C’est une des familles les plus connues du monde du luxe français, quintessence de l’élégance, du savoir-faire et de la culture du beau si chère à la France. La maison Guerlain, iconique parfumeur, est le fruit du travail d’une dynastie qui lui a donné son nom. Plusieurs générations de « nez » se sont succédé au service d’un idéal, la perfection des fragrances.

Tout commence en 1828, lorsque Pierre-François Guerlain ouvre au 228 de la rue de Rivoli au rez-de-chaussée de l’hôtel Meurice sa première boutique, ornée de sa devise : « Faites de bons produits, ne trichez jamais sur la qualité, ayez des idées simples et appliquez-les scrupuleusement ». Le début d’une aventure qui se poursuit encore aujourd’hui. Il est né en 1798 au milieu de toutes les senteurs du monde. Fils d’un marchand d’épices, il a grandi à Abbeville (Somme) et fait rapidement preuve d’un esprit d’indépendance qui l’amène à quitter le cocon familial pour Paris où il trouve un poste de commis-marchand à la Maison Briard spécialisée en parfumerie. Le coup de foudre pour Pierre-François Guerlain. Par la suite, il entrera au service de la société Dissey et Piver, autre parfumerie réputée.

Aimé Guerlain (gauche) et Pierre Guerlain (droite) @dynastie

Guerlain, Parfumeur des monarques

A partir de 1836, il commercialise l’un des premiers rouges à lèvre baptisé l’Automatisme. Il se diversifie rapidement et propose à ses clientes des fards, des crèmes, des eaux de toilettes qui feront sa réputation. Pierre-François attire immédiatement une clientèle essentiellement issue de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie parisienne du XIXème siècle. Il la fidélise en personnalisant les eaux de toilettes selon la personnalité des clients. Guerlain a même l’idée de génie de de développer des flacons griffés Baccarat qui rendent ses produits uniques et leur donnent une dimension luxueuse.  En 1853, c’est la consécration. Pierre-François Guerlain crée une eau de Cologne impériale pour l’Impératrice Eugénie, l’épouse de Napoléon III. Le précieux liquide est vendu dans un flacon orné de 69 abeilles symbolisant l’Empire. Grâce à cette création, Guerlain obtient le titre très convoité de « Parfumeur de sa Majesté ». Et de tous les monarques d’Europe. La Reine Victoria, la célèbre Sissi, le roi des Belges et bien d’autres feront appels à ses talents et lui demandent de leur confectionner des produits uniques.

À la suite du succès de son eau de Cologne Impériale, Guerlain adopte l’abeille comme emblème, toujours utilisé par la célèbre Maison. Ce succès fait de Guerlain un symbole du luxe, du savoir-faire et de l’élégance française admiré partout dans le Monde. A la mort de Pierre-François en 1864, ses fils Aimé et Gabriel prennent la suite. Le premier comme créateur, le second comme gestionnaire. Ce fonctionnement par duo créateur/gestionnaire sera l’une des marques de la famille Guerlain. Les fils développent et perpétuent le succès de la Maison Guerlain. Ils créent des fragrances et des onguents devenus iconiques, quitte à faire scandale. S’ils sont les premiers à utiliser des produits de synthèse dans leurs différentes compositions, il utilise aussi à cette époque comme fragrance, les glandes anales de la civette, un petit félin, choquant la gent féminine qui ne se prive pourtant pas d’acheter ce parfum particulier.

Le « nez » le plus connu de la maison Guerlain

Ils décident de de passer le relais en 1906 à Jaques Guerlain, fils de Gabriel. Âgé de 32 ans, il a été formé à bonne école, par son oncle Aimé, et a déjà fait ses preuves sous l’œil admiratif de sa famille. Il va devenir le « nez » le plus connu de la maison Guerlain (il a créé une fragrance pour Sarah Bernhardt) et connait son premier succès commercial  après la naissance de son premier fils Jean-Jacques. Marié à une protestante, Andrée Bouffet, fille d’un haut-fonctionnaire, ce mariage lui vaut d’ailleurs quelques animosités de la part de l’église catholique (on évoque même une excommunication d’après Ulrik Thomsen qui lui a consacré une biographie). Loin des commérages, il se réfugie dans son laboratoire et continue de créer ses parfums aux senteurs orientales. C’est un esthète, un collectionneur. Porcelaines de Nevers et de Rouen, il achète des Monet, des Manet, des Goya et une multitude de livres anciens. La guerre mondiale éclate, il est mobilisé. Une tragédie pour un homme qui va être blessé dans son orgueil. Il y perdra un œil qui l’empêchera de conduire ou de chasser par la suite.

Jacques Guerlain

Les grands évènements historiques sont une véritable source de création pour Jacques Guerlain. Ravi de la défaite russe face au Japon, il lance Mitsouko qui illustrera la femme de l’Entre-deux-guerres.  En 1926, la marque fête son centenaire et ouvre des boutiques à Berlin et à New-York, s’exporte à l’international et développe un goût marqué pour l’exotisme dont Shalimar sera la quintessence, rendant hommage aux jardins moghols et l’œuvre de Jaques. Parfums, rouges à lèvres, les boutiques GuerIain s’affichent sur la Place Vendôme et les Champs-Elysées. Il va perdre un de ses fils, Pierre, durant la Seconde guerre mondiale. Brisé, Jacques se retire du métier durant deux ans. Avant de revenir avec le parfum Kriss. Mais l’usine de Bécon-les-Bruyères est détruite par un bombardement et les fausses rumeurs de collaboration vont le plonger dans une forte dépression. Il va créer de moins en moins, des « parfums pour vielles dames » de son propre aveu. Affaibli après une chute, il décède à Paris le 2 mai 1963.

Jean-Jacques Guerlain @Dynastie

Le dernier des Guerlain

A chacun son rôle au sein de cette prestigieuse dynastie.  Jean-Jacques Guerlain, fils de Jacques assure la gestion de l’entreprise, c’est son petit-fils Jean-Paul qui lui succède comme nez emblématique de la marque. Un vrai don. Il est capable de reconnaître trois mille nuances olfactives différentes. Pendant plus de 45 ans, ce cavalier émérite va créer à son tour quarante-trois parfums de renommée internationale composés d’essence naturelle et résolument tournés vers la nature. Entré dans la Maison en 1956 à 19 ans, il en prend la direction en 1992 et achève d’écrire les dernières lignes de cette success story à la française (développement des premières lignes de poudres, gloss et fards à joue), ternie par quelques dissensions familiales. Après avoir été plus de 150 ans la possession de la famille Guerlain, Jean-Paul décide de revendre l’entreprise au groupe LVMH en 1995 mais tout en conservant la direction jusqu’en 2002.

Ainsi après 5 générations de « nez » issus de la famille, la Maison Guerlain, associée à Paris et à l’Empire par son mythique flacon parsemé de l’abeille impériale, symbole de l’excellence de la parfumerie française, tient toujours sa place au rang des grandes maisons du patrimoine historique français.

Arnaud Gabardos