseiller préserve la monarchie des turbulences politiques. Elle renforce son image de garante des institutions et des traditions – très appréciées en Grande-Bretagne -, faisant de la reine le symbole de l’unité britannique. Il s’agit là de son rôle sans doute le plus important. La reine, c’est l’Angleterre, voilà tout : elle incarne le rayonnement et le prestige de la Grande-Bretagne aux yeux du monde » explique d’ailleurs à ce sujet le journaliste Marc Fourmy. En soixante-dix ans de règne, Elizabeth II a connu une quinzaine de Premier ministres avec lesquels elle a collaboré étroitement et qu’elle rencontre régulièrement, sans témoins. Les plus célèbrent restent Winston Churchill (1952-1955), le héros de la résistance au nazisme avec lequel la reine a eu des liens étroits, et Margaret Thatcher (1979-1990), première femme à occuper ce poste. Peu connu mais Elizabeth II conserve le droit « d’inviter » qui elle veut à former un gouvernement, de facto nommer un chef de gouvernement qui ne serait pas issu du parti majoritaire aux élections.
« Never explain, never complain »
Il existe une sorte de mystique autour d’Elizabeth II, souveraine de la dernière royauté sacrale en Europe, qui a imposé son style et sa figure à travers le monde, comparable à ce que fut celle de Louis XIV en son temps. « Elizabeth II a su accompagner l’évolution de la couronne, de l’institution monarchique, en la maintenant toujours en contact avec les attentes et les évolutions de la société britannique. C’est sans doute l’une des clés de la réussite et de la longévité de son règne, cette capacité à toujours rester en phase avec les attentes de ses compatriotes qui, en retour, lui sont infiniment reconnaissants d’avoir toujours été là et d’avoir surtout et toujours été là pour eux » explique l’écrivaine Isabelle Rivière, spécialiste de la monarchie, à BFM TV. De fait, sa parole est rare mais néanmoins très écoutée, rassemblant des millions de personnes devant leurs écrans de télévision dès lors qu’elle s’adresse à la nation. Chaque noël, elle enregistre un message à l’attention de ses sujets et l’attention des pays du Commonwealth, dont pour certains elle est également la souveraine. Des discours scrutés dans les moindres détails. Si elle ne s’exprime pas publiquement, suivant un credo qu’elle applique depuis 1952,« Never explain, never complain » (Jamais expliquer, ne jamais se plaindre), , elle sait glisser de subtils messages que la presse britannique s’empresse de décortiquer afin de comprendre quelle position a-t-elle pris en filigrane sur tel sujet du moment. A un tel point que la « société britannique vit sous tensions à chaque fois que la reine prend la parole, om chacun entend ce qu’il a envie d’entendre » n’hésite pas à écrire le magazine Diplomatie qui a consacré un dossier entier sur les monarchies en Europe dans son bimensuel de mai-juin 2019.
De nombreux autres privilèges insoupçonnés
Ciment de la nation et atout majeur de l’économie britannique, la reine jouit de nombreux autres privilèges insoupçonnés, parfois assez cocasses. Elle possède par une loi du XIVème siècle, tous les cygnes de la Tamise, les esturgeons, marsouins, dauphins et baleines du royaume (en 2004, un pêcheur gallois qui avait pris un esturgeon de 3 mètres de long a du écrire à Buckingham Palace afin d’avoir le droit de le garder), une machine personnelle de retrait bancaire, elle ne peut ni être arrêtée ni être confrontée à la justice comme tous ses sujets, décide de quand un repas doit prendre fin (y compris lors de réceptions diplomatiques, ce qui ne fut pas sans causer quelques soucis sous le règne de son aïeule Victoria qui mangeait avec une grande rapidité, laissant parfois ses invités sur leur faim) ou encore le droit d’accorder « son royal pardon » sans consulter qui que ce soit (en 2020, apprenant qu’il avait sauvé la vie de citoyens britanniques lors d’une attaque terroriste à Londres, la reine a gracié un criminel condamné à la prison). Si tout est une question de point de vue, voilà de quoi nous forcer à relativement nuancer la maxime bien connue du journaliste Walter Bagehot : « Le souverain règne, mais ne gouverne pas ».
Frederic de Natal